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Saveurs confinées

Saveurs confinées

Publié le 29 sept. 2022 Mis à jour le 29 sept. 2022 Gastronomie
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Saveurs confinées

14 Mars 2020.

20h30. Samedi soir, alors que résonnent en cuisine les habituels bruits de casseroles...

et que les commandes s'accumulent, le téléphone sonne. Ce sont nos clients du lendemain qui nous apprennent la nouvelle qui les laissera sur leur faim: 

Annonce officielle de la fermeture des restaurants dès ce soir minuit!  Sans préavis. Que faire avec une chambre froide remplie de caisses entières des divers produits qui figuraient à la carte d'hiver. Nous venions de commencer la saison des grenouilles et voilà qu'il faut les relâcher dans la nature. Hébétées, elles regardent de tous côtés sans trop savoir où aller. Un peu comme moi finalement. En attendant, je prévois une longue période d'autarcie: ananas en sorbet, en carpaccio, en chutney...

Confinés pour une durée indéterminée? Le mot me fait penser à une pièce mal aérée. Dans quelle mesure aurons nous le droit de prendre l'air?

A première vue, pour nous qui sommes toujours entre deux feux, le confinement apparaît comme une parenthèse inattendue, un dessert offert, une pause SUCREE dont il faudrait profiter: la possibilité de passer du temps avec les enfants, de longues journées ensoleillées, la chance pour moi d'avoir un chef à la maison: chocolat au sapin, pâquerettes au vinaigre, poires du jardin au vin et épices qui nous donnent l'impression d'habiter au marché de Noël pendant une semaine.

J'imagine bien que la cohabitation 24 heures sur 24 puisse être compliquée pour les couples qui ont l'habitude de vivre chacun de leur côté: Trop près des yeux peut aussi être très dangereux! 

En vérité, quand on travaille pendant vingt ans ensemble dans un restaurant, le confinement ressemble plutôt à une suite de bons moments: pas de tensions, de pression, de questions de cuisson ou de livraison, le quotidien dans une cuisine en permanente ébullition!

Quatre milliards de personnes confinées dans le monde, la comédie humaine est sur pause. Petit à petit, une pointe d'ACIDITE due au fait qu'on ne sait pas à quelle sauce on va être mangés, s'introduit dans nos vies. Le souci pour nos aînés nous envahit. L'annonce d'un cas positif dans la famille nous ronge et nous plonge dans la peur du lendemain. Toutes les minutes, toutes les heures débordent d'incertitude. L'eau glacée de l'angoisse remplit tout l'espace disponible. Elle se glisse dans tous les interstices, dans chaque seconde d'inattention. 

Les jours se ressemblent, s'assemblent et semblent ne faire qu'un, comme un jour sans fin. Les symptômes de la maladie sont très variés: fièvre, difficulté à respirer, immense fatigue. Plus inédit, très répandue et de ce fait caractéristique, la perte du goût. Privés de cette faculté pour une durée indéterminée, certains sont même obligés de faire de la rééducation. Une perspective encore plus angoissante dans notre métier: un chef sans goût c'est comme un "nez" sans odorat, un bucheron amputé des bras, un chauffeur poids lourd aveugle ou un musicien sourd. Pour éviter d'en arriver là, nous sommes prêts à tout entendre et même à tout gober: boire du thé brûlant toutes les heures, de l'argile verte diluée, un mélange rhum citron sucre... Il n'y a que l'eau de javel pourtant recommandée en haut lieu de l'autre côté de l'atlantique que nous n'avons pas essayé.

Comme nous l'a conseillé notre président, nous jouons au monopoly. Après deux séjours rue de la paix, ma fille est ruinée. En tant que responsable de la banque je lui verse une petite aide pour traverser cette période difficile. Cela me rappelle la situation actuelle. Je me demande si je pourrais utiliser tout l'argent de la boîte pour relancer l'économie, voire même plus en imaginant que je puisse réimprimer des billets. D'où nous viennent les milliards dont on parle en ce moment? La partie peut-elle continuer indéfiniment ou "game over" finira par s'afficher?

Dans la restauration, nous sommes passés pratiquement sans transition d'un confinement à un autre: neuf mois à la maison, temps de réflexion, temps de gestation... d'un nouveau monde?

Nous n'avons pas encore ouvert nos portes qu'on nous présente déjà l'addition, et elle est SALEE. Le quoiqu'il en coûte lancé un jour de mars aura coûté 168 milliards d'euros. Cela risque d'être long à digérer!

9 juin 2021: Réouverture des restaurants. Retour à "l'anormal"? Fin de l'hibernation?

Après un long sommeil, l'hôtel de France se réveille, lentement. La reprise à tout point de vue est compliquée. Même notre matériel peine à redémarrer. L'imprimante est bloquée, le lave vaisselle a lâché, nous courons après les clés... C'est comme si le fil avait été coupé, comme si j'avais grandi et que je peinais à rentrer dans mon costume de serveuse. 

D'un autre côté, certaines décisions nous laissent un goût AMER, comme la mise en place du pass sanitaire, la guerre au réfractaires, alors qu'au delà de la frontière, à trois kilomètres, tout est ouvert!

Mais petit à petit,  nous commençons à reprendre le rythme, à nous réorganiser et à retrouver le plaisir du travail bien fait, du client satisfait.

Variants, sous variants, sixième vague, quatrième dose... Cette épidémie pourrait ne jamais avoir de fin alors que la nôtre semble programmée. Qui sait, notre fin de vie est peut-être écrite dans notre ADN comme la date de péremption sur un paquet de pain de mie? Même si les épreuves que nous avons traversées nous laissent quelques souvenirs un peu douloureux, le présent et l'avenir seront porteurs d'une infinité de saveurs à ressentir, un mélange d'acidité et de douceur qui pourrait s'appeler le bonheur, mais aussi de sensations à découvrir comme l'UMAMI *. Peut-être que finalement dans la vie, tout est question d'équilibre, d'harmonie. Cette période avec ses restrictions sur les commerces non-essentiels nous aura ouvert les yeux sur ce qui est réellement essentiel et qui se trouve, non pas à l'extérieur, mais à l'intérieur. Ce que j'ai appris, et ce que je veux retenir de ces deux années mouvementées c'est que quoiqu'il arrive, quelques soient les circonstances, la vie a le goût qu'on lui donne.

 

 * L'umami est une nouvelle saveur de base découverte dans certains aliments fermentés ou dans les tomates très mûres par exemple.

Texte pour le concours my pandemic story!

 

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Commentaires (3)

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Jean-Jacques Hubinois il y a 1 an

Oui, en effet. La vie a le goût que l'on veut bien lui donner. Notre longue "hibernation" forcée aura au moins permis de le comprendre pour beaucoup d'entre nous. Merci pour ce beau texte, si sincère.
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Nathalie Droz il y a 1 an

Merci pour votre avis qui me va droit au coeur. Dieu merci il n'y aura jamais de confinement pour les sentiments! Amitiés, Nathalie
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Alexia Monrouzeau il y a 1 an

J'ai tellement de travail, que je vais prendre le temps d'aller aider ma compagne dans son petit restaurant à midi...quelque part, au fonds, tout en bas à gauche et à droite, il y a quelque chose que je n'ose encore goûter. Pourtant, pourtant. Je sais/sens bien que c'est ce qui fera le sel du reste. Allez, en attendant de comprendre qu'éplucher des pommes, revisiter "à ma façon" un texte d'hAuteur, ou aspirer la salle/garage, c'est pareil. C'est l'intention qui. Merci pour la lecture.

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