Regardez les humains dans un port de pêche. Leur regard est immédiatement attiré par le plus grand bateau, la plus haute proue, tout ce qui leur donne l’impression d’être si ce n’est dépassés, au moins dominés, parfois même écrasés. Quand ils baissent les yeux vers les plus humbles unités qui, elles aussi, se pressent le long du quai, le sentiment s’aligne pour devenir empathique, presque tendre. Soudain, le marin ne leur semple plus un rouage d’une machine inhumaine, mais un héros du quotidien qui part en mer pour nourrir les siens et ses semblables. Des hommes et des femmes qui affrontent les éléments sur des navires de moins de 12 mètres. Et même des chaloupes sans la moindre protection comme ces pirogues de Saint-Louis du Sénégal, photographiées par mon ami (et abonné d’Un jour en mer) Jean-Charles Baupin. Pour eux, la routine du travail n’existe pas. Quand la tempête les surprend au large, leur survie dépend de leur bateau et de leur sens marin, mais ils ne peuvent plus pêcher. Ils sont en mer « pour rien », gaspillant juste du temps et de l’énergie. Quand elle les cloue au port, ils ne peuvent toujours pas gagner leur vie. Et, pour l’essentiel d’entre eux, le renouvellement de la ressource, et donc le souci d’une prédation mesurée, durable, est plus qu’important : vital à leur survie de moyen et long terme. Mais, même ainsi, ces artisans qui représentent 90% des pêcheurs du monde, rapportent autant de poissons pour la consommation humaine et consomment huit fois moins de carburant que les flottes de navires industriels. Qui, elles, accaparent 80% des subventions… Vous avez dit bizarre ? Sans vouloir opposer ces deux formes de pêche, se poser la question c’est peut-être, aussi, y répondre.
Christophe Agnus
Photo Jean-Charles Baupin