Félicitations ! Ton soutien à bien été envoyé à l’auteur
avatar
Chapitre 7 - Le Paradis se peuple, l’enfer aussi

Chapitre 7 - Le Paradis se peuple, l’enfer aussi

Publié le 18 oct. 2025 Mis à jour le 18 oct. 2025 Fantaisie
time 34 min
0
J'adore
0
Solidaire
0
Waouh
thumb 0 commentaire
lecture 2 lectures
1
réaction

Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 9 articles à découvrir ce mois-ci.

Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit ! Se connecter

Chapitre 7 - Le Paradis se peuple, l’enfer aussi


C’est le grand jour. Nunael met en œuvre les derniers préparatifs pour la première cérémonie de la Transformation. Tout est prêt pour accueillir les âmes qui vont bientôt être promues anges et angéliques.

— « Enfin, le moment est venu, murmure Nunael. Les âmes vont trouver ici la paix et un nouveau destin. »

Elle se dirige vers le plus grand des amphithéâtres. Les gradins de marbre blanc s’organisent en cercle autour d’une estrade centrale, où chaque âme pourra se dévoiler et choisir sa nouvelle apparence. Des colonnes dorées soutiennent un dôme de cristal, laissant filtrer une lumière douce et apaisante. Chaque détail a été revu avec soin. Nunael guide les âmes vers l’entrée de leur nouveau monde. Elle pousse un soupir de satisfaction en découvrant leurs mines émerveillées lorsqu’elles pénètrent dans les jardins. Petit à petit, l’arène se remplit.

— « Bienvenue, âmes bénies, commence-t-elle, sa voix résonnant à travers les arches de pierre. Aujourd’hui, vous entamez un nouveau chapitre de votre existence. Votre passé d’humain n’est désormais plus qu’un bref souvenir. Je vous ai choisies pour poursuivre un nouveau stade de votre évolution qui, un jour peut-être, vous permettra d’être à mes côtés. Vous allez vous dévoiler, choisir une nouvelle apparence et un nouveau nom, et trouver votre place au Paradis. »

Les âmes écoutent attentivement. Certaines s’inquiètent du sort qui les attend, mais la plupart sont impatientes de commencer leur nouvelle vie. Nunael prend la voix la plus douce possible pour ne pas les effrayer :

— « N’ayez crainte, les rassure-t-elle. Chaque choix que vous ferez reflétera votre essence la plus pure. Vous êtes ici pour trouver la paix, pour emprunter un nouveau chemin et, ensemble, nous ferons de ce lieu la quintessence de l’harmonie et de la connaissance. »


Les âmes observent Nunael qui se tient au centre de l’estrade. Pour la cérémonie, elle a choisi de prendre une taille proche des autres et de se parer d’ailes de lumière. Par un geste solennel, elle invite chaque âme à réfléchir sur son avenir. Après un instant de silence, la Cérémonie de la Transformation débute. Une à une, les âmes s’avancent. Leurs passés et leurs plus belles actions sont projetés devant l’assemblée. C’est un moment de vérité et de reconnaissance, où chaque vie est mise à nu.

— « Regardez, chacun d’entre vous est extraordinaire. Vous méritez votre place au Paradis ! »

Les âmes, émues et parfois tremblantes, se dévoilent avec sincérité. Leurs histoires sont pleines de courage, de bonté et de résilience. Chaque révélation est accueillie avec des hochements de tête approbateurs et des sourires bienveillants.


Le moment crucial est arrivé. Nunael pose la main sur la tête de l’âme devant elle et explique :

— « Tu dois penser à ton apparence, puis prononcer le nom que tu as choisi en tant qu’ange. »

L’âme s’exécute. Petit à petit, la silhouette évolue, devient plus brillante. Des ailes diaphanes apparaissent derrière son dos.

— « Ces ailes sont là pour vous rappeler que vous n’êtes plus humains, que vous êtes des anges et des angéliques ! »

Jeanne, celle qui fut un jour une jeune paysanne, choisit de conserver son apparence, mais avec des traits légèrement affinés et des yeux brillant d’une lumière nouvelle. Elle décide également garder son nom, qui lui rappelle l’amour pour sa mère.

— « Jeanne, bienvenue au Paradis, » dit Nunael avec un sourire bienveillant. « Que ta nouvelle vie soit emplie de paix et de lumière. »


Alors que désormais il n’y a plus que des anges dans l’arène, Nunael présente la dernière phase de la Transformation :

— « Ce lieu qui est désormais le vôtre n’est pas qu’un havre de paix, je l’ai imaginé pour que vous puissiez développer vos talents ! Pour ceux et celles qui croyaient passer l’éternité dans l’oisiveté, je suis désolée de vous décevoir. Non seulement l’éternité n’est pas encore à votre portée, mais je vous ai choisis justement parce que vous pouvez et aimez vous rendre utiles ! »

Elle fait une pause, laissant à chacun le temps de s’imprégner de cette vérité fondamentale. Puis elle reprend :

— « Chacun de vous trouvera sa place ici. Que vous aimiez les sciences, vous préoccuper de votre prochain ou exprimer vos talents à travers l’art, quel que soit votre passé, c’est un nouveau choix qui s’offre à vous ! »

Nunael se tourne vers l’une des âmes qui l’a émue :

— « Jeanne, tu as sacrifié ta vie pour ta mère et ton frère, malheureusement emporté jeune par la maladie. Ton moindre temps libre, tu l’as passé à te cultiver, à essayer de percer les mystères de la nature pour sauver ta famille. Aujourd’hui, tu as la chance d’utiliser ces compétences rares - la patience, l’empathie et la soif de connaissance - pour devenir ma première Thaumaturge. Tu pourras guérir les âmes meurtries, ravagées par leur ancienne vie et qui méritent d’être sauvées ! »

Des hourras fusent dans l’assemblée. Parmi eux, la mère de Jeanne qui se lève et se précipite vers sa fille :

— « Ne t’avais-je pas dit que tu ferais de grandes choses ? »


Nunael laisse les deux femmes dans leurs émotions puis poursuit :

— « Probablement avez-vous reconnu certaines âmes parmi vous… J’ai effectivement choisi quelques personnalités dont la vie a transcendé leur époque et qui ont accepté de prendre des responsabilités ici. »

Le silence se fait. Chacun se regarde. Comment est-ce possible ? Peu avaient remarqué qu’il y avait des âmes ayant vécu à des périodes parfois distantes de plusieurs siècles.

— « J’appelle Hypatie d’Alexandrie ! »

Une angélique drapée d’une robe de lumière nacrée, ornée de motifs stellaires rappelant les cartes du ciel antique, se lève et rejoint Nunael avec une grâce infinie. Ses yeux bleu clair semblent percer tous les mystères autour d’elle.

— « Philosophe, astronome et mathématicienne, vous êtes pour moi une figure de la préservation du savoir. Vous avez été persécutée pour votre amour de la vérité et votre lutte contre l’ignorance. J’admire le courage que vous avez déployé face à l’obscurantisme. À ce titre, je vous propose de diriger la Bibliothèque, de guider les anges dans la quête du savoir et de partager utilement les connaissances que ces lieux renfermeront. »

S’agenouillant devant Nunael, elle prononce d’une voix claire :

— « J’accepte cet honneur. »

Elle se lève et Nunael la guide vers un fauteuil dédié à sa fonction.

— « J’appelle maintenant un homme dont le nom a traversé les siècles. Bien que ce ne fût pas facile, je suis heureuse d’avoir pu vous convaincre de prendre la responsabilité de l’Astrolabe. Bienvenue parmi nous, Leonardo da Vinci ! »

Un homme d’âge mûr, à la barbe fournie, vêtu d’une veste foncée et d’un chapeau noir qui peine à cacher ses longs cheveux gris, se lève à son tour et rejoint le centre de l’arène.*

— « Votre esprit curieux et inventif, votre goût pour les sciences, votre sens artistique font de vous un polymathe dont les créations ont transcendé les époques. Votre humanisme, l’intuition d’un univers au-delà de la Terre vous ont permis d’imaginer ce qu’aucun autre n’aurait pu faire. Vous êtes l’homme idéal pour découvrir et accompagner les anges dans la compréhension de mon univers. Vous aurez à cœur de comprendre les mystères de l’humanité et d’anticiper leur chute. »

D’un petit geste de la main, il annonce accepter cette responsabilité, puis s’installe dans un fauteuil, à côté d’Hypatie.

— « Qui pour gérer le Refuge ? Cette question m’a hantée et les choix étaient aussi nombreux que difficiles. Seule une femme peut offrir l’empathie nécessaire pour comprendre et accompagner les âmes meurtries par leurs anciennes blessures. L’une d’elles m’a particulièrement émue. Maltraitée par la maladie et le doute, elle a puisé dans sa foi une force exceptionnelle qu’elle a mise à disposition des plus pauvres. Tu es morte jeune, mais ta spiritualité a fait de toi une sainte et inspiré bien des femmes après toi. Oui, tu incarnes à la fois la douceur et la compassion. Bienvenue, chère Marie-Françoise-Thérèse Martin, connue aussi sous le nom de Sainte Thérèse de Lisieux. »

Une jeune angélique au sourire mutin, à la coiffure noire en chignon, descend les marches pour rejoindre l’estrade. Habillée d’une simple robe noire, la seule fantaisie qu’elle s’est permise est une couronne de roses entourant ses cheveux. Elle s’approche de Nunael et lui embrasse la main.

— « Toute ma vie, je l’ai offerte à Dieu et aux gens simples. Si j’avais su que Dieu, c’était vous, je me serais donnée doublement ! Je regrette que l’humanité ne vous connaisse pas, ô Nunael ! »

— « C’est un secret que l’humanité doit percer par elle-même. Je lui ai offert le libre arbitre, puis j’ai sacrifié une partie de moi-même. À elle d’emprunter la meilleure voie… Et vous êtes là désormais pour m’y aider. »

Quelque peu intimidée par l’intensité de la voix de Nunael et son aura qui éclipse toutes les autres, Thérèse esquisse un geste timide et rejoint son fauteuil.

— « Cette fois, c’est une revanche que j’offre à cette angélique ! Toute sa vie, elle a vécu dans l’ombre de son époux alors qu’elle méritait la primauté grâce à son intelligence et son audace. Oui, vous avez fait avancer la science pour le meilleur et pour le pire ! La place au sein du Laboratoire des Sciences vous revient de droit, chère Marie Curie ! »

Vêtue d’une longue robe verte et d’un collier dont l’extrémité symbolise le radium, Marie Curie se lève et marche d’un pas raide vers Nunael. Son air sévère en intimide plus d’un. Elle fait face à l’assemblée et déclare :

— « En tant qu’humaine, je ne m’imposais aucune limite. Les seules qui existeront désormais seront celles que vous aurez écrites, Nunael ! En m’entourant des plus grands scientifiques, nous nous efforcerons de comprendre la mécanique de l’univers, le fonctionnement de toute chose et nous les transcenderons ! »

Ce ton de défi est surprenant, mais il fait sourire l’intéressée.

— « Marie, c’est bien pour cela que je vous ai choisie ! Je n’en attends pas moins de votre part ! »

Fière de ses paroles, Marie Curie s’assied à côté des autres anges nommés par Nunael.

— « Si le choix d’une femme fut évident pour comprendre et apprécier le vivant, plusieurs profils se sont imposés à moi mais il en est dont la maladie l’a arrachée alors que tant de défis l’attendaient encore ! Elle est née à l’aube du XXème siècle, en Amérique. Très tôt, elle s’est prise de passion pour le monde animal. Elle a ainsi obtenu un master en zoologie dans une prestigieuse université. Elle a partagé son amour avec les animaux marins avec le public grâce à ses publications. Mais ce qu’il faut retenir de cette femme extraordinaire fut son combat contre les industries chimiques. Rachel Carson, je vous invite à nous rejoindre pour diriger le Laboratoire des Sciences de la Vie ! »

Une femme aux yeux pétillants et à la chevelure bouclée se lève et s’approche timidement de Nunael.

— « Je dois vous avouer que j’ai encore du mal à comprendre ce que je fais ici. Avec autant de force que pour défendre les animaux, j’ai lutté contre l’obscurantisme et les religions. Aussi, me retrouver parmi vous est plutôt perturbant… Moi, en ange ! »

Elle sourit, tant autant pour se rassurer que pour rassurer l’auditoire.

— « Rachel, tout va être mis en œuvre pour que ce lieu soit le vôtre ! »

Elle lui montre un des derniers sièges vides. Rachel s’exécute.


Nunael poursuit :

— « La Cérémonie touche bientôt à sa fin mais il reste encore quelques noms à vous révéler. »

Elle marque un silence avant de continuer :

— « Dès votre plus jeune âge, vous aviez la tête dans les étoiles. Le destin a croisé votre route lors de votre visite à l’exposition universelle de New York en 1939. Si la science et la technologie vous ont fasciné, c’est finalement vers le cosmos que vous avez consacré toute votre vie. Sans vous, les premières sondes naviguant dans l’immensité de l’espace n’auraient pu exister. Cette passion de répondre à cette question fondamentale “Sommes-nous seuls dans l’univers?” vous avez tenu à la partager avec tous vos contemporains. Vos livres ont inspiré des générations d’enfants et d’adultes. C’est tout naturellement que j’ai pensé à vous, à votre âme d’enfant restée intacte, à vos talents de vulgarisateur, mon cher Carl Sagan. »

C’est un jeune homme aux yeux rieurs qui descend quatre à quatre les marches pour rejoindre Nunael.

— « Merci de m’offrir cette chance d’explorer les confins de votre œuvre au sein du Laboratoire d’Astronomie. Je n’aurai de cesse d’essayer de découvrir les limites de cet univers, voire de les dépasser ! Et bien sûr, ce sera un plaisir de conter mes recherches… Cependant, je laisserai mon auditoire deviner s’il s’agira de science ou de fiction ! »

Cette répartie originale tire des rires dans l’assemblée.


— « Nous arrivons maintenant à un choix qui ne fut pas aisé, puisque nul humain n’a la réelle maîtrise de cette science que j’ai cachée tant elle est puissante, tant elle peut causer des dommages irréversibles pour tous ceux qui veulent la pervertir. Impossible de confier une telle responsabilité à une âme masculine. J’ai donc cherché parmi les femmes qui se sont passionnées pour les sciences occultes, qui ont rêvé d’autres mondes et des liens que j’ai tissés entre eux… Là aussi, c’est une revanche sur la domination masculine que je vous offre, chère Maryam. Votre intelligence et votre ingéniosité vous ont permis de vous faire un nom au cœur du monde arabe du Xe siècle. Vous avez su décrypter certains de mes mystères : les marées, les mouvements des corps célestes, le cycle du temps… Malheureusement, vous vous êtes heurtée à la jalousie et à l’esprit de supériorité inhérents aux hommes de votre époque. Désormais, en dirigeant le Laboratoire de la Magie, vous pourrez découvrir cette force qui réside en toute chose, vous pourrez apprendre à la manipuler et à l’exploiter pour faire avancer les autres sciences. C’est une grande responsabilité qui vous incombe, mais vous n’avez jamais cédé à la facilité, et je fais confiance à votre sagacité pour m’étonner, Mariam al-Ijliya. »

Une jeune femme aux yeux oscillant entre le vert et le gris descend les marches avec une démarche de panthère. Sa tunique bleu foncé cache un corps svelte qui a dû faire rêver plus d’un homme. Sa chevelure est dissimulée par un ruban blanc. À son front, elle porte un diamant qui brille de mille feux. Sans un mot, elle regarde les anges qui l’observent avec curiosité, peu la connaissant, puis va s’asseoir sur le fauteuil qui lui est dédié.

— « Pour représenter le monde de l’art, bien des noms me sont venus en tête. Des chanteurs, des peintres, des musiciens… Et une évidence s’est révélée en moi : à arts multiples, multiples talents sont nécessaires pour ouvrir vos cœurs et vos esprits. »

Nunael laisse quelques instants aux anges d’imaginer qui seront les dignes représentants des arts. Des noms circulent, mais Nunael finit pour couper court aux supputations :

— « Parmi les nombreux musiciens qui ont révolutionné leur époque, il y a en un qui m’a particulièrement émue, autant par sa spiritualité que par sa virtuosité. J’ai senti une certaine proximité avec lui alors qu’il tentait de pénétrer les mystères du symbolisme. Après une vie à parcourir l’Europe, à partager la beauté de la musique et, durant ses dernières années, il a composé des œuvres qui ont résonné en moi comme un second cœur. Franz Liszt, je suis heureuse de vous rencontrer enfin. Je suis persuadée que votre sens de la perfection et votre mysticisme inspireront tous les musiciens qui vous rejoindront ! »

Un homme d’âge moyen, les cheveux blonds habillé d’un manteau noir et d’une écharpe noire rejoint le cœur de l’amphithéâtre. Une lumière éclaire la scène non loin de Nunael. Un piano ! Ce n’est guère une surprise pour Liszt car il avait été prévenu. Il s’assoit sur un petit banc garni de cuir et entame une œuvre qui a le don d’élever les âmes : Via Crucis. Bien que centrée sur la Passion du Christ, la composition parle à toutes les âmes, car elle symbolise le courage, la souffrance, et l’espoir de rédemption. Par ses harmonies novatrices et ses moments méditatifs, elle offre ainsi un véritable moment de communion.

Soudain, la musique dérive vers une sonorité exotique, orientale. Le rythme s’accélère. Apparaît alors une femme au visage rayonnant. Coiffée d’un chignon, d’un voile délicat et vêtue d’une robe fluide, elle commence par décrire dans l’air des gestes délicats avant d’entamer, d’une voix puissante, un chant aux accents mélancoliques. Certains anges reconnaissent « Al-Atlal », une ode à l’amour perdu. Le lyrisme est poignant. Alors que les dernières notes s’envolent, Nunael prend la parole :

— « Cette diva, que le monde surnomme l’Astre d’Orient, voici Oum Kalthoum. Je l’ai choisie pour représenter les arts du chant et de la danse. »

Des cris de joie parcourent les gradins. Lorsque le calme revient, Franz Liszt frappe quelques notes sur son piano, puis Oum Kalthoum prononce quelques vers d’une antique poésie :

« Au-delà des idées de bien et de mal, Il y a un champ. Je te retrouverai là-bas. Quand l’âme se couche dans cette herbe, Le monde est trop plein pour être parlé. Les idées, le langage, même l’expression Ne veulent plus rien dire. »

Un homme à la longue barbe blanche, un étrange turban sur la tête, se lève et descend vers le centre de l’arène. Nunael l’accueille solennellement :

— « Je vous présente l’auteur de ces quatrains, Jalaluddin Rûmi. Grâce à son langage simple et puissant, son art parle à toutes les cultures, toutes les religions, toutes les époques. Ses œuvres sont des trésors de sagesse. Nul doute qu’il saura guider les novices à écrire sur des thèmes universels qui nous bouleverseront tous. »

Nunael fait une pause, puis reprend :

— « Mais il ne sera pas seul à représenter les arts littéraires. Avec lui, il me fallait trouver une femme, une poétesse pour qui la littérature est plus qu’une passion : un combat ! Et je l’ai trouvée ! Jeune Mexicaine du XVIIe siècle, elle a grandi dans un monde où la littérature lui était interdite. Cela ne l’a pas empêchée d’apprendre le latin, la théologie, la philosophie. Elle est entrée dans les ordres, non pas par amour d’un dieu, mais pour se consacrer aux arts et trouver la sérénité pour écrire. Durant toute sa vie, on a tenté de la bâillonner car ses écrits évoquaient des sujets tabous : les injustices sociales, la condition des femmes, la liberté de penser… Elle meurt au chevet de malades qu’elle voulait sauver et moi, aujourd’hui, je l’accueille pour qu’elle puisse enfin s’exprimer sans contrainte et qu’elle délivre tout l’amour qui gît en elle. Tu es la bienvenue, chère Sor Juana Inés de la Cruz ! »

Une femme à la beauté remarquable, avec son nez d’aigle et son regard sombre, particulièrement intimidée par l’honneur qui lui est accordé, descend timidement les marches pour rejoindre Nunael. Celle-ci lui embrasse les deux mains.

— « Tu es l’exemple parfait de l’humanité que je cherche à concevoir ! Je suis heureuse de t’avoir à mes côtés ! »

— « J’ai prié Dieu chaque jour et c’est vous qui m’avez écoutée ! C’est la plus belle des choses qui me soit arrivée ! »

Avant de rejoindre son fauteuil, elle se tourne vers le public et fait une courbette, sa manière toute personnelle de montrer qu’elle est fière d’être là.

De nouvelles notes de piano s’élèvent dans les airs, plus tristes, presque morbides. Une image se fige dans l’espace : une peinture. Une femme au sourire énigmatique contemple un plateau d’argent sur lequel repose une tête d’homme. Les traces de sang encore fraîches suggèrent une décapitation récente. Les tons sombres et le clair-obscur qui illumine les visages créent une tension dramatique saisissante.

— « Ressentez-vous un malaise en observant Salomé portant la tête de Jean-Baptiste ? » demande Nunael.

Le silence qui suit est éloquent.

— « C’est précisément ce qui fait de cette peinture un chef-d’œuvre. Observez les regards des personnages, les détails des étoffes, la précision de la chevelure du mort… Les connaisseurs reconnaîtront une peinture baroque, mais qui en est l’auteur ? De nombreux artistes se sont penchés sur cette scène troublante, notamment l’Italien Bernardino Luini. Bien qu’il soit un grand artiste, ce n’est pas lui qui retient mon attention… Non, l’auteure est une femme que je souhaite réhabiliter. Née en 1593, elle est remarquée par son père qui voit en elle une artiste prometteuse. Pour parfaire sa formation, il la confie au peintre célèbre Agostino Tassi. Hélas, celui-ci se révèle être un prédateur et la viole. À dix-huit ans à peine, elle se retrouve plongée dans une bataille judiciaire traumatisante. Humiliée en public, elle finit par obtenir gain de cause… Du moins en partie, car bien que condamné, l’homme n’exécutera jamais sa peine. Comment ne pas comprendre, après un tel traumatisme, ses réticences à déployer pleinement son art ? Pourtant, elle devient la première femme admise à l’Académie du Dessin de Florence ! Toute sa vie durant, elle peindra des corps féminins libérés des stéréotypes, montrant une réalité éloignée des fantasmes masculins. Je suis convaincue, chère Artemisia Gentileschi, que vous guiderez les artistes à s’exprimer avec leur cœur, avec leurs tripes ! »

Cette sortie de Nunael en surprend plus d’un. Dans les rangs, des murmures s’élèvent : « Quelle étrange vulgarité ! A-t-elle été un jour humaine pour se lâcher ainsi ? »

Tandis que les dernières notes de Liszt s’évanouissent, une femme d’âge mûr, vêtue d’une magnifique robe de soie verte qui drape ses formes généreuses, se lève et embrasse l’assemblée du regard. Ses yeux lancent des éclairs d’une intensité intimidante. Une fois sur scène, elle déclare :

— « J’ai si souvent entendu qu’on me comparait à Caravage. Pourquoi pas l’inverse ? En quoi son art serait-il supérieur au mien ? C’est pour cela que j’ai accepté la proposition de Nunael. L’art n’a pas de sexe, seulement des émotions qui s’expriment différemment ! »


Un vrai tonnerre d’approbation accueille ces paroles. Une fois qu’elle a rejoint les autres nommés, Nunael reprend le fil de la cérémonie.

— « Puisque les âmes que vous étiez il y a peu ont conservé le meilleur de votre ancienne humanité, il est nécessaire de prendre en considération toutes celles qui ont échoué, toutes celles dont le cœur a oscillé entre le bien et le mal. À cet effet, il nous faut concevoir un Tribunal qui devra les juger de manière juste et impartiale. Pour prendre en charge cette responsabilité, un homme qui a marqué son époque a attiré mon attention : Nelson Mandela ! Je suis certaine que vous saurez déployer le même dévouement que durant votre ancienne vie. »

Vêtu d’un costume bleu, Nelson rejoint Nunael, un doux sourire aux lèvres.

— « C’est avec une profonde humilité et un immense honneur que j’accepte la noble tâche de présider le Tribunal du Paradis. Tout au long de ma vie, j’ai lutté pour la justice, l’égalité et la réconciliation, des valeurs qui sont au cœur de notre existence ici. J’ai l’opportunité unique de créer un tribunal qui non seulement rend justice, mais qui guérit et réconcilie. Un tribunal où chaque âme est écoutée, où chaque voix est entendue, et où chaque histoire est respectée. Nous devons nous efforcer de comprendre les chemins qui ont mené chaque âme jusqu’ici, et de les guider vers la rédemption et la paix. Je vous remercie, Nunael, pour la confiance que vous placez en moi. Ensemble, faisons de ce tribunal un phare de justice, de compassion et d’amour, un reflet des valeurs éternelles qui nous guident tous. »

Sur ces mots dignes, il quitte la scène pour s’asseoir à côté des autres élus.


Nunael reprend la parole :

— « Enfin, il me reste un ange à remercier pour avoir accepté cette fonction aussi importante que difficile : prendre en charge les âmes que le Tribunal aura jugées coupables et les guider vers une quête de rédemption. J’ai préparé pour cela un lieu dont le nom résonne sinistrement dans bien des esprits, bien que la réalité que j’ai choisie ne soit pas ce monde morbide où des volcans de lave se déversent dans des plaines moribondes ! Dans sa jeunesse, il a appris à lire et à écrire dans le plus grand secret… À son époque, l’esclavage était son quotidien, un destin contre lequel il s’est battu. Grâce à l’écriture, il a pu s’émanciper et il a fait de sa plume une véritable arme pour défendre la fin de l’esclavage. Mais il n’était pas seulement un abolitionniste, il était également un fervent partisan des droits des femmes. L’égalité pour tous, quel que soit son sexe et sa couleur de peau ! »

Elle tend sa main vers le public :

— « Frederick Douglass, vous avez souffert et cette souffrance a également été votre force. Je suis donc persuadée que vous aurez la capacité de traiter comme il se doit les âmes et les anges qui vous seront confiés. Vous trouverez les châtiments à la mesure de leurs crimes et vous saurez leur ouvrir une porte vers la rédemption quand votre instinct vous le dictera. Merci à vous ! »

Un homme noir, les cheveux en bataille et vêtu d’une vieille redingote descend les marches. Une fois à côté de Nunael, d’une voix forte mais posée, il déclame :

— « Aujourd’hui, j’accepte cette mission avec humilité et détermination. Mon passé de souffrance et de lutte contre l’injustice me prépare à comprendre et guider les âmes qui me seront confiées. L’Enfer ne sera pas seulement un lieu de punition, mais aussi de pardon. Chaque âme a une histoire et une chance de retrouver goût à une vie meilleure. Mon engagement est de diriger avec compassion, équité et sagesse, en offrant à chaque âme la dignité et le respect qu’elle mérite. Merci pour votre confiance, Nunael ! »

Sur ces mots suivis d’une chaude ovation, Frederick rejoint le dernier siège qui l’attend.

Désormais tous les sièges devant Nunael sont occupés. Chacun s’attend à ce que la cérémonie prenne fin mais Nunael réserve une dernière surprise.

— « Chers amis, puisque vous avez accepté ces responsabilités ô combien importantes pour moi, en retour, je me dois de vous récompenser. »

À une dizaine de mètres d’elle, une lumière apparaît devenant de plus en plus vive. Au bout de quelques minutes, elle a pris l’apparence d’un portail.

— « Entrez, je vous en prie ! »

Après un longue hésitation, Hypatie se lève la première et obéit. Baignée d’une lumière éclatante, elle s’avance. Ses yeux brillent de curiosité et d’excitation. Hypatie s’arrête un instant, prend une profonde inspiration, puis franchit le seuil. Une chaleur bienveillante l’enveloppe et efface toute trace de peur et de doute. Elle sent ses cheveux, jadis retenus en un chignon austère, se déployer en cascades soyeuses. Son corps tout entier se transforme, grandit. Ses traits se métamorphosent, gagnent en douceur et en sérénité. Des ailes diaphanes, nimbées d’une douce lumière, se déploient dans son dos. Soudainement, tout disparaît. Pendant quelques instants, elle ferme les yeux, étourdie par ce qui lui arrive. La douce voix de Nunael la ramène peu à peu la réalité, une nouvelle réalité.

— « Hypatie, vous êtes ma première Archangélique ! »

Le monde lui semble étrangement plus petit. En fait, elle est désormais presque deux fois plus grandes qu’avant. Rassurés et fasciné par la beauté d’Hypatie, les autres anges s’enhardissent et pénètrent chacun leur tour dans le portail.

Dans un dernier déluge de notes, Franz Liszt, accompagnés de violons et violoncelles entame un final en apothéose. Voilà, les âmes sont désormais des anges. Ils disposent de leur propre monde. Ils doivent désormais trouver leur nouvelle destinée sous l’égide d’archanges aussi magnifiques qu’intimidants.




lecture 2 lectures
thumb 0 commentaire
1
réaction

Commentaire (0)

Tu dois être connecté pour pouvoir commenter Se connecter

Tu aimes les publications Panodyssey ?
Soutiens leurs auteurs indépendants !

Prolonger le voyage dans l'univers Fantaisie
Je suis las et tu es là
Je suis las et tu es là

Auguste marchait depuis des heures dans cette forêt dense et il ne voyait pas à plus de 20 mètres d...

Algomius
14 min

donate Tu peux soutenir les auteurs qui te tiennent à coeur

promo

Télécharge l'application mobile Panodyssey