Félicitations ! Ton soutien à bien été envoyé à l’auteur
Chapitre 10 - Une bête affamée

Chapitre 10 - Une bête affamée

Publié le 27 mai 2023 Mis à jour le 10 oct. 2024 Horreur
time 39 min
0
J'adore
0
Solidaire
0
Waouh
thumb 0 commentaire
lecture 133 lectures
1
réaction

Sur Panodyssey, tu peux lire 30 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 29 articles à découvrir ce mois-ci.

Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit ! Se connecter

Chapitre 10 - Une bête affamée

D’un geste commun et simultané, Hyperion et Severian se retournèrent vivement. Ils virent alors une femme de grande taille, et plutôt mince. Elle avait de très longs cheveux argentés lisses, qui tombaient presque jusqu’à ses genoux, et une franche irrégulière couvrait son front. Elle portait une chemise blanche, ainsi qu’un pantalon noir. Elle portait un long manteau rouge écarlate qui tombait sur ses bottes noires.

Son visage était fin et élégant, bien que son teint soit pâle, à la limite d’être blanc. Un grand sourire moqueur étirait ses lèvres. Ses yeux étaient d’un noir profond et trahissaient de la malice.

— C’était donc toi, l’origine de cette odeur étrange, déclara le démon en fronçant légèrement les sourcils.

— Comment ça ? s’étonna Hyperion en jetant un regard surpris à son précepteur. Tu connais cette femme ? Tu avais déjà senti son odeur avant ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Je n’ai rien dit parce que je n’étais sûr de rien. La première fois, c’était à Southampton, sur le port. Mais cela me semblait tellement improbable que j’ai d’abord pensé que je divaguais, que cette odeur était due à toutes les autres qui se mélangeaient.

— Mais c’est à ce moment-là que tu m’as fait promettre de te prévenir du moindre événement étrange ! fit remarquer l’adolescent sans cacher la nuance accusatrice de sa voix. Et toi-même, tu as gardé le silence !

— Je ne voulais pas vous inquiéter, mais je me rends compte que j’avais tort. Je n’ai fait que vous mettre en danger.

— Et encore, j’ai moi-même fait une grossière erreur, intervint la femme en croisant les bras sur sa poitrine, haussant les épaules avec un rictus moqueur. Mon but était de me débarrasser de toi, maudit démon !

Démon ? Elle connaît la nature de Severian ?

— Malheureusement pour toi, tu as lamentablement échoué ! rétorqua le domestique en rejetant une mèche folle qui gouttait encore devant ses yeux. Même si tu n’avais aucune chance de me tuer, je reconnais que c’était bien tenté !

— Qu’est-ce qui se passe ? aboya Hyperion qui commençait à sentir la moutarde lui monter au nez. Qui est-ce ?

— Pardonnez-moi, monsieur, je vous dois quelques explications, s’excusa la créature des ténèbres en lui lançant un regard perçant. Voyez-vous, les démons ne sont pas les seuls êtres surnaturels à rôder dans le monde des humains. Les vampires sont présents également. En l’occurrence, cette femme est en est une, et j’aurais préféré ne pas la croiser.

— Tes présentations sont très sommaires, Severian Hunter, le nargua l’intéressée en relevant fièrement le menton. Je me nomme Aurora, la vampire renégate. Ça, c’est un nom qui claque bien plus !

— Une vampire renégate ? De quoi parle-t-elle ? reprit le garçon en regardant en alternance les deux adultes.

— Ne t’en fais pas, petit humain, tu n’as pas besoin de te poser toutes ces questions, ricana Aurora en secouant la tête pour retirer ses cheveux argentés de son champ de vision. Vous allez mourir ici, tous les deux !

Avant que le blond n’ait le temps de cligner des yeux, elle bondit droit sur lui comme un tigre fondrait sur une proie alléchante. Pourtant, sans qu’il ne comprenne comme une telle chose était possible ni comment cela s’était produit, il se retrouva dans le dos de la femme, dans les bras de Severian.

— Tu es très rapide, démon, s’amusa leur assaillante en tournant la tête pour les regarder par-dessus son épaule.

Ses yeux étaient rouge sang, animé par une inquiétante lueur de folie. Son immense sourire dément collé sur son visage ne la rendait pas plus amicale en apparence. D’un rapide coup d’œil sur son précepteur, Hyperion comprit immédiatement que cette créature n’avait rien en commun avec les petits criminels qu’ils chassaient habituellement.

Le noiraud n’avait pas ce rictus moqueur qui lui était coutumier. Ses iris flamboyants montraient à la fois agacement, inquiétude et réflexion. Il ne laissa pas leur attaquante reprendre la parole et s’éloigna en courant, tenant contre lui son jeune maître. Celui-ci avait encore du mal à saisir ce qu’il se passait. En une seule soirée, il apprenait que le bateau sur lequel ils étaient était en train de sombrer, que les vampires existaient et que l’un d’eux avait très envie de les tuer. Pourtant, à ce moment-là, sa seule pensée était de faire confiance à la créature des ténèbres. Il passa ses bras autour de son cou et jeta un regard derrière eux.

— Elle nous suit ! s’exclama-t-il d’une voix forte pour couvrir le son des éclaboussures à chacun de leurs pas.

— Il fallait s’y attendre, grommela le domestique avec mauvaise humeur avant de monter d’un seul bon jusqu’au pont D et d’atterrir souplement.

— Tu ne pourrais pas nous en débarrasser ? interrogea Hyperion en resserrant sa prise pour ne pas glisser. Nous n’irons pas très loin sur ce paquebot. Elle a l’air confiante, même en sachant ce que tu es.

— Elle sait que nous sommes liés l’un à l’autre par un pacte, expliqua Severian sans cesser de courir. Donc elle sait aussi que je dois vous protéger et que si votre vie est menacée, je ferai tout pour vous. Par extension, tant que vous êtes là, je me battrai avec un handicap.

— Tu es en train de dire que je suis un boulet pour toi, c’est ça ? s’offusqua l’adolescent en lui adressant un regard noir de reproche. Je te ferai remarquer que je ne suis pas plus en sécurité loin de toi.

— Ne vous méprenez pas, jeune maître, déclara le démon avec un sourire amusé, ses yeux pétillants de malice et de dangerosité. Il est hors de question que vous soyez loin de moi. Cela dit, si vous voulez l’empêcher de nuire, il nous faudra un peu plus de place que ces couloirs étroits.

— Ooh, c’est donc de la place que tu veux, ricana le blond en esquissant un rictus mauvais. Tous les passagers sont sans doute dans les salons et il vaudrait mieux ne pas ramener cette folle furieuse près d’eux. Je suppose que personne ne nous en voudra d’emprunter les ponts de promenade privés.

Le noiraud ne répondit pas, mais son expression satisfaite parlait pour lui. Heureusement, il semblait un peu plus habitué à la course que la renégate, car la distance entre eux ne cessait de grandir. À son plus grand soulagement, ainsi porté dans les bras de son précepteur, Hyperion put remarquer que le trajet pour remonter au pont A était beaucoup plus rapide.

Je ne sais pas si Severian pourra battre cette vampire. Je ne connais pas assez les différences entre les deux pour pouvoir le dire. Mais il est hors de question de mettre mes parents en danger en les rejoignant. Il faut absolument qu’on se débarrasse d’elle avant.

Il ne fallut qu’une petite minute et demie pour qu’ils rejoignent les ponts de promenades des premières classes. Comme il s’y attendait, ils étaient déserts. Le froid mordant avait sans doute poussé les passagers à attendre à l’intérieur pour ce soi-disant exercice. Le démon s’arrêta de courir et déposa doucement le garçon sur le sol en bois ciré. Puis il regarda autour de lui, comme s’il avait entendu quelque chose. Cependant, son jeune maître avait beau faire très attention, aucun autre son que celui de l’eau contre la coque du paquebot ne lui parvenait aux oreilles.

— Qu’est-ce qu’il y a ? C’est elle qui arrive ? demanda-t-il, ne parvenant pas à se retenir de se poser la question.

— Non, murmura Severian entre ses dents serrées, ses yeux rouges balayant les alentours à l’affut du moindre mouvement. Cette personne qui arrive marche beaucoup plus lourdement… RECULEZ !

À peine terminait-il sa phrase qu’une vitre non loin d’eux volait en éclat. Hyperion eut tout juste le temps de voir une silhouette plus petite que son domestique avant qu’elle ne se précipite sur lui. La créature des ténèbres s’interposa immédiatement, mais l’inconnu passa si rapidement qu’il n’eut pas le temps de réagir. De profondes marques de griffures lacéraient férocement son visage, à tel point que le sang se mit à couler lentement.

L’adolescent tourna la tête pour regarder la personne qui venait de surgir, et fronça immédiatement les sourcils en le voyant. C’était un homme d’environ vingt-cinq ans qui faisait une tête de moins que son précepteur. Ses cheveux argentés étaient mi-longs, sales et emmêlés. Ses yeux écarlates brillaient de malfaisance et de démence en le fixant. Son visage avait quelque chose de niais, mais aussi d’inquiétant dans ses traits fins et maigres. Ses ongles étaient bien plus longs que la normale, mesurant près de dix centimètres, et semblaient tranchants comme des rasoirs.

— C’était ça que je devais faire, grande sœur ? interrogea-t-il d’une voix enfantine, comme s’il attendait une récompense.

— Parfaitement, Azzerad, assura Aurora en surgissant à son tour d’un pas majestueux et conquérant.

Elle s’approcha du jeune homme et passa sa main dans ses cheveux emmêlés dans un geste affectueux, comme une mère le ferait avec son fils. Son sourire était doux et tendre, mais son regard redevint immédiatement mauvais en se posant sur le serviteur.

— Alors, Severian Hunter, tu ne t’attendais pas à cela, n’est-ce pas ? Vois-tu, contrairement à toi, je sais travailler en équipe. Je sais que tu fais tout seul, que tu méprises trop les autres pour les aider.

Le démon se contenta de laisser un rictus s’étirer sur ses lèvres, à la fois amusé et narquois. Comme connecté par la pensée, Hyperion avait eu la même réaction que lui, se retenant difficilement de rire.

— Il y a visiblement une chose que vous n’avez pas bien cernée nous concernant, ricana-t-il en retirant le gant qui couvrait sa main droite. Mais une démonstration vaudra mieux qu’un long discours… Severian, tue-les, je te l’ordonne.

L’intéressé arracha presque son propre gant, et leurs deux marques s’illuminèrent d’une vive lueur rouge. Il passa ses doigts aux ongles noirs sur les griffures de son visage avant d’aviser le sang, un sourcil sceptique haussé. Finalement, il passa sa langue dessus, ses iris rouge vif brillant dans l’obscurité de la nuit.

— As you wish, my Lord.

— Azzerad, ces deux-là veulent nous séparer pour toujours, susurra Aurora à son jeune frère d’une voix qui se voulait désespérée, mais qui trahissait de la sournoiserie. Tu ne vas pas les laisser faire, tout de même…

— Bien sûr que non, grande sœur, s’exclama immédiatement le concerné en secouant la tête comme un possédé. Je m’en charge !

— Jeune maître, faites attention à vous, lança simplement la créature des ténèbres d’une voix tranquille et prédatrice. Ce combat s’annonce plutôt violent…

Le vampire ne se posa aucune question et partit immédiatement à l’assaut. Bien qu’il semble obéir aveuglément à sa sœur, il semblait avoir compris que le plus grand danger était le démon. Ce fut en effet vers lui qu’il bondit, un sourire fou peint sur son visage blanchâtre.

Cependant, même pour Hyperion qui pensait jusque-là que Severian était la personne la plus rapide qu’il connaisse, ils durent se rendre à l’évidence : ce type l’était encore plus. Il se déplaçait à une si grande vitesse et avec tant de légèreté que tout ce qu’on voyait de lui était une forme claire et floue. Le noiraud avait du mal à le suivre du regard et à parer ses coups. Heureusement pour lui, si son adversaire était très mobile, la force de ses frappes était bien inférieure à la sienne.

— Tu fais un excellent travail ! assura la femme avec une voix encourageante. Continue ainsi et nous aurons un bon repas ce soir !

Elle se tourna ensuite vers le blond, son regard plus malveillant que jamais. Elle passa distraitement un ongle acéré sur ses lèvres d’un air affamé. Au moins une chose était sûre, Hyperion se dressait à présent en tête de sa liste de repas. Le garçon se rendit compte à ce moment-là que leur situation n’était pas très avantageuse : sur un paquebot en plein naufrage, son serviteur se battait avec un vampire tandis qu’il était à la merci d’une autre.

— Severian, dépêche-toi un peu ! le pressa-t-il sans quitter des yeux Aurora qui s’avançait lentement vers lui.

— J’aimerais vous y voir, rétorqua le démon avec mauvaise humeur.

— Ne te presse pas, intervint la jeune femme avec un grand sourire prédateur. Pendant que mon frère t’occupe, j’aurais tout le temps de m’occuper de ce petit. Tu n’auras bientôt plus à t’en soucier.

La façon dont ce combat se déroulait et traînait en longueur semblait de plus en plus insupporter le noiraud. En effet, plus le temps passait, plus il semblait être à bout de patience. Les déplacements d’Azzerad étaient toujours aussi vifs, comme s’il n’était pas atteint par la fatigue. Et il avait également l’air de follement s’amuser, comme si essayer de charcuter quelqu’un était le divertissement le plus agréable pour lui.

— Ne t’avise pas de poser un seul de tes immondes doigts sur mon maître ! avertit Severian à l’adresse de la jeune femme, avant de s’approcher du jeune noble.

Malheureusement, il n’eut même pas le temps de faire trois pas qu’une ombre floue passa devant lui, lui coupant le passage, avant que de nouvelles marques de griffure n’apparaissent sur l’arête de son nez.

— Sinon quoi ? se moqua Aurora en regardant avec amusement le sang qui ruisselait et gouttait sur le sol du pont de promenade. Mon frère t’empêchera d’approcher, et tu ne pourras rien faire, à part voir ce gamin arrogant et mal élevé se faire tuer sous tes yeux. Son sang m’est destiné depuis plus de deux ans !

Ne pouvant pas cacher sa surprise, Hyperion tourna vivement la tête, ses yeux saphir arrondis par le choc. Même la créature des ténèbres s’immobilisa, fixant avec étonnement la femme aux cheveux argentés. Cependant, son attention fut reprise par un nouvel assaut du jeune vampire qui ne s’était pas laissé déconcentrer.

— D-deux ans ? répéta le blond, comme s’il avait remarqué quelque chose de très troublant. Mais alors, vous…

— Je vois que tu n’es pas dénué de cervelle, futur repas, commenta son assaillante avec un grand rictus mauvais. Oui, ça remonte à cette époque-là… Lorsque la secte existait encore…

Un long silence suivit cette simple phrase, ponctué par les ricanements d’Azzerad qui n’avait pas laissé tomber sa lutte contre le démon. Ce dernier semblait de plus en plus en difficulté, puisqu’il voulait protéger l’adolescent, mais qu’un gêneur ne cessait de l’en empêcher.

— Vous faisiez partie de cette bande de salauds, souffla le garçon, sa respiration devenant plus saccadée sous le coup de la peur, et surtout, à cause de la colère qui commençait à le faire haleter. Vous êtes des assassins…

— Je t’en prie, gamin, soupira Aurora en secouant la tête, passant une main dans ses cheveux. Ne me sors pas le discours du « vous êtes des méchants et nous sommes les gentils ». Si tu connaissais les raisons qui m’ont poussé à les rejoindre, tu ne ferais pas tant de manières !

— Rien ne peut justifier ce que vous avez fait ! aboya Hyperion, la rage lui faisant bouillir le sang dans ses veines. Vous avez tué mon frère et ma sœur !

— Je sais ce que c’est d’avoir un frère ! l’interrompit la vampire avec un soudain accès de fureur. Mais contrairement à toi qui mènes une vie tranquille avec tes deux parents, Azzerad et moi n’avons pas eu cette chance ! Nos parents nous ont abandonnés, et pour assurer la survie de mon frère, j’ai rejoint cette secte !

— Vous l’utilisiez comme une réserve de nourriture, intervint Severian avant de se taire pour éviter de justesse une frappe au visage. Et tu as tellement goûté à cette abondance que tu as transgressé les lois !

— C’est très incorrect comme affirmation, démon, rétorqua la femme d’un ton devenu grinçant.

— De quelles lois parlez-vous ? cracha le blond avec haine, bien qu’en réalité, la réponse l’intéressait très peu sur le moment.

— Un vampire ne peut pas boire plus de 5 litres de sang humain par mois, expliqua brièvement Aurora. Du moins, pas sans risquer de se faire attraper. Mais mon parcours n’était pas aussi facile que tu le prétends ! J’ai dû prouver ma valeur et ma volonté de servir la secte. Et pour cela, le patron m’a dit que je devais aller au-delà des lois. C’est là que j’ai pris goût à cette vie, où j’avais ma nourriture à volonté.

— Et cela ne vous a pas suffi, siffla le noiraud avec véhémence en essuyant le liquide écarlate qui coulait du coin de ses lèvres d’un revers de manche. Il fallait que vous cibliez mon maître en prime !

— Sache une chose, Severian Hunter ! Bien avant que tu ne sois son esclave, il était déjà ma proie. Mais je n’y ai pas eu droit.

— J’étais un trophée, alors ? feula le garçon, ses ongles s’enfonçant dans la peau de la paume de ses mains.

— Le sang des adultes est sali par l’alcool, la nicotine ou toutes les saloperies que vous ingurgitez. En revanche, celui des enfants est délicat, sucré et pur ! J’ai demandé au boss de pouvoir te saigner, mais je n’étais pas assez haut placé dans la hiérarchie. Tout ce qu’il m’a dit, c’était que tu étais réservé à son fils et que personne ne pouvait te toucher sans en payer le prix. Cette menace n’a pas arrêté la bête affamée qui te sert de serviteur, parce qu’il est parti en t’emmenant.

— C’est une vampire qui a dépassé le seuil de sang autorisé qui me traite de bête affamée ? s’insurgea le précepteur en haussant un sourcil sceptique.

— Tu n’as pas tort, souffla Aurora en posant sa main sur sa tête. D’ailleurs… je crois que j’ai encore un petit creux… désolé d’interrompre cette discussion, mais je ne compte pas attendre plus longtemps !

À ces mots, elle bondit en direction d’Hyperion, deux canines pointues de trois centimètres sorties. Au vu de la vitesse à laquelle elle s’était élancée, le blond était certain de ne pas être capable de l’éviter. Contrairement à son domestique, il n’était pas doté de capacités physiques incroyables.

Cependant, un flot de sang gicla entre eux, ce qui arrêta net la jeune femme sur place. D’un mouvement simultané, elle et sa cible tournèrent la tête pour en regarder la source. Et à leur plus grand étonnement, ce n’était pas le démon.

En effet, ce dernier tenait encore dans une main le col de son adversaire, et du cou de ce dernier se déversait une cascade écarlate. Ses yeux rouges étaient révulsés, et son teint pâle était devenu d’un blanc cadavérique. Severian semblait désormais plus qu’énervé, il était hors de lui ! Son visage était taché de sang, crispé sous la fureur et la haine.

— Est-ce si difficile à comprendre ? rugit-il, ses iris flamboyants fixés sur Aurora qui n’avait toujours pas bougé d’un millimètre. Cet enfant porte ma marque ! Il est ma proie, et à moi seul ! Personne d’autre n’a le droit de toucher ne serait-ce qu’un seul cheveu de sa tête !

Sans ménagement, comme s’il se débarrassait d’un insecte agaçant, il envoya valser la dépouille à quelques mètres de lui, générant des traces écarlates sur son passage. Abandonnant immédiatement l’idée de tuer Hyperion, leur assaillante se précipita à toute vitesse vers le corps avant de tomber à genoux à côté. La créature des ténèbres rejoignit son jeune maître, qui sentait sa gorge se nouer à la vue du sang.

— A-Azzerad… haleta la vampire, ses larmes lui piquant les yeux avant de dévaler ses joues. Comment… comment est-ce possible ? Tu étais plus rapide que lui…

Sa main aux ongles longs se serra sur le poignet de son frère, secouée par ses sanglots bruyants. Le garçon ne pouvait s’empêcher de se remémorer cette nuit, où son frère et sa sœur étaient partis pour un monde meilleur. Pourtant, devant cette meurtrière, qui faisait partie de l’organisation qui avait fait de lui ce qu’il était aujourd’hui, il avait beaucoup de mal à éprouver de la compassion.

Les raisons qui avaient précipité Aurora dans ce monde étaient sans aucun doute compréhensibles, mais en aucun cas n’étaient acceptables pour lui. Elle avait fait cela pour la seule famille qui lui restait, mais elle s’était laissée aveugler par cette abondance.

— Espèce de connard ! hurla la jeune femme en fusillant le précepteur du regard. Tu l’as tué, sale monstre !

— Je ne le nie pas, ricana Severian en dévoilant ses huit crocs menaçants. Mais tu as voulu faire de même avec mon maître, alors nous sommes quittes.

— Vous avez voulu me liquider, vous ne faites que récolter ce que vous avez semé, compléta l’adolescent en évitant soigneusement que ses yeux ne se posent sur la flaque de sang qui s’étalait de plus en plus.

— Vous m’avez pris la seule famille qu’il me restait ! continua la vampire sans se démener, une expression proche de l’hystérie peinte sur le visage. Tu vas voir, petit merdeux, je vais te faire connaître cette même douleur !

Le visage encore noyé de larmes, elle se redressa d’un bon et partit si vite que personne n’eut le temps de la voir faire. Toujours sous le choc de ce qu’il venait de se produire, et de toutes les révélations qu’il venait d’entendre, Hyperion resta silencieux quelques secondes, perdu dans ses pensées. Ce fut son serviteur qui le ramena à la réalité.

— Monsieur, ne trouvez-vous pas que la ligne de flottaison du bateau est plus basse que tout à l’heure ? interrogea-t-il en reprenant une voix paisible et tranquille, essuyant comme il le pouvait les coulées écarlates sur son visage. Je pense que nous devrions rejoindre vos parents au plus vite.

— Mes parents ? répéta le jeune noble comme s’il se rappelait seulement à l’instant leur existence. Oui, tu as rai…

Il s’interrompit brutalement dans sa phrase, ses yeux s’éclairant d’une lueur de compréhension. Il se tourna vivement vers le noiraud qui sembla surpris par ce geste brusque.

— Qu’a dit la vampire ? s’exclama-t-il avec affolement et précipitation. Elle… elle veut tuer mes parents ! Elle veut me prendre la dernière famille qu’il me reste ! Severian, il faut les sauver tout de suite !

Comprenant la situation, l’intéressé ne se posa pas une seule question et prit immédiatement l’enfant dans ses bras avant de s’élancer vers l’intérieur. Son allure était si rapide que tout ce que le plus jeune put voir fut des décors flous et incertains. Cependant, ce dont il était sûr, c’était qu’il avait rejoint le pont d’embarquement en moins d’une demi-minute.

Il y avait beaucoup plus de monde qu’avant, et les passagers avaient sans doute compris que le Pacific était bel et bien en train de couler, car il y régnait une panique folle. Les gens hurlaient de peur ou de désespoir. Les pères de famille embrassaient avec un mélange de tristesse et de douleur leur femme et leurs enfants, se doutant qu’il y avait peu de chance qu’ils se revoient. Certains qui semblaient vraiment tenir à leur peau tentaient par tous les moyens de monter dans un canot de sauvetage.

Severian déposa le blond sur le sol, et il ne se souciait visiblement plus que très peu de dissimuler ses yeux rouges à la vue de la foule. Et ce n’était sûrement pas l’adolescent qui allait l’en blâmer, trop inquiet de retrouver sa famille.

— Est-ce que tu les vois ? demanda-t-il à l’adulte qui scrutait l’attroupement de personnes pour essayer de les localiser.

— Non, et je ne pourrais pas les retrouver à l’odeur non plus. Quant à les entendre, au vu de la situation, il y a très peu d’espoir…

Après quelques secondes d’immobilité, ses sourcils se froncèrent, et cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : il y avait quelque chose qui clochait en ce moment. Et effectivement, même Hyperion entendit un grincement métallique.

— C’est le paquebot ! avertit la créature des ténèbres en l’attrapant comme un vulgaire sac de pommes de terre qu’il porta sur son épaule avant de s’avancer vers la proue. La pression au milieu du navire devient trop forte. Il va se fendre à ce niveau-là ! Restez ici !

Il laissa le garçon près du quartier des officiers qui était vide, puisque tous s’attelaient à l’évacuation. Avant qu’il ne puisse repartir, l’enfant l’attrapa par la manche, ses yeux bleus laissant voir toute son anxiété.

— Retrouve mes parents, s’il te plaît ! Je te l’ordonne.

— As you wish, my Lord, répondit doucement le noiraud en lui adressant un sourire rassurant. Je vous le promets.

Sans rien ajouter, il bondit sur le toit, l’air glacial lui fouettant le visage. Une fois en dehors du champ de vision de son maître, son visage devint plus grave tandis que son regard se promenait sur la foule.

Par moment, vous me demandez des choses proches de l’impossible, monsieur. Mais je n’ai pas le choix, vos ordres sont mes lois et je dois m’y plier sans me poser de question.

Tandis qu’il regardait sans montrer aucune émotion une femme sangloter dans les bras de son mari avant de monter dans un canot de sauvetage, une tignasse attira son attention. C’était une masse de cheveux argentés qui flottaient au vent. La vampire renégate était postée près de la troisième cheminée, de l’autre côté du paquebot, à plus d’une centaine de mètres de lui.

Pourtant, malgré le fait que le Pacific soit en train de se briser en deux, elle ne semblait pas s’en soucier. Il fallut quelques secondes de concentration pour que la vue du démon se précise un peu et qu’il puisse voir ce qu’elle faisait.

Ce n’est pas vrai !

Au moment même où Severian se précipitait d’un bond de plusieurs mètres vers elle, Aurora fit sauter le dernier rivet de la cheminée. Simultanément, la coque se fendit en deux soudainement dans un grondement assourdissant. Et ce ne fut qu’à cet instant précis que le noiraud localisa enfin Lord et Lady Prince.

Tous deux étaient emmitouflés dans d’épais manteaux, installés l’un comme l’autre dans un canot de sauvetage rempli de passagers à bâbord du pont. Ils se serraient pour se réchauffer, essayant par la même occasion de se rassurer. Mais les tremblements qui secouèrent le bateau les firent se séparer, sans pour autant qu’ils ne se lâchent la main.

L’avant et l’arrière du navire penchèrent soudainement vers le centre qui commença en se remplir d’eau à une vitesse bien trop grande. D’ici dix minutes, il ne resterait plus rien à la surface de l’océan Atlantique.

Je ne pourrais pas les sauver sans me dévoiler ! Qu’est-ce que je dois faire ?

Un second grincement qui n’augurait absolument rien de bon retentit, et ce fut avec fureur que Severian vit la vampire asséner de puissants coups dans la cheminée. Cette dernière, n’étant plus retenue par les rivets, s’inclina lentement vers le côté bâbord.

Elle va leur tomber dessus… Tant pis, j’y vais !

L’immense assemblage de métal vacilla et tomba vers le canot de sauvetage. Le démon cessa de se poser des questions et sauta dans leur direction. Pendant un moment, il crut voir la scène défiler au ralenti. Il vit les visages des passagers se figer d’effroi, et son ouïe fine pouvait même entendre les battements accélérés par la peur de leur cœur. Ils avaient donc pris conscience de ce qui risquait de leur arriver.

Même avec toute ma force, je ne pourrais pas arrêter la chute de cette cheminée… C’est malheureux pour les autres, mais ma priorité est ces deux-là…

— Monsieur ! Donnez-moi votre main !

Heureusement, son cri fut suffisamment fort pour attirer l’attention de James. Profitant de cet événement, Severian s’était élancé dans l’ombre de la cheminée, le dissimulant à la vue des gens restés sur le pont du bateau. Le brun sembla surpris de ce sauvetage aussi improbable qu’impossible pour un être humain. Pourtant, son instinct de survie prit le dessus sur sa raison, car il tendit la main sans lâcher celle de son épouse de l’autre. Leurs doigts se touchèrent avec hésitation, avant que leur saisie à tous les deux ne deviennent plus forte.

Et à cet instant, la cheminée tomba sur le canot et écrasa les passagers. De seulement quelques millimètres, la créature des ténèbres y échappa.

Ce ne fut pas le cas de James et Amelia.

Heurtés de plein fouet, ils furent tués sur le coup. Un nuage de sang vola dans les airs tandis que les cordes qui retenaient l’embarcation se rompaient d’un coup et que cette dernière tombait vers l’eau. Severian sentit la prise de James se desserrer sous ses doigts. La main du père de famille glissa dans la sienne. Tout ce qu’il resta de lui fut une chevalière.

Je ne peux pas rester ici.

Reprenant un semblant d’équilibre, le démon parvint à se propulser pour remonter vers le Pacific tout en fourrant négligemment la bague dans la poche de sa veste. Son saut lui permit de remonter à bord, et d’un regard rapide vers l’endroit auparavant occupé par la troisième cheminée, il remarqua qu’Aurora avait déjà disparu.

Cependant, il sentait la poupe du navire se pencher de plus en plus à cause de l’eau glaciale qui s’engouffrait à l’intérieur. Se rendant compte que son maître était toujours seul, et sur l’autre partie du bateau, il comprit l’urgence de la situation. Il n’avait plus beaucoup de temps.

J’ai échoué à sauver ses parents, mais il est hors de question que ma proie meure ! Je dois absolument trouver un moyen de garantir sa survie !

Il ne lui fallut que très peu de temps pour rejoindre le quartier des officiers. La proue commençait elle aussi à s’incliner dangereusement, mais il fut soulagé de trouver le garçon agrippé à une barrière, apeuré, mais sain et sauf.

— Il faut partir tout de suite ! lança le noiraud en le prenant rapidement dans ses bras avant de s’élancer vers l’extrémité du paquebot.

— Attends une seconde ! hoqueta Hyperion qui ne s’attendait pas à un retour aussi brutal et soudain. Où sont mes parents ?

Sans répondre ni même lui adresser le moindre regard, le précepteur lui passa rapidement un gilet de sauvetage ramassé quelques mètres avant. Ensuite, il prit la main de l’adolescent dans la sienne et la serra brièvement.

— J’espère que vous me pardonnerez ce que je vais faire…

Il n’attendit même pas la question qu’il s’apprêtait à recevoir, et lança le blond de toutes ses forces au loin. À la fois surpris et effrayé, l’enfant vit avec terreur la surface de l’océan filer à toute vitesse sous ses yeux en poussant un hurlement. Tout ce qui se déroulait en une seule soirée allait bien trop vite pour lui, et il se trouvait dépassé par les événements. En moins de deux minutes, le bateau s’était fendu et à présent, son serviteur venait de le jeter à la mer sans ménagement et sans lui donner aucune explication.

Mais le flot continu de ses pensées s’arrêta net lorsqu’il tomba dans l’eau. Celle-ci était glacée, et une douleur fulgurante s’empara immédiatement de son corps. Il avait la sensation que des centaines de lames aiguisées le transperçaient de toute part. Ses vêtements se retrouvèrent trempés, tout comme lui, avant que le gilet qu’il portait ne le fasse remonter à la surface. Ses membres ne répondaient plus, paralysés par le froid.

Une main agrippa son col et il se sentit tiré en arrière. Il voulut se débattre, ignorant qui était cette personne, mais se sentit un peu plus rassuré en voyant la marque de plume qui diffusait une petite lueur rouge.

— S-Severian… j-j’ai froid, haleta le garçon d’une voix faible, comme si toute son énergie avait soudainement quitté son corps douloureux.

— Je suis vraiment désolé, soupira l’intéressé en évitant soigneusement de croiser son regard. Si nous avions eu un peu plus de temps, je n’aurais pas eu à procéder de cette façon. Et j’ai rencontré quelques difficultés à récupérer ce reste de canot, il était resté attaché sur le paquebot.

Le noiraud l’avait amené jusqu’à une embarcation à moitié détruite qui était presque en train de couler. Il hissa son jeune maître dessus, et la première réaction d’Hyperion fut de se rouler en boule pour limiter la surface de contact entre ses vêtements et l’air glacial environnant.

Tremblant de froid et claquant des dents, il redressa péniblement la tête vers son domestique. Ce dernier tenait l’extrémité abîmée du canot pour l’empêcher de sombrer comme le bateau. Malgré le fait qu’ils soient dans une très fâcheuse posture, la première chose qui lui vint à l’esprit fut :

— Pourquoi es-tu en chemise ?

La sensation de souffrance dans ses membres lui faisait sans doute poser des questions stupides. Pourtant, sur le moment, il se demandait véritablement pourquoi Severian, qui portait sa veste moins d’une minute plus tôt, ne l’avait plus sur lui. Et la réponse ne tarda pas à arriver, car le vêtement lui tomba dessus, comme s’il venait du ciel.

— Je ne voulais pas la mouiller, expliqua le démon en esquissant un léger sourire amusé. Avant de plonger, je l’ai retirée et je l’ai lancée. Il fallait que vous ayez quelque chose de sec à porter. Je vous en prie, mettez-la…

Au plus grand étonnement du blond, il ressentit une légère chaleur lorsqu’il enfila la veste noire de son serviteur. Celui-ci soupira, et un petit nuage de buée se forma devant son visage.

— Tu vas avoir froid, tu devrais monter aussi, fit remarquer l’enfant en serrant les pans de la veste contre lui.

— Je ne peux pas, il coulerait si je ne le maintiens pas. Et ne vous en faites pas pour moi, mon corps peut rester plusieurs heures dans l’eau froide… Mais je ne vous cache pas que cette impression d’humidité est plutôt désagréable.

Laissant à son tour un peu de condensation s’élever, Hyperion tourna légèrement la tête vers le paquebot. Cependant, ce dernier s’était presque totalement fait engloutir par l’océan, laissant près de huit-cents personnes en proie aux flots. Ceux-ci se débattaient, bien que ce soit totalement inutile : leur sort était déjà scellé.

— Tu ne m’as pas répondu, tout à l’heure, releva le blond en détournant ses yeux saphir de la provenance des cris de peur et de douleur. Où sont mes parents ?

Immédiatement, le précepteur regarda ailleurs. Il posa ses avant-bras sur le bord du canot et appuya son front dessus, soufflant un long filet de buée entre ses lèvres pâles. Sa réponse, ou plutôt l’absence de celle-ci, était assez éloquente. Constatant cela, le jeune noble cessa de respirer. Tout comme son énergie s’était évaporée quelques instants plus tôt, ce fut cette fois son désir de se battre qui disparut.

Aurora avait réussi à lui prendre ses parents, la seule famille proche qui lui restait. Elle avait mis sa menace à exécution.

Elle a tenu sa promesse… contrairement à…

Pris soudain d’une colère incontrôlée, une vague d’adrénaline parcourut son corps et lui rendit l’usage de ses membres. Sans y réfléchir, il envoya un puissant coup de pied dans la figure du démon. Ce dernier recula sous la force de la frappe, mais ne lâcha pas la barque pour autant. Une main crispée sur le bois, il avait plaqué l’autre sur son visage, et il sentit un peu de sang couler de son nez.

— Jeune maî…, commença-t-il avant de se faire interrompre.

— Tu n’as pas respecté les règles de notre pacte ! aboya Hyperion avec haine. Tu avais dit que tu sauverais mes parents et tu ne l’as pas fait ! Tu m’as menti et tu as brisé notre contrat !

D’abord étonné, le noiraud serra ensuite les dents, son expression vacillant entre l’agacement et le mépris. Il passa rapidement sa langue sur le dos de sa main gauche où avait coulé le sang avant de montrer la marque redevenue d’un noir d’encre.

— Je n’ai pas désobéi à votre ordre, car à aucun moment, elle ne m’a brûlé, siffla-t-il d’une voix menaçante. Vous avez dit, je cite : « Retrouve mes parents. ». À aucun moment, vous ne m’avez ordonné de les sauver.

— La ferme ! hurla l’enfant en sentant que des larmes commençaient à lui picoter les yeux. Tu sais très bien que si je voulais que tu les trouves, c’était pour les sauver !

— Je le savais, rétorqua immédiatement Severian en sentant le peu de patience qu’il avait s’envoler. Mais si vous ne m’en donnez pas l’ordre, je n’ai aucune obligation de le faire ! J’ai tenté de les sauver !

Comme si à son tour, il était pris d’une soudaine fatigue, il s’appuya légèrement sur le bord du canot, soupirant d’épuisement.

— J’ai essayé, jeune maître, reprit-il d’un air abattu. Je n’ai pas su remplir mon devoir… Nos mains se sont touchées… S’il vous plaît, regardez dans la poche de ma veste…

Les doigts tremblant, bien qu’il ne sache pas si c’était à cause du froid ou de l’émotion, Hyperion s’exécuta. Sa main se referma sur un petit objet froid, et en le regardant, il reconnut immédiatement la chevalière de son père. C’était une bague en argent, surmontée d’un diamant bleu taillé en cercle.

— Je suis vraiment désolé, mais c’est tout ce que j’ai pu récupérer…

Le blond ne trouva rien à dire, et il sentit sur ses joues froides des larmes chaudes les dévaler. Il serra le bijou dans le creux de sa main et se laissa tomber dans le fond en bois du canot en sanglotant. La créature des ténèbres resta silencieuse. Au fond de lui, l’adolescent savait parfaitement que la mort de James et Amelia ne lui faisait ni chaud ni froid, que pour lui, ce n’était que deux humains de moins. La seule chose qui le dérangeait était d’avoir failli à ses obligations.

Mais surtout, il avait la désagréable impression d’être le coupable. Ce n’était pas la première fois qu’il lui donnait des ordres imprécis et incomplets, mais les conséquences n’avaient jamais été suffisamment graves pour qu’il retienne la leçon. Cette fois, il était certain de ne plus se faire avoir.

Bien entendu, la vampire renégate était également responsable. Pourtant, elle ne l’avait fait que parce que Severian avait tué son frère. Elle était là, la réalité : tout revenait à ce maudit démon !

Et pourtant… je n’arrive pas à le détester…

Comment aurait-il pu haïr cet être qui avait été un des rares soutiens pendant plus de deux ans ? Il avait été la première personne à lui tendre la main après la perte de son frère et sa sœur, et bien qu’il ne l’avait pas fait sans attendre une récompense en échange, il n’en restait pas moins qu’il lui avait été d’un grand secours.

Il ne se rendit compte qu’après plusieurs minutes qu’il ne pensait qu’à son serviteur alors qu’il pleurait la mort de ses parents. Ces derniers, même s’ils ne lui avaient pas accordé beaucoup de temps et d’attention, l’avaient tout de même aimé jusqu’à la fin. Malgré le fait qu’ils n’étaient pas parfaits, ils restaient ses parents, et il savait qu’il n’en aurait plus jamais. À présent, ils pouvaient eux aussi partir retrouver son frère et sa sœur. Lui, Hyperion Prince, devait rester dans ce monde violent où des gens lui veulent du mal, enchaîné à un démon pour l’éternité.

Je le savais, je savais que la fin de cette histoire ne serait pas heureuse, et je me suis entêté à croire le contraire…

Après plus d’une dizaine de minutes de silence complet entre eux deux, un bruit vint briser le calme tendu. C’était le son de quelqu’un qui bougeait dans l’eau. Se redressant péniblement, toujours tremblant de froid et secoué de sanglot, Hyperion jeta un petit regard à la source de l’agitation.

Dans l’obscurité, la seule chose qu’il parvint à voir fut une silhouette sombre vêtue d’un gilet de sauvetage blanc se précipiter vers Severian et s’accrocher au col de la chemise de celui-ci.

— Enfin, je vous retrouve ! lança la personne d’une voix très rauque, mais étrangement familière.

Le précepteur cligna des yeux quelques secondes, surpris, avant de répondre.

— Jones ? Mais comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ? Et comment m’avez-vous vu dans le noir ?

Le majordome était très pâle, presque blanc. Ses cheveux désordonnés et humides avaient commencé à geler aux extrémités. Ses lèvres étaient teintées de bleu et ses mains tremblaient de froid.

— Je suis venu en nageant, quelle question ! se moqua-t-il avec un sourire narquois, bien que sa voix soit plus faible qu’à l’ordinaire. Et honnêtement, avec votre coupe de cheveux horrible, je vous aurais reconnu entre mille.

Le noiraud, dans un contexte et une situation différente, aurait peut-être répliqué par un commentaire cinglant, mais il ne s’en sentait ni l’énergie ni la volonté. Ce qui le préoccupait sur le moment, c’était qu’il entendait les battements du cœur du domestique ralentir de plus en plus.

— Le jeune maître est avec vous, au moins ? demanda Jones avec une pointe de menace dans sa voix.

— Oui, je suis là, intervint Hyperion en rampant prudemment vers lui, sentant une vague d’empathie envers lui.

— Je suis soulagé, dans ce cas. À défaut de savoir vous coiffer, vous êtes capable de prendre soin du jeune maître, Hunter, continua l’homme aux cheveux sel et poivre.

— Le lieu du naufrage est à plus de cinq-cents mètres, fit remarquer le démon qui ne semblait pas en revenir. Vous n’avez tout de même pas fait tout ce chemin pour ça ?

— Non, en effet, admit le majordome en souriant à nouveau. Je voulais vous retrouver pour vous donner quelque chose.

Sa main trempée et glaciale attrapa celle de son collègue avant de plaquer quelque chose dans le creux de sa paume. En le regardant, Severian constata qu’il s’agissait de l’insigne que Jones portait habituellement sur le revers de sa veste.

— Vous semblez doté d’une capacité de survie hors norme, reprit ce dernier d’une voix de plus en plus faible, sa respiration saccadée. Désormais, ce sera à vous de diriger le personnel du manoir Prince. Et… vous avez intérêt à protéger le dernier membre… de cette noble famille…

— Qui a dit que je survivrais jusque-là ?

— Moi, je l’ai dit, coupa le domestique d’une voix catégorique, peinant de plus en plus à parler. Et j’en suis certain… La preuve en est que vous n’avez pas les doigts froids… alors que vous êtes dans l’eau gelée… S’il y a bien une chose que je voudrais savoir… avant de mourir, c’est ce que vous êtes…

La créature des ténèbres sembla hésiter quelques secondes, visiblement très étonnée d’une telle perspicacité. Cependant, il parvint à esquisser un minuscule sourire hésitant.

— Je me doutais que vous étiez trop malin, soupira-t-il. Je ne peux pas accepter votre poste, je ne pourrais pas protéger le jeune maître jusqu’au bout. Je suis un démon, et il est dans ma nature de tuer, et non de sau…

— Vous l’avez tiré de l’eau, et vous donnez de votre personne pour lui, fit observer Jones en plaquant une main sur sa bouche pour le faire taire. Moi, j’appelle cela « sauver »… Jeune maître, continua-t-il en tournant la tête vers l’intéressé, je suis certain… que vous ferez… un jeune homme… très intelligent et courageux…

Ses yeux se fermèrent lentement, tandis qu’une ultime expiration franchissait ses lèvres. Sa main retomba dans l’eau, et Severian entendit un dernier battement de cœur avant qu’un silence de mort ne s’installe. Le précepteur le regarda quelques instants, avant de baisser les yeux vers l’insigne qui reposait dans sa main.

— Je ne peux pas… lâcha-t-il en secouant la tête. Ce n’est pas parce que je suis un assassin que je n’ai pas un sens du respect. Je ne pourrais jamais le remplacer…

— Garde cet insigne, Severian, intervint Hyperion d’une voix grave. Si tu veux vraiment honorer sa mémoire, fais ce qu’il t’a dit. Et puis… il était ton supérieur hiérarchique, non ? Tu devrais lui obéir pour une fois. Je joins ma demande à la sienne : sois mon majordome.

— Je vous en prie, monsieur, ne me forcez pas à me montrer insolent, coupa le démon en se détournant. J’ai besoin d’un peu de temps pour y réfléchir. Ma nature est d’être un chien obéissant, et non pas de donner les ordres. Je ne pense pas en avoir les capacités, mais d’ici à ce que je prenne une décision, je vous promets de conserver cet insigne.

Ne trouvant rien à redire, le blond hocha simplement la tête. Son serviteur glissa le petit objet dans la poche de son pantalon avant de lâcher un profond soupir qui fit s’envoler un long filet de buée.

— Alors, qui avons-nous là ? lança une voix tranquille, les prenant par surprise. Ah oui, Taylor Jones, mort par hypothermie le vingt-trois avril à minuit trente-trois.

Severian et Hyperion se retournèrent en même temps pour voir un jeune homme d’une vingtaine d’années planer à quelques centimètres de la surface de l’eau. Et à ce moment, leur pensée fut exactement la même.

Comme si ce n’était pas assez, on a encore des énergumènes douteux sur le dos…

lecture 133 lectures
thumb 0 commentaire
1
réaction

Commentaire (0)

Tu peux soutenir les auteurs indépendants qui te tiennent à coeur en leur faisant un don

Prolonger le voyage dans l'univers Horreur

donate Tu peux soutenir les auteurs qui te tiennent à coeur

promo

Télécharge l'application mobile Panodyssey