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Vie et mort d'une goutte d'eau sur un pare-brise

Vie et mort d'une goutte d'eau sur un pare-brise

Publié le 27 sept. 2024 Mis à jour le 27 sept. 2024 Drame
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Vie et mort d'une goutte d'eau sur un pare-brise

Il faisait sombre, si sombre qu’on ne pouvait distinguer la ligne d’horizon du ciel noir d'encre. Des nuages lourds s’amoncelaient, menaçant de cracher leur colère à tout moment. Une voiture solitaire roulait sur une route sinueuse, ses phares perçant à peine le voile épais de l’obscurité. Le moteur ronronnait doucement, mais l’habitacle était enveloppé d’une inquiétante tranquillité, une tranquillité oppressante, presque sourde, qui donnait l’impression que quelque chose, quelque chose de terriblement malveillant, rôdait dans les ombres.

Et puis, la pluie arriva.

Les premières gouttes tombèrent avec une lenteur presque calculée, comme si elles prenaient plaisir à s’annoncer une par une, comme des éclaireurs d’un cortège funèbre. Elles s’écrasèrent contre le pare-brise, éclatant en minuscules éclats de vie, s’étalant et disparaissant dans une course effrénée vers les bords de la vitre. La voiture avançait toujours, ignorant leur présence, ou du moins, c’est ce que le conducteur voulait se dire.

Mais une goutte, une seule, refusa de se laisser emporter.

Elle n’était pas comme les autres. Elle avait vu des choses. Elle avait senti les pulsations de la terre, avait voyagé dans le ciel, et maintenant, elle était là, suspendue au milieu de l’univers froid, sur ce bout de verre tremblant, une sentinelle silencieuse. Elle n’était pas seule, pas vraiment. Autour d’elle, des centaines d’autres gouttes tombaient, glissaient, et disparaissaient, mais cette goutte-là savait que quelque chose se préparait. Une force invisible et sinistre semblait l’attirer vers le sol, comme une main froide qui la tirait inexorablement vers la fin.

Elle résista.

Les essuie-glaces de la voiture, jusque-là immobiles, se mirent soudainement à balayer le pare-brise. Le bruit métallique et régulier du caoutchouc contre le verre résonnait comme un râle funeste, un avertissement que peu importe les efforts, peu importe la détermination, la fin était proche. Très proche. La goutte sentit un frisson la traverser, mais ce n’était pas la peur… c’était autre chose, quelque chose de plus ancien, plus profond. C’était un pressentiment, une intuition obscure qu’elle ne pouvait expliquer.

Le premier mouvement de l’essuie-glace la fit tressaillir. Il passa juste à côté d’elle, frôlant sa surface délicate, mais sans la toucher. Le second, cependant, était plus proche, beaucoup plus proche, si bien qu’elle sentit une violente décharge d’énergie la traverser. Elle lutta, désespérée, pour ne pas être arrachée de sa place. Le vent se levait, et la voiture roulait toujours, plus vite, plus déterminée, tandis que la tempête s’intensifiait.

Elle se cramponna au verre comme une âme damnée s'accrochant à son dernier espoir. Mais il y avait plus que de la simple pluie dans l’air. Une présence… oui, une chose ancienne et malveillante flottait dans cette tempête. Quelque chose d’invisible, mais pourtant terriblement réel. Et cette chose la regardait.

Les essuie-glaces se mirent à battre plus fort, de gauche à droite, dans un rythme mécanique, inhumain. Le conducteur, les mains crispées sur le volant, ne le savait pas encore, mais cette tempête n'était pas naturelle. Pas un hasard. Une forme se dessinait dans la brume de la pluie, une silhouette floue, spectrale, qui suivait la voiture à travers la nuit. Le moteur grognait tandis que le véhicule accélérait, fuyant une terreur inconnue qui semblait se resserrer sur elle, sur cette petite goutte qui tenait toujours bon, défiant la mort.

Mais alors, quelque chose changea.

La goutte sentit une force colossale la soulever. Ce n’était pas l’essuie-glace, ni le vent… c’était cette présence. Elle savait maintenant qu’elle n’était plus qu’un jouet dans un jeu macabre, un pion sur un échiquier où les règles étaient décidées bien au-delà de la compréhension humaine. Quelque chose s'éveillait sous cette pluie. Quelque chose de monstrueux et d'ancestral. Et la goutte comprit qu’elle faisait partie de son dessein.

Elle avait été choisie.

Elle glissa soudainement vers le bas du pare-brise, attirée par une force magnétique, irrésistible. Le monde autour d’elle se déforma, devenant flou, irréel, comme si les lois de la physique elles-mêmes étaient brisées. Elle essaya de résister, mais c’était inutile. Le pare-brise n’était plus une simple surface de verre ; il était devenu une sorte de portail, une fenêtre vers quelque chose de bien pire que le néant.

Les essuie-glaces passèrent une dernière fois, balayant tout sur leur passage, y compris la goutte. Elle se brisa en mille éclats, projetée dans les airs, mais au lieu de tomber comme les autres, elle fut attirée vers le bas, directement vers la route en contrebas.

Et c’est là que tout bascula.

Le bitume ne l’attendait pas comme un refuge. C’était une trappe, un gouffre qui s’ouvrait sous elle, avalant la goutte sans une seule trace de son passage. Elle fut engloutie dans les ténèbres, un tunnel sans fin, descendant toujours plus bas, jusqu’à ce qu’elle atterrisse sur une surface humide et visqueuse.

Un son sinistre résonnait autour d’elle, un murmure de voix désincarnées qui chuchotaient des secrets interdits. Elle n’était plus qu’un fragment d’elle-même, mais pourtant, elle percevait tout. La pluie qui tombait, les arbres qui se pliaient sous le vent, la terre qui tremblait légèrement sous un poids invisible. Elle faisait désormais partie de ce royaume étrange, un royaume où les rêves se tordaient en cauchemars.

Mais ce n’était pas tout.

Autour d’elle, d’autres gouttes s’étaient rassemblées. Elles aussi avaient été prises, arrachées à leur trajectoire naturelle, et jetées dans ce monde cauchemardesque. Ensemble, elles formaient une rivière, mais pas une rivière d’eau… Non, c’était une rivière d’âmes perdues, des gouttes maudites qui glissaient lentement vers un océan d’oubli.

Un océan qui les attendait patiemment.

Dans la voiture, le conducteur, ignorant tout de ce qui venait de se passer, accéléra encore. Ses phares crevèrent la nuit comme des poignards, mais ils ne virent rien de ce qui se jouait juste au-delà de leur portée.

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