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Le Kyklos, épisode 01

Le Kyklos, épisode 01

Publié le 28 déc. 2023 Mis à jour le 15 mars 2024 Horreur
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Le Kyklos, épisode 01

 

Le Kyklos, photographie personnelle.

 

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La gifle de son souvenir lui lacera l’esprit. Ni le rat se sauvant au travers des détritus, ni le murmure du vent s’engouffrant au travers des carreaux cassés n’avaient engendré une telle frayeur. Mais, ce son mouillé, presque inaudible, ce chuintement humide comme un bruit de mastication lui vrilla les tripes et comprima sa vessie. Il se revoyait cinq ans plus tôt à la table familiale pendant le repas du mercredi : des raviolis insipides libérés d’une conserve échappée du rayon discount. Il entendait les rires de sa sœur avant que Macron, tout juste descendu de son jet ski, vienne annoncer la fin de l’abondance. Brusquement, son père avait frappé sur la table en hurlant, changeant les rires en pleurs. Dans le silence pesant, Macron débitait des mesures restrictives pour les plus modestes pendant qu’ils mastiquaient les derniers euros du mois sacrifiés sur l’autel de l’alimentation. Puis de nouveau sans prévenir, la main du patriarche s’était levée pour s’abattre violemment sur sa joue. C’est à peine s’il avait entendu le “ferme ta gueule quand tu manges” qui avait accompagné le geste. Sa mère avait failli intervenir, mais les yeux du père l’avaient réduite au silence. Le contrat implicite fut scellé ce jour, mâcher la bouche fermée ou se prendre la torgnole antibruit de mastication. Il était encore sous le coup de cette image quand les poils sur ses bras se hérissèrent de nouveau, le ramenant dans le capharnaüm d’une des salles du Kyklos.

La température extérieure frôlait les trente degrés sous la Lune et pourtant ses bras nus affichaient une chair de poule glaçante.
— Vous entendez ?
Aussitôt, les trois adolescents se regardèrent comme si les yeux des uns et des autres étaient un gage de sécurité. 
— C’est rien les gars, ricana Laurent entre deux bouchées d’une chocolatine, j’ai voulu lâcher une caisse en silence, mais, côté discrétion, c'est raté.
Chacun avait sa façon à lui de réagir au stress ou à la peur. Pour Laurent, c’étaient les plaisanteries. Certainement pas les plus fines, mais venait ce qui venait pour faire fuir le croque-mitaine bien caché dans les méandres de son cerveau.
Anaïs était le troisième gars du groupe. Elle ne relevait jamais quand Laurent s’adressaient à eux en ce terme. Elle n’en avait pas besoin, car Antoine savait qu’elle était la plus forte des trois, et pour elle c’est tout ce qui importait.
— Chut ! intima-t-elle tout en regardant Antoine tétanisé, les yeux aspirés dans le vide de ce qu’il semblait entendre. Elle se rapprocha de lui en traînant légèrement les pieds afin de ne pas le surprendre, puis le dépassa un peu avant de s’immobiliser.
— Là, chuchota Antoine, ce bruit, vous l’entendez ?
— C’est les vagues, tenta de rassurer Laurent, plus pour lui-même. 
De toute façon, Antoine n'écoutait pas. Son attention était plongée dans le cœur du bâtiment délabré et se faufilait dans les moindres recoins, ceux qu’il ne connaissait pas encore. Il les avait emmenés, car Anaïs avait découvert ses sorties nocturnes et voulait les partager. Secrètement, elle aurait aimé être seule avec lui, mais en bon adolescent de quinze ans, Antoine ne voyait rien des sentiments qu’elle nourrissait pour lui. Laurent était donc de la partie.
— À part les vagues et le vent, je n’entends rien, lui murmura-t-elle à l’oreille.
La Lune éclairait maladivement l’intérieur jonché des restes du passé flamboyant du bâtiment. Tout se décomposait lentement. Rongé par l’air marin en longues heures d’agonie. 

Mastiqué par le temps et la salive du clown.

Antoine fut soudainement comme soulevé et projeté dans la pièce. Dans le silence éteint des entrailles du Kyklos, il alla s’écraser contre un des murs suintant l’oubli. Il n’eut pas le temps de crier, même lorsque ses poumons se vidèrent sous l’impact. Laurent le fit pour lui. Il resta tétanisé, la bouche débordant de sa viennoiserie laissait sortir des miettes emportées par son cri strident. Anaïs le poussa pour le faire réagir et s’empressa d’aller voir Antoine. Il était affalé au milieu de vieux habits en lambeaux. Un rayon de lune soulignait des larmes sur son visage terrorisé. Alors, elle l’empoigna, et si menue soit-elle, le redressa tout en l’entraînant vers la sortie. Laurent les suivit sans se faire prier, abandonnant dans sa course sa moitié de chocolatine restante. Ils dévalèrent les marches et débouchèrent sur l’esplanade du vieux complexe. Bifurquant à droite, ils ne cessèrent de courir que lorsque les plans d’eau formant les rizières furent en vue. Là, Anaïs lâcha la main d’Antoine et s’assit près de lui. Laurent alla se poser sur un banc de béton carrelé au milieu d’un bassin. Pendant qu’ils reprenaient leur souffle, dans la pièce qu’ils avaient quittée, le rat sortit retrouver son morceau de chocolatine abandonné. Dans un éclat de Lune, il semblait sourire. Antoine, lui, ne souriait pas. Planté juste à côté, le lampadaire hérissé de sa herse anti-pigeon lui adressait une lumière jaune. Faible, mais suffisante, elle éclairait le jeune couple qui ignorait encore qu’il en était un. Laurent, trop loin, ne voyait rien, mais Anaïs ne quittait pas des yeux le visage inexpressif d’Antoine. Ses yeux paraissaient vides, comme si son esprit n’avait pas suivi la cavalcade de son corps. Pourtant, le plus angoissant n’était pas son regard perdu. Le plus angoissant était cette marque révélée par la lumière sale : sa joue s’ornait nettement d’une marque de main sur sa joue. La marque d’une gifle monumentale dont les doigts, trop longs, couraient le long de sa mâchoire jusqu’à la salière marquant le creux au-dessus de sa clavicule. 
— Antoine ? tenta timidement Anaïs. Antoine ? Ça va ?
Elle ne s’attendait pas réellement à ce qu’il réponde. Juste un mouvement de sa part lui aurait suffi pour qu’il cesse de regarder dans le vide. Pour cela, elle était prête à garder sous son propre regard la marque rouge. Faire taire encore un peu son esprit nourri aux films d’horreur de Netflix. L’histoire qu’elle se racontait lui disait qu’Antoine avait dû percuter des objets épars sur le sol. Que la trace de cette gifle par une main trop grande était seulement son interprétation d’une image comme celle d’un test de Rorschach. Cependant, dans son crâne, une petite voix se faisait entendre. Plus forte à chaque fois qu’elle répétait les mêmes mots.

Il a voltigé, percuté le mur, puis a glissé lentement sur la paroi comme un aimant trop lourd sur la porte d’un frigo.

La scène était gravée dans sa mémoire. Durant les quelques secondes où elle l’avait quitté des yeux pour pousser Laurent, il était déjà affalé. Rien n’aurait pu faire cette marque.

Regarde sa chair lacérée à l’extrémité des doigts. Seuls des ongles peuvent faire ça. Des griffes.

— Tais-toi ! cria Anaïs à sa voix intérieure.
— Mais j’ai rien dit, gémit Laurent d’une voix tremblotante.
Il tenait encore sa poche en papier vide de chocolatine écrasée entre ses doigts. Sa fringale nocturne était passée, complètement coupée, mais il ne pouvait pas se résoudre à jeter le papier gras. Il avait entre ses doigts quelque chose de rassurant. Comme un doudou pour un enfant qui cherche le sommeil. C’était juste une histoire d’attention. Fixer son esprit sur quelque chose de rassurant. Avoir le maximum de ses sens accaparés pour ne pas penser au monstre sous le lit ou dans le placard.

Au monstre du Kyklos.

Il mangea son dernier morceau et urina dans son pantalon sans s’en apercevoir.
— Antoine ? retenta Anaïs en posant sa main sur l’avant-bras de celui qu’elle aimait.
Un geste qu’elle espérait tendre, mais qui serait pour Antoine un corps mort où son esprit allait demeurer ancré à la frontière de sa conscience. Une limite entre la réalité sur ce banc et cet instant où le Kyklos l’avait marqué à tout jamais. Une déchirure qui l’avait contaminé. Elle avait planté une graine qui commençait déjà à germer et à croître en soulevant le terreau de ses peurs tassées par les années. Même le vent qui soufflait vers l’intérieur des terres lui murmurait des mots presque inaudibles. Les mots de Bill Denbrough prononcés trente ans après la disparition de son petit frère George : « Ça est revenu ». 
— Ça va, murmura Antoine en esquissant un léger mouvement de tête vers Anaïs.
Ses yeux reprenaient un peu de lumière en renvoyant quelques éclats de Lune et d’étoiles. Anaïs lui sourit timidement et malgré son cœur saigné à blanc, il sentit une onde de chaleur réconfortante.
— Ça n’est pas un clown, tu sais, lui confia-t-il. Il voulait juste qu’on le laisse tranquillement se manger.
Anaïs se mordit la langue. Elle voulait lui demander de qui il parlait, mais préféra se taire afin de le laisser revenir tout doucement, sans le brusquer, à la manière d’une corne d’escargot après que l'on avait appuyé dessus.
— Il souffre, coincé entre sa gloire passée et sa décrépitude actuelle. Un grain de beauté devenue verrue. Alors, il se ronge d’exister. 
Anaïs ne releva rien. Elle savait maintenant qu’il parlait du Kyklos. Mais, pour elle qui n’avait pas connu le faste de cet emblème de Port Leucate, il n’était rien qu’un bâtiment à l’abandon soumis aux éléments. Dans le brouillard poisseux des embruns nocturnes, les trois adolescents posèrent alors une chape de non-dits sur le reste de la nuit.

 

 

Épisode 2

[FR] Les textes sont très souvent en lecture gratuite, pour votre plus grand plaisir. Aussi, pensez à l'auteur, merci.
[GB/US] The texts are very often free to read, for your enjoyment. So don't forget the author, thank you.
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Une pièce pour l'auteur - Toss a Coin to Your Writer - Caffè per l'autore 

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Elysio Anemo il y a 1 mois

J'aime beaucoup ! Le style est fluide, intriguant, ça donne envie de lire encore malgré l'heure tardive (et le fait que lire de l'horreur avant de dormir n'est pas la meilleure idée que j'ai eue) !

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