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[...] D’une finesse extrême et incongrue, les entrées de ces bâtisses en argile pas cuite sont fermées par des portails en bois massif, sur lesquels sont cloués nombreuses plaques d’argent ciselé: soient-elles les entrées d'une maisonnette, d'une mosquée, d'une demeure de notables, ou d'un mausolée. Ces somptueux huis se referment tantôt sur le même néant qui désole leur extérieur, tantôt sur des trésors si humbles que nécessaires, tels que des bassines en plastique où égrainer la semoule, des réchauds où la faire cuire, des nattes sur lesquelles la manger, et sur lesquelles la digérer en digérant en même temps la chaleur de l’après-midi, tantôt sur l'émerveillement absolu. Il arrive que ces portails cachent une richesse aussi précieuse que inattendue. Environ sept-cent mille ouvrages manuscrites, conservés dans une ville de moins de cinquante mille habitants, dont seulement une poignée connaît l'arabe, parmi le peu de monde qui sait lire et écrire sur place. Des bibliothèques manuscrites privés d’une valeur inestimable à l’usage de quelques famille, souvent même pas fortunée, mais qui a su cumuler – comme toute autre marchandise transportée par les caravanes – la sagesse humaine de son époque. Et elle s’était couchée, cette sagesse, in folio, après avoir dit ce qu’il y avait de mieux à dire, dans un hic et nunc révolu depuis des siècles, mais indépassable comme tous les hic et nunc. Par définition.
Finie l’époque d’or de Sankoré, ce savoir s’était tût dans son silence d’encre, gardé par un peuple d'analphabètes vouant à l’écriture le culte qu’on doit à tout Dieu dont on ne connaît rien d’autre que la capacité de garder les choses dans l’Être, en les arrachant au néant auquel elles auraient été promises en son absence.
Au milieu de cela, les maîtres des lieux: des érudits dignes de la Cour de Frédéric II de Souabe. Ils règnent dans cet univers impérissable en boudant le défilement du temps des humains et le monde des contingences, comme seuls les dieux de l’Olympe eurent le droit de faire. Parce que l’humanité n’était qu’à ses débuts.
Extrait, "Autres Nomades" par Barbara Canova éd. Agna Tomboctou 2016
Gand Laetitia il y a 3 mois
Merci pour ce beau voyage