

En stage pour renaître...
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En stage pour renaître...
TILILI TILILI...
Je suis réveillée en sursaut par l’alerte « pause-café » de mon téléphone. Habituellement je suis matinale : 5:00café serré, 5:15 jogging dans le parc, 6:10 petit déjeuner protéiné, brossage de dents. 7:30, je suis en chemin vers le métro, maquillée, plastronnée dans mon tailleur Chanel, prête à entrer en scène. Ou en guerre... Car mon emploi s’apparente tantôt à un ring, tantôt à un spectacle de danseuse du ventre. Je suis hautement diplômée de l’école de commerce de la Prunelle de Paris, responsable commerciale de la plus célèbre fabrique de papier toilettes. J’avais tout pour être heureuse : vacances en croisière 5 étoiles, appartement en plein centre parisien, avec balcon, des enfants grands et sortis d’affaire, un ex mari qui me foutait une paix royale et un cercle d’amis avec qui je partageais de productives affinités intellectuelles et culturelles.
Mais, la semaine dernière, entre deux rangées de cartons (c’était la période des inventaires), je me suis effondrée comme un de ces bâtonnets chimiques au fromage. On s’amuse à les tenir droits au soleil et puis, à un moment, ils finissent par fondre et se répandre lamentablement sur la nappe immaculée de notre table de fête. Ce fut d’ailleurs le diagnostic de Monsieur DUCOIN, médecin généraliste : « Burn-out Madame PIMPON ! » J’avais brûlé et fondu de l’intérieur… A l’insu d’un ego bien huilé à la réussite sociale. A l’insu d’un corps que je pensais contrôler avec un mental d’acier.
Au comble de mon ratatinement, je m’étais confiée à Georgette, ma voisine de palier.
– Ma filleule, elle a eu le même pépin que vous.
– Ah…
– Y a un type un peu bizarre, vous voyez ?..
– Non.
– Ben, vous voyez ? Il fait brûler des bâtons de..
– D’encens ?
– Oui, c’est ça !
– Ah…
– Ma nièce Lulu est allée à son stage « RENAÎTRE ».
– Ah…
– Et depuis, elle pète la forme !
– Ah...
Je n’avais rien trouvé à dire d'autre à cette gentille mémé...
Le lendemain, Georgette avait frappé à ma porte en me tendant le numéro de Circonvolutius car c’est ainsi que cet allumé se faisait appeler. Il restait une place pour son prochain stage, sur Paris mais c'était le lendemain. Je devais réagir vite. Tard dans la soirée, après trois épisodes d'une mauvaise série policière, je m'inscrivais. Et, pour la première fois de mon existence, ce matin, je suis en retard !
Le stage RENAÎTRE démarre, à dix heures, à sept stations de métro de mon appartement. J'utilise alors ce qu'il me reste de neurones pour commander un taxi.
Le lieu de mon espérée renaissance est atteint en des temps record par Jeffrey : une maisonnette de ville, un peu vieillotte dont l’arrière donne sur un jardinet aux herbes hautes et odorantes. Les stagiaires et leur gourou m’y attendent, assis sur une terrasse en pierres de Bavière défraîchies, une tasse de thé ayurvédique à la main. Je n’ai pas le temps de me confondre en excuses car Circonvolutius m’étreint aussitôt de ses bras squelettiques : « Bienvenue Marie ! » Les autres acolytes répètent à l’unisson « Bienvenue Marie ! »
Le décor est planté et ce qui suit montera crescendo. Chaque burn-outé pioche un petit papier lui indiquant ce dont il a besoin pour « renaître à la vie ». Gérard fera le chien, Magali devra faire silence, Clémentine dansera le flamenco, Victor ne pourra utiliser que sa main gauche tout en marchant pieds nus et j’en passe ! Moi, j’ai tiré le pompon ! Ma pitance est radicale : lâcher.
Après quelques minutes de réflexion (réflexion d’une burn-outeuse…), l'inspiration coule comme un torrent. Je ne range pas ma tasse et la pose en piaffant « putain que ça fait du bien ! » . Je me lève en me grattant les fesses et sors à Circoncon : « ton jardin déchire grave, j’irais bien me pieuter sous l’arbre du fond. » J’y vais de ce pas en maugréant contre ces satanées orties qui m’ont piqué les chevilles. Je trouve Gérard le clébard en train d'uriner au pied de mon arbre. Je le traite d’enfoiré, ce à quoi il réplique d’aller plutôt me chercher une couverture. Mais Jean Jacques a pris la dernière. Frustrée, je le traite de sale égoïste. Ce mot décuple, en lui, une violence refoulée insoupçonnable:il se met alors à me balancer des torgnoles. Mais il ignore que j’avais fait un stage d’escrime dans ma jeunesse, en village vacances avec mes parents. J’esquive avec la dextérité d’un moustique et lui colle le coup de poing du siècle puis m'enfuis, en courant, avec sa couverture. Je le laisse se vider de son sang, Circonvolutius, lui caressant gentiment l'épaule, tout en lui susurrant « Jean Jacques, le sang, c'est la vie ! »
Arrivée sous mon chêne, je trouve Magali en position du lotus. Ni une ni deux, je lui dis de se barrer vite fait bien fait de mon QG1.
– Espèce de nouille ! me dit Clémentine en frappant le sol de ses talons de danseuse. Le jardin est à tout le monde !
– De quoi j'me mêle connasse ?!
Clémentine n’a pas le temps de me répondre car je me suis déjà jetée sur sa robe rouge que j'arrache violemment. La pauvre danseuse se retrouve nue comme un ver, pleurant, honteuse de n'être point épilée ! Ses pleurs me paralysent. Je réalise soudain la violence du volcan intérieur qui me consume depuis des années. Circoco s'en aperçoit. Il pose une main délicate sur mon avant-bras en articulant doucement : « ça bouscule, hein ? » Émue, je ne peux m'empêcher de lui répondre : « ta gueule ». Ce à quoi, il réplique, stoïque : « qui es-tu pour me parler ainsi ? »
– Chuis !... chuis... Je SUIS...
– Oui ?
Et là ! J’accède enfin à LA CLÉ de RENAÎTRE : ÊTRE…
Qui suis-je ?
Je réalise que ma vie, ces dernières années, a ressemblé à une longue, très longue saison automnale. J'ai tombé une à une mes feuilles pour me retrouver nue devant cette question : qui suis-je ?
Feuille numéro un : la petite fille obéissante. Mon père a demandé à habiter en maison de retraite après le décès (trop brutal, trop précoce) de ma mère. Je réalise que je n'ai pas fait ce deuil de la séparation. Au lieu de lâcher la main de celle qui l'a caressée si souvent et d'intégrer son souvenir dans les ressources de mon cœur, j'ai tendu la main au travail et à la reconnaissance sociale. Je serai bientôt celle qui soutient, soigne les bobos, écoute l'homme qui m'a portée sur ses épaules sans avoir pris soin de mon propre organisme.
Feuille numéro deux : l'élève modèle. Mon patron, Monsieur DUPONTOIS a vendu ses parts à un actionnaire hollandais sans nous en informer. Je me rends compte que j'ai passé des nuits blanches à traquer les mentions très bien et que je n'ai pas pris le temps d'observer la lune, la nuit tombée.
Feuille numéro trois : l'épouse parfaite. Dîners toujours prêts à l'heure. Frigo rempli. Escaliers cirés, vitres propres et après vingt ans de tickets de caisse, serpillières et lessives, Philippe est parti sur la pointe des pieds car il avait besoin de « piment » (vert!) dans son couple.
Feuille numéro quatre : la mère qui prend soin. Je n'ai aucun regret. J'ai consolé les chagrins, pâtissé, peint, chanté, escaladé, lu des histoires et donné des milliers, des milliards de câlins. Mais à l'adolescence, ces deux êtres avaient soudain changé de « camp », me précipitant devant un gouffre de solitude. Je crois que je n'ai pas su bien faire pour soigner le lien. J'ai fui les miroirs et me suis encore noyée dans la reconnaissance par le travail.
Feuille numéro cinq : la femme. Voilà cinq ans que je croise ma ménopause, à la douche, le matin, le soir, dans l’ascenseur, les cafés, sans vouloir y prêter attention. Pourtant partout, elle jette son venin de fatigues brutales, de sautes d'humeur, de bouffées de chaleur et de chagrins, d'affaissement des muscles et de l'épiderme. Je réalise que, pourtant, elle est ma meilleure amie, la dernière couche de matière organique qui nourrira le prochain printemps.
Je réalise que ce temps hivernal que la maladie m'impose préparera la renaissance de ma vraie nature.
Je peux enfin pleurer, me laisser prendre dans les bras par le groupe, coller mon front aux leurs et, dans ce cercle, me laisser renaître.
1Quartier général

