Féminisme et maternité : comment les concilier ?
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Féminisme et maternité : comment les concilier ?
J’ai un secret inavouable… Je déteste l’idée de faire partie du “club des mamans”.
Tout commence il y a sept ans, lorsque j’ai formulé à voix haute mon envie d’avoir un bébé. En effet, je crois que ma première réaction a été de considérer mon désir de maternité comme un peu honteux.
Je ne l’ai pas vraiment pensé de façon consciente à l’époque. Mais le simple fait de regarder l’émission des Maternelles, me mettait mal à l’aise. Comme si je me trahissais.
Comme s’il m’était impossible de faire cohabiter en moi féminisme et maternité. J’avais l’impression que je reniais forcément l’un en désirant l’autre.
Itinéraire d’une enfant gâtée
Féminisme et maternité : la recette de la dissonance cognitive
“Le terme [dissonance cognitive] désigne (…) la tension qu’une personne ressent lorsqu’un comportement entre en contradiction avec ses idées ou croyances.” Définition Wikipédia.
Avec ma posture d’intellectuelle, mes opinions féministes, mes ambitions de carrières littéraires, mon goût du débat animé… Rien dans le tableau de ma personnalité ne cadrait avec la grossesse ou la vie de famille.
J’ai donc fait de ma vie de mère un véritable jardin secret. C’était un sujet que je n’abordais jamais à l’extérieur, au travail ou avec des connaissances. Notamment, par peur de perdre en crédibilité.
Pendant longtemps, si un·e collègue me demandait des nouvelles de ma fille, je pensais “Poserais-tu la question à un homme ?”. Aujourd’hui encore, je ne me sens pas à ma place parmi les mères devant l’école.
En écrivant, je me rends compte du jugement terrible que je porte moi-même sur les mères. Un cliché, un biais, que j’ai probablement intégré depuis toute petite : l’activité de mère n’est pas louable en soi. C’est un devoir qui n’est en rien gratifiant.
Femmes des années 1980…
Je suis née dans les années 1980. Nos mères et nos grands-mères ont fait partie de cette génération qui s’est battue pour le droit à disposer de leurs corps. Entendez : à prendre une contraception, à avorter, à accoucher sans douleur…
La maternité non choisie était alors vu comme la pire forme d’enfermement pour une femme. Il fallait être libre, indépendante et donc sans enfant. En tout cas pas tout de suite, pas avant de l’avoir décidé.
Mes parents sont donc de cette génération et ils ont eu leur premier enfant à 27 ans. Autant dire qu’ils étaient des vieillards pour des jeunes parents à l’époque. Avant ça ils ont voyagé, fait la fête, et profité comme aucune génération avant eux.
Construction d’un schéma familial classico-classique
Comme tous les baby boomers, leurs carrières respectives étaient sur des rails et ronronnaient. Mais rapidement, la carrière de mon père a décollé. Le genre de promotion qui fait qu’on n’est pas chez soi avant 21h et que les déplacements sont fréquents.
D’une façon extrêmement moderne pour l’époque, je sais que mon père a demandé à ma mère ce qu’elle pensait de tout ça avant d’accepter. Il voulait être sûr qu’elle soit à l’aise avec l’idée que leurs investissements respectifs à la maison et auprès des enfants allaient devenir très inégaux.
En bref, elle allait devoir assumer pendant qu’il s’éclatait au boulot. Le couple de hippies idéalistes se glissait lentement dans le costume de la classe moyenne.
Elle lui a donc laissé la voie libre pour s’investir professionnellement. Et cela marque le début des inégalités au sein de leur couple.
Soyons clairs : à de rares exceptions près, le modèle de la femme subvenant aux besoins financiers de sa famille pendant que monsieur assurait le quotidien, n’existait tout simplement pas à l’époque.
De la maman has-been à la wonder-mère
Le poids d’un schéma millénaire
Pour autant, ma mère n’a jamais arrêté de travailler, comme je l’ai déjà expliqué ici.
Elle a donc porté seule pendant des années la charge mentale du foyer.
Liste non-exhaustive :
- Prévoir le déroulé des journées de ses enfants.
- Imaginer les modes de gardes et les solutions en cas d’imprévu (à une époque où les portables n’existaient pas)
- Gérer toute l’intendance de la maison.
- Satisfaire un patron et aller travailler à l’extérieur.
- Passer des heures infinies dans les transports en communs de la région parisienne.
- Anticiper pour être à l’heure partout, tout le temps.
- Rester souriante, heureuse, attentionnée, féminine, sociable, amoureuse…
…Et ne jamais se plaindre, car ce schéma de vie était le seul proposé à la classe moyenne des années 1980/1990.
« Cherry on the cake », tout ce travail invisible, ces sacrifices, cette fatigue ne brillaient pas dans les dîners entre amis du weekend. Seule la réussite professionnelle et sociale des maris – des papas – était valorisée.
Ainsi, une femme pour réussir, devait être entièrement détachée des préoccupations de mère.
Indubitablement, nous étions dans le creux de la vague du mouvement féministe.
La théorie de la grenouille
Mais, à l’image de la grenouille qui accepte son sort à condition qu’on la fasse bouillir lentement, je pense que les femmes de cette génération n’ont pas vu le piège. Car contrairement à leurs mères, elles avaient eu accès au choix qui libère : des enfants quand je veux, avec qui je veux.
Finalement, le combat féministe était un peu derrière elles. Et dans l’inconscient collectif, celles qui désormais choisissaient de dépendre de leur mari en restant à la maison à élever 12 gosses, devaient assumer.
Je pense qu’à cette époque, les femmes se sont persuadées qu’elles étaient arrivées au bout du combat, que l’égalité était atteinte en réglant la question des grossesses non désirées. Elles maîtrisaient finalement ce corps qui les avait entravé depuis la nuit des temps.
Génération post-MeToo
Ainsi, le fossé entre cette génération et la nôtre me semble abyssal.
Comme si après Me Too, les femmes avaient d’un coup regardé leurs vies avec beaucoup de recul, observé leur condition de façon objective, en démontant un par un les biais cognitifs.
La grenouille a sauté de la marmite en pleine cuisson.
Elles ont alors vu les silences, les situations considérées comme normales, les “c’est comme ça”, les “ça ne se fait pas”, l’auto-censure, les tabous, les hontes… Et avec leurs nouveaux yeux, elles se sont dit qu’il n’était pas acceptable de vivre comme ça. Que leurs vies n’avaient pas à être une succession de vexations et de silences.
Des sujets dont nous n’entendions jamais parlé ont alors émergé et ont commencé à être pris au sérieux : les violences conjugales, les féminicides, le harcèlement de rue, le mansplainning, le consentement… Pour ne citer que ceux-là.
Dépoussiérer l’image de la maman
Mais s’il y a un champ qui s’est ouvert, c’est bien celui de la parentalité, de la maternité.
Avant 2019, je n’avais par exemple jamais entendu parler des difficultés psychologiques et physiques du post-partum. J’étais d’ailleurs en plein dedans, et je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait.
Je garde de cette période le souvenir d’un long tunnel brumeux dans lequel j’ai beaucoup pleuré, en cherchant seule la sortie.
On ne m’avait jamais parlé de souffrance maternelle. Alors que finalement, nous devrions arrêter de ne parler aux femmes que de l’accouchement comme de la pire épreuve de leur maternité. Nous avons la responsabilité de leur dire aussi à qu’il est important de s’entourer de personnes ressources et de prendre soin de leur santé mentale.
C’est donc en découvrant ces sujets qui résonnent profondément en moi, que je me suis rendu compte du peu de place que l’on laissait à la parentalité dans l’espace et le débat publics. Cela reste encore trop souvent un sujet de femmes, que l’on évoque uniquement dans l’intimité des foyers.
La maternité est encore trop souvent associée à l’image béate d’une femme qui désormais ne vit qu’à travers ses enfants.Personne ne parle des backstages et nous avons trop peu d’exemples de mères un peu badass.
Je n’avais par exemple, jamais eu accès à des histoires de mères qui réussissent professionnellement. Le “club des mamans” était encore trop souvent synonyme de femmes qui mettent leurs ambitions de côté et qui se sacrifient pour leur famille.
Alors, comment être mère et avoir des idées politiques ? Des envies professionnelles ? Comment marier féminisme et maternité en restant cohérente ?
Tire-lait et barricades
Depuis 2 ans, j’ai découvert des femmes qui ont dépoussiéré le sujet, et se sont donné pour mission d’en parler, d’éveiller les consciences : des mères entrepreneures et des mères politisées.
Des femmes comme la journaliste Clémentine Sarlat, la créatrice du Podcast Bliss Stories Clémentine Galley, La fondatrice de Tajine Banane Alison Cavaille, ou la sage-femme Anna Roy, la sociologue Illana Weizman… (Instagram vous tend les bras pour suivre leurs comptes. Go !)
Ces femmes glorifient la maternité, en font le sujet de leur vie, font la promotion de l’allaitement et défendent le droit à l’avortement en même temps. Elles semblent véritablement s’épanouir et trouver leur force dans la parentalité, loin des clichés roses bonbons et cucul la praline.
J’avoue qu’elles ont bousculé tous mes codes. Car, ce sont des femmes fortes, indépendantes, qui entreprennent, qui parlent, donnent leur avis sans qu’on leur demande… De véritables féministes donc.
Mais ce sont aussi des mères maternantes, des femmes qui allaitent leur enfant, qui font l’éloge parfois de l’accouchement sans péridurale, à domincile…
Comment peut-on être féministe et revendiquer que le plus beau rôle de notre vie est celui de mère ? En effet, pour moi, la femme féministe par excellence c’est Gisèle Halimi, Simone Veil… Des dames que l’on n’imaginerait pas en train de changer une couche.
Mais c’est ça pour moi le nouveau féminisme. Nous devons utiliser la maternité comme un levier pour faire bouger la société toute entière. Et pour cela nous disposons de deux armes : la promotion du corps féminin et l’éducation des générations futures.
Leçons de féminisme
Montrer des vraies femmes, un premier pas.
Les hommes se sont depuis la nuit des temps emparés de la représentation du corps féminin. Vénus, Vierge Marie, calendrier Pirelli, porno… vous voyez l’idée.
Ils en ont été les seuls promoteurs, l’ont modelé selon leur idéal. Ils en ont fait un objet publicitaire normé, lisse, imaginaire et inintéressant. Bref, ils ont finalement dépossédé les femmes de leur propre image.
Heureusement les lignes bougent. Les féministes d’aujourd’hui se le réapproprient, le célèbre d’ailleurs dans toute sa diversité et toutes ses facettes : règles, post-partum, grossesse, endométriose, poils, allaitement, ménopause…
Les femmes se montrent – enfin – telles qu’elles sont et mettent fin aux tabous, aux silences et aux hontes, comme j’en avais déjà parlé lors de mon article sur le corps en post-partum.
Mais cela n’a pas toujours été le cas…
L’héritage de Simone de Beauvoir
« L’allaitement est aussi une servitude épuisante (…) c’est au détriment de sa propre vigueur que la nourrice alimente le nouveau-né. »
Citation du Deuxième sexe, Simone de Beauvoir.
Comme le résume très bien cet article de la Leche League, deux visions du féminisme s’affrontent lorsque que l’on aborde la maternité :
- d’un côté la maternité est vu comme une preuve de la puissance de la femme,
- de l’autre, comme un asservissement qui ne permettra jamais aux femmes d’atteindre la parfaite égalité.
Depuis l’après-guerre jusqu’à la fin des années 1990, les plus grandes féministes françaises appartenant généralement à la deuxième catégorie, des générations entières de femmes ont plutôt eu tendance à vouloir nier leur biologie pour se hisser au même rang que les hommes.
Peu importe le périnée en vrac et les hormones dans les chaussettes, elles étaient back to business après 2 mois de congés maternité. Les dents serrées et le tailleur pantalon bien ajusté.
Les chiffres de l’allaitement à cette époque sont d’ailleurs sans appel :