Esprit canin pas bien malin… la mort.
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Esprit canin pas bien malin… la mort.
L’âme de la petite sirène venait de quitter son corps. Elle s’était métamorphosée en une étincelle, visible de la partie nord des nuages de Koort, et éclairait le ciel de sa lumière triste. Les vagues qui ceinturent Éris, la planète principale du soleil vert, déroulaient leurs mauvaises humeurs sur la plage, si sauvages, salées et bruyantes. La forte houle de ce jour-là dominait le brouhaha de la foule de badauds qui s’agglutinait autour de la scène de crime. Ces gens voulaient tout savoir, car ils n’avaient rien vu…
Qui a tué la petite sirène ?
La police, informée par un appel anonyme, devait réagir. Le fier commissaire Lévrier, très monté collet, convoqua son meilleur inspecteur, décidé à lui confier les rênes de l’enquête :
— Pittbuuull, dans mon bureau !
Ce dernier, habitué au ton de son supérieur, ne s’en offusqua pas, et alla recueillir les dernières nouvelles.
— M’sieur ???
— Inspecteur, l’indice du crime vient de monter, et vous savez que j’ai une sainte horreur de la mer, et de ses hausses statistiques ! Les deux m’irritent.
— Bien monsieur. De quoi s’agit-il ?
— Un meurtre, Pittbull ! Un meurtre dans ma juridiction, vous vous rendez compte ?
— Pas vraiment, non.
— Le préfet est dans tous ses états. C’est le premier, et je veux, nous voulons, que ce soit le dernier ! Trouvez-moi le coupable !
— J’ai carte bleue ?
— Évidemment, inspecteur. Vous avez quarante-huit heures, et pas une nanoseconde de plus !
— Dans ce cas, permettez-moi d’aller de ce pas débuter cette enquête.
— Une équipe vous attend sur le terrain, et dégotez-moi au plus vite cet assassin, ou je vous colle à la circulation ! Compris ?
Quand l’inspecteur arriva sur la plage, le corps avait disparu, mais il restait des indices, et des tas de gens face à l’océan. Tous ces coupables complices, il ne pouvait pas les embarquer, le fourgon étant trop petit. Alors, il se pencha sur les objets qui jonchaient le sable du sol : un poignard, un revolver, un flacon de poison, une corde, et un gourdin préhistorique. Plus quelques traces de pas. Joli prodrome ! Tout un arsenal qui laissait entrevoir le pire, la petite avait dû souffrir le martyre. Son regard fut attiré par une ficelle, qui se révéla être un collier. Sur le fermoir, un motif, une sorte de mosaïque composée de quatre potences. Il le ramassa et se tourna vers un inconnu qui portait un brassard de police :
— Hep, vous, là !
— Inspecteur ?
— Mettez cette croix gamma dans les pièces à conviction !
— Si je peux me permettre, monsieur, cette pièce n’est pas plus une croix gamma, qu’une croix gammée.
— Qu’est-ce que tu en sais, toi ?
— Mon père est hindouiste.
— Et alors ?
— C’est un svastika, un symbole religieux.
— Mets ce swastouska dans un sac et n’en parlons plus ! De toute façon, je ne crois pas aux pouvoirs de ces bouts de bois, moi.
L’inspecteur Pittbull fit un effort pour ôter l’horrible grimace qui déformait sa face, celle indiquant qu’il était contrarié. Il s’éloigna en direction d’une grosse pierre, sur laquelle il trouva un chapelet usé.
— Mais c’est quoi ce bordel ? C’est un véritable sanctuaire, ici ! Personne n’a fait le ménage sur cette plage.
— Le service de nettoyage est en grève depuis quinze jours, monsieur.
— Et pour quelle cause ils revendiquent, cette fois ?
— Des tulipes, m’sieur, ils veulent plus de tulipes !
— Là, je leur donne raison. Et toi, t’es qui ? Je ne t’ai jamais vu.
— Stagiaire Basset, votre adjoint depuis deux heures dans la brigade. À vos ordres !
— Rompez, nous ne sommes pas dans la gendarmerie, ici.
Basset cessa son garde-à-vous.
— Et remplis le sac, n’oublie pas de lui attribuer un numéro, ce serait trop bête de perdre un indice par une simple erreur de classement !
Un peu plus loin, l’inspecteur s’interrogea à voix haute sur ce qu’il venait de ramasser. Le stagiaire Basset le suivait comme son ombre.
— Qu’est-ce que c’est que ce truc, là ?
— Une écaille, inspecteur.
— Elle est rouge.
— Non, verte.
— Tu en es sûr ? Je la vois rouge, pourtant.
— Seriez-vous daltonien, inspecteur ?
— Que fait-elle là ?
— Personne ne vous a prévenu, monsieur ?
— Que diable a-t-on oublié de me dire !
— La victime…
— Quoi la victime ?
— Eh ben, c’est la petite sirène aux écailles vertes.
— Oh, non, pas celle de Koort ! J’ai vu tous ses films dans mon enfance.
— Toutes mes condoléances, inspecteur.
— Quel imbécile tu fais, je ne suis pas de la famille.
— Oh, pardon… Ça m’a échappé…
— Aide-moi plutôt à retourner la plage, rien ne doit nous échapper !
Pittbull et Basset ne firent pas attention aux sept lunes aux six couleurs, qui perçaient l’horizon. Une rouge ambrée, une bleu-violet, une verte, une jaune, une indigo, une crème, et la dernière presque noire, trouaient l’atmosphère dans le ciel sans comète. Un vent de mer soulevait quelques mystères près des sumacs vinaigriers, des érables, et des pins. Un fin observateur pouvait voir des cocons voler, et la métamorphose de petites bêtes en papillons. Trêve de digression, dans leur quête, ils avaient trouvé d’autres objets, et se demandaient de plus en plus ce qui avait bien pu se passer sur cette plage aux coquillages et crustacés. Une étoile de David et un article hétéroclite qui leur posa bien des problèmes d’identification : à première vue, une simple massue hérissée de multiples pointes en or. Après vérification auprès du central informatique, ils apprirent qu’il s’agissait d’un vajra. L’arme du dieu Indra ; celle qui, selon la légende, est à l’origine de la foudre. Mais ce n’était pas tout : un médaillon aux symboles de l’islam alla lui aussi rejoindre le lot des pièces à conviction. L’inspecteur Pittbull se grattait la tête, une punaise le démangeait ainsi que quelques questions. La première, et pas la moindre, était celle-ci : que venait faire toute cette quincaillerie religieuse dans une histoire de meurtre ? Sans réponse, l’inspecteur décida d’aller faire la sieste, une petite heure, avant de plonger dans le monde trouble des psychopathes et après, il irait manger. Personne ne peut réfléchir le ventre vide. L’inspecteur rêvait de quelques pâtes à la châtaigne et aux champignons des bois, accompagnées d’un Tokay, ou à défaut d’un Pinot noir. En fait, il mangea une cuisse de grenouille, deux tomates, un avocat, un poireau cru, et but de l’eau plate. Peu habitué à être difficile, il se dit qu’une seule personne à sa connaissance pourrait dénouer tous les fils de cette intrigue qui le laissait pantois. Pour l’instant, il avait des difficultés à proposer une labanotation sur cette chorégraphie macabre. La solution de facilité pour résoudre cette énigme serait d’interroger le grand ordinateur, le « vous avez un problème ? X2O a la clé. » Pour cela, il suffisait d’entrer les données et d’attendre que le nom du coupable sorte, puis de l’arrêter. Pittbull remua la tête. Peu convaincu par ces méthodes modernes, il prit deux décisions. En un, ne pas prévenir ses supérieurs, car ce sont des rabat-joie. En Deux, faire confiance aux pouvoirs du Mage, euh, le mage comment déjà ? Une petite perte de mémoire lui avait fait oublier son nom. Il connaissait sa profession, et pas son adresse. Le stagiaire Basset devrait pouvoir l’aider dans cette recherche… Il l’appela et lui demanda de le rejoindre à la poste du quartier. Heureusement pour eux, il n’y avait que quatre cent trois Mages dans le comté, et un seul Mage Juscule.
— 0229009215
— Qu’est-ce que tu attends Basset, le téléphone est juste devant !
Le stagiaire obéit :
— Ça sonne !
— Bien.
— Y’a personne !
— Patiente, Basset. La police est mère de toutes les patiences.
— Et aussi de la science… non ?
— Pas vraiment. Alors, il décroche ?
— C’est fou, la musique est jolie mais y’a pas de message. Ah si, j’écoute !
— Alors, qu’est-ce qu’il raconte ?
— C’est curieux… Le Mage donne son adresse, il habite au 10 rue Robespierre, aux îles « Scilly ».
— Bon, en route, nous n’avons pas de temps à perdre.
— C’est où, les « Scilly », M’sieur ?
— J’en sais rien, mais je fais toujours confiance au GPS de ma voiture.
Une heure plus tard, Pittbull et Basset se trouvaient face à un océan… de doute, une curieuse impression les accompagnait.
— Cap au 290°.
— Je sais mais là, c’est la mer…
— Normal, les « Scilly » sont des îles…
— Et comment on traverse ?
— Ben, doit bien y avoir des avions, ou un bateau de liaison.
Et en effet, les quais étaient déserts cependant, la navette d'approvisionnement assurait la liaison. Ils purent embarquer. Au grand étonnement du personnel naviguant, qui avait deux devises dans ce genre de situation : accepter les devises – surtout les dollars et les euros, et se moquer… de ces touristes improbables. La traversée fut facile, une légère brise levait de petites vagues dociles qui secouaient à peine les flancs du navire. L’île arborait des côtes saillantes, des pics de roches brunâtres, hautes falaises procurant harmonie, ou malaise, aux visiteurs qui découvraient ce paysage insolite, de schiste et de granit rose. Au bas de ces monstres de pierre, le contraste était saisissant à la vue de ces plages au sable jaune-vert fluorescent, parsemé d’algues bleu pourpre et de coques de coquillages, trompettes, ambre brûlé. Plus loin, une allée d’azalées rouges, corsetée de genévriers, pins douglas, et mimosas montrait la voie de la vallée où habitait le mage, comme le leur avait indiqué les écumeurs des mers, pas si sauvages que cela, presque civilisés. Ils se donnèrent rendez-vous le dix-sept de ce mois, revenir vers le continent n’étant pas chose aisée. Le capitaine leur apprit qu'à cette date, si le vent ne devenait pas ténébreux, l'Aigue-Marine, son bateau, jetterait l'ancre en fin de soirée sur la pointe Est de cette baie. Ils y débarqueraient les provisions, un acte de quelques heures, entre deux marées. Les deux acolytes débarquèrent sur l’île sans se méfier de la légende des ailes du Léviathan. Les « Scilly » étaient connues pour la peur qu’accompagnaient ses mystères, mais pas par Basset et l’inspecteur Pittbull, eux, marquant l’abîme de leur ignorance sur ce sujet. Pour l’heure, les deux policiers ne possédaient pas d’autre souci que de lever le pied, en promenant nonchalance et innocence, sur ses terres. Et ils cherchaient surtout à éviter de se mouiller le bas du pantalon, dû à cette présence d’un champ de hautes herbes, fraîchement arrosée d’eau de pluie. Ici, l’on entendait le souffle du volcan, poumon de l’île, jamais il ne s’éteignait. Le soufre nourrissait la terre de son acidité, et son ingérence dans le sang végétal avait rendu fou plus d’une conscience. Nos deux compères, égarés dans la campagne, manquaient de repères pour trouver la maison du Mage Juscule. Des fleurs des neiges, nacrées, intriguaient par la magnificence de leur éclat blanc laiteux et le contraste saisissant de leurs cœurs orange sanguins. Une odeur de pollen, aux effets pervers psychotropes, rendait heureux ceux qui marchaient sur ces sentiers à l’herbe ocre jaune. Basset et Pittbull, légèrement euphoriques, franchissaient presque cette limite de la raison, celle d’oublier la petite sirène de Koort, sa mort, et leur quête de vérité. Et puis les sons, les bruits des bois qui les entouraient, se firent de plus en plus pressants… des cris de singes hurleurs, des crapules de crapauds qui copulent, des insectes, des colibris, semèrent de la frayeur dans leurs sens. Les villes sont polluées par les excédents sonores, voitures, tramway, patinettes, trottinettes et pétrolettes, sans parler des voix, des gens qui déambulent en chantant dans les rues. Dans ces cités, il faudrait être aveugle, ou sourd, pour ne pas savoir que le silence ne pouvait pas exister ! Mais que dire alors de cette forêt ? Elle qui, au fur et à mesure de leurs pas, s’éveillait, et ôtait son masque de courtoisie, devenant arrogante, effarante, cauchemardesque. De la pure peur en jus devenait leur adrénaline. Le stagiaire Basset, en bon imbécile heureux, vit une fleur tige verte, et gueule ouverte. Saisi d’un excès romantique, il voulut la cueillir… La plante, ulcérée, se mit en colère, montra des dents – non, plutôt des crocs. Elle devint gigantesque et se mit à mordre à tout- va. Ce végétal devint plus contrariant qu’un moustique, fût-il futé, ou tsé-tsé. Une crise soudaine de croissance qui contraria en tous points l’inspecteur Pittbull, loin d’apprécier la valeur ajoutée esthétique de la métamorphose. Il cria sur son adjoint des mots, une association désordonnée d’injures citées ici dans le désordre : face de babouin écrasée au rouleau compresseur, espèce de cornichon à hélices, tête de champignon radioactif, excrément des montagnes rocheuses, gastéropode à la poudre de perlimpinpin. La liste n’étant nullement exhaustive, émise dans le feu de l’action, la dernière expression fut celle-ci : « Par les milles dents d’un T-Rex, cours ! » En effet, vu la situation, l’urgence devenait nécessité, ne plus hésiter, s’ils ne voulaient pas crever, asphyxiés, dans du suc gastrique. L’oxygène les empêchait de penser, entièrement occupé à alimenter leurs muscles. Ni Basset, ni Pittbull n’émettaient de plan pour un futur, fût-il proche, seulement de l’acide lactique. Ils couraient comme deux vaches folles voulant s’échapper du Diable Vauvert. Les bouleaux, les cornouillers, les frênes, les genêts, les saule à oreillettes ou les énormes ormes semblaient avoir oublié, en une faction de seconde, leur nature pacifique et montraient leur faim de chair fraîche. Les marins qui les avaient si gentiment déposés sur l’île leur avaient caché ce comité d’ accueil, digne des plus grands carnavals gore. Mais là, point de déguisements : des mugissements, des ventres avides, des claquements de dents, des gueules qui s’ouvrent et volent vos pensées, les plus intimes. Les deux policiers ne cherchaient plus rien, ils couraient sans se retourner, sans même croire en une chance unique de survivre à ce conglomérat de salade anthropophage. Rien, que du noir, plus d’espoir, et soudain, la délivrance, un rayon de soleil, une clairière et des truffes. Sauvés. Pittbull et Basset se congratulèrent. Après tant d’efforts, comme le vent, ils soufflaient enfin. Face à eux, sortant de l’ombre des bois, une maison de campagne aux verres mutants leur faisait de l’œil, et tout autour proliféraient des inflorescences à l’allure sage, pissenlits, et myosotis, un semblant de repos après cette course pour se sauver des crocs floraux. Les architectes radicaux de ce lieu, inspiré de projets antérieurs aux années 1960, proposaient une structure d'habitation qui ressemblait plus à des cubes stables qu'aux foyers néo-classiques en vogue sur Éris. D’habitude, les maisons sont faites de murs composés de bulles gonflables, transformables à volonté, et surtout légers, donc portables, fabriqués dans cette matière simple, le plastique. Elles sont vendues par lots de cinq, et aux trois couleurs primaires, jaune, bleu, rouge, plus une verte et une blanche, évidemment interchangeables, selon les goûts de chaque voisin. Ici, rien de tout cela, l’auteur de cette maison de rêve qu’ils découvraient éberlués, avait pêché des idées, en s’opposant à ce concept du gonflable modulable. L’architecte s'inspirait des fantasmes de l’interdit transparence, en habillant de lumières fluorescentes les murs translucides, et d’une audace rectangulaire qui, décidément, ne manquait pas de charme. Le duo était arrivé, en conservant tous ses membres intacts. Enfin, c’était la question qu’ils se posaient. Pittbull et Basset se mirent à converser, de tout et de rien, un peu pour oublier cette frayeur :
— Magnifique, ce domaine, dommage que les fleurs soient aussi gloutonnes.
— Vous n’avez rien, Inspecteur ?
— Aucun stupéfiant, rien à déclarer !
— Ne croyez pas que je vous dédouane, Monsieur, mais j’avoue que j’en ai bavé, pas vous…
— Même pas peur ! Allons Basset, sonne à cette porte !
Le stagiaire s’approcha de l’écriteau, très visible à cette distance, et lut à voix haute : Interdit aux chiens !
— Et alors ?
— Vous êtes sûr que nous sommes chez le vrai Mage ?
— N’en faites pas un faux Mage. Frappe et entre, c’est marqué dessus !
La porte s’ouvrit, d’elle même. Basset bâillait aux racines. Parfois, la peur rend imbécile. Une voix glauque se leva :
— Entrez, messieurs !
— Ben alors, qu’est-ce que tu attends ?
— Vous ! Vous le premier ! Moi je préfère toujours être le dernier, c’est une question de religion !
— Bon. Eh ben, j’y vais, moi ! Pas de problèmes…
L’inspecteur Pittbull, lui non plus, ne fit pas un pas, tellement l’effroi le glaçait. Au- dehors, le vent chantait une douce litanie qui volait, sans ailes, vers le ciel ouvert au bleu sincère. L’absence du soleil vert ne couvrait plus ce désir de tout effacer, de se faire souris, et de s’éloigner de cette prairie aux mille artifices, mine de folie. L’envie d’aller dans l’espace, un petit voyage au Moyen-âge, ou en Turquie se faisait de plus en plus présent, presqu’un temps à respecter. Et justement, plus de possibilités d’avancer. Pittbull et Basset étaient comme collés aux miroirs de leurs incertitudes, un grand plongeon dans la fosse aux dragons, les dragées de la conscience fondaient sur les revers incandescents de leurs raisons. La peur, en l’occurrence, est un merveilleux trublion, soit elle arrête la pensée, soit elle l’active. Décidément, les êtres sont pleins de contradictions… Et c’est en cela que la nature est formidable !