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Lire le monde grâce à l'Histoire

Lire le monde grâce à l'Histoire

Publié le 22 août 2021 Mis à jour le 28 août 2021 Culture
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Lire le monde grâce à l'Histoire

Je ne crois pas avoir été un jour tellement intéressée par les mondes futuristes. Les récits imaginaires peuplés d'Intelligences Artificielles et de monstres aux formes exotiques ne m'attiraient guère, voire même m'ennuyaient. Je crois que la raison principale est que je n'y trouvais pas les réponses à mes questions. De manière générale, pendant longtemps, je m'intéressais moins à ce que nous allions devenir que ce que nous étions déjà.

Le futur, je crois que je me sentais en capacité d'agir dessus, de le changer, tandis que le passé était immuable, nous ne pouvions y échapper, et pour moi le meilleur moyen de le maîtriser était de le comprendre. Ce que je voulais, c'était déchiffrer comment le monde fonctionnait et surtout, pourquoi comme ça ? Qui, quoi l'avait façonné de cette façon ?

Cela me paraissait une évidence qu'en étudiant le passé, je remontrai à la source de tout. J'avais en tête l'image de la bobine de fil que l'on enroule jusqu'à trouver Ariane dans le labyrinthe. Mon Ariane à moi, c'était comprendre le présent grâce au passé.

 

Chacun son Ariane

 

J'ai découvert au fil du temps que c'était différent pour chacun, que nous avions tous adopté des manières de lire le monde singulières. Certaines personnes observent le monde à travers le prisme de la physique. Pour eux, le monde est un ensemble d'atomes, de matière et de vide. D'autres l'interprètent par le prisme des langues, des mathématiques ou de la géologie.

J'eus la bonne surprise de comprendre qu'en étudiant l'Histoire, j'étudiais le monde à travers l'invention d'autres disciplines. Je lisais le monde aux moyens de l'agronomie, de l'économie, de la chimie, des langages, des mathématiques, de la physique. La découverte de ces systèmes rationnels sont notre histoire : ils furent moteurs et mécaniques du développement des sociétés humaines.

Ces façons de lire le monde sont des grilles de lecture qui nous aident à analyser et catégoriser notre environnement. Elles sont constituées de discours que l'Humanité a créé afin de s'adapter et prendre des décisions en fonction de la logique adoptée. Ces modes de pensée s'apposent tels des filtres sur ce que nous voyons, sentons, expérimentons, prennent la forme de mots et constituent des idées. Au fur et à mesure que nous nous emparons de ces mots, nous commençons donc à apposer leur prisme sur notre réalité.

J'ai été frappée par cette idée quand j'ai lu le penseur Krishnamurti, en particulier par cette phrase :

« Ce sont les mots qui créés une séparation entre le fruit, la fleur, la plante et la racine ».

Selon cette idée, les mots ont le pouvoir de transformer notre vision du monde. Ainsi :

  • Les bébés voient des formes colorées et des choses qui bougent.

  • Les enfants voient des fleurs et des petites bêtes.

  • Les plus vieux ont le choix. Ils peuvent voir la fleur, le dahlia, la tige-le pistil-les pétales et dessus l'insecte, la mouche, le drosophile mâle. Ou tout ensemble, un amas d'atomes constitués en un système.

 

Ma réalité est désormais particulièrement transformée par le choix du prisme que j'ai choisi, qui est la discipline historique. Ainsi quand je suis dans une pièce, je ne vois plus seulement des meubles, des bibelots et de la tapisserie vieillie. J'y vois des chaises qui me content l'histoire du design et l'évolution des habitudes humaines, des motifs qui me rappellent l'époque de l'entre-deux-guerre et la volonté de s'échapper de la grisaille de 14-18 et dans les bibelots parsemés ici ou là, les traces du colonialisme et la mode de l'exotisme. Dans les intérieurs plus récents, on peut observer par exemple l'arrivée de la grande consommation et le développement du prêt à porter et des meubles en kit. Ainsi les couches successives des époques s'empilent les unes sur les autres jusqu'à créer un mille-feuille de mémoires. Pour moi l'archéologie débute dans la pièce où je me trouve présente. Je me suis accoutrée des lunettes de lecture dont je me sépare difficilement.

Photo by <a href="https://unsplash.com/@nicnut?utm_source=unsplash&utm_medium=referral&utm_content=creditCopyText">Nicola Nuttall</a> on <a href="https://unsplash.com/?utm_source=unsplash&utm_medium=referral&utm_content=creditCopyText">Unsplash</a>                                                                    Photo by Nicola Nuttall on Unsplash 

 

Comment tout ça a-t-il commencé ? Où ai-je trouvé mes lunettes ?

 

La vie de château dans ma tête

 

Je les ai fabriquées de bric et broc, avec des livres, avec la télé, avec l'école, avec les gens pas contents et le besoin de savoir pourquoi, avec des châteaux et des églises aperçues par la fenêtre de la voiture. Avec des émissions comme Secrets d'histoire et la Carte au trésor ou en regardant Frédéric Gersal à Télématin avant de partir à l'école. Tout cela agrémentait ma culture générale, par bouts d'anecdotes et lieux patrimoniaux découverts à travers l'écran de télévision. C'était peu, mais cela m'ouvrait des horizons, des perspectives, des portes d'entrée où m'engouffrer et comprendre le monde.

Pourtant, au bout d'un moment, j'ai commencé à comprendre que mes lunettes avaient quelque chose de bizarre, j'avais l'impression de voir un peu flou. Ce que je parvenais à saisir de l'Histoire me paraissait toujours assez de loin de ma réalité.

Dans ma chambre, j'avais la frise de rois de France, de Clovis à Louis XVIII, trouvée dans un magazine jeunesse. J'avais un livre sur Louis XIV qui m'a rendu incollable sur le nombre de fenêtres à Versailles et la nourriture préférée de la princesse Palatine (rien à voir avec Star Wars). Je regardais beaucoup de films sur cette époque ou sur des histoires de royautés en général. Parmi ces films, beaucoup de classiques du genre comme l'Homme au Masque de fer, Sissi, Alexandre, Troie, 300, etc. Au regard de mes fréquentations culturelles, j'étais une bonne petite royaliste.

 

                                                                   Photo by Pro Church Media on Unsplash 

 

Je lisais des contes, où le but de l'histoire était de sortir de sa classe sociale pour atteindre directement la case aristocratie. Les filles du peuple devenaient princesses ou reines. Il m'arrivait d'imaginer que j'étais une princesse égarée et qu'un jour un prince passerait me prendre après l'école. Je voulais être princesse, pas présidente. Il n'y a jamais de présidente dans les histoires.

 

Et puis le temps passant, j'ai fini par me rendre à l'évidence : aucun de mes ancêtres n'était roi ou reine. Ce que je lisais n'était pas mon histoire, ni celle de mes aïeux. Les nobles dont j'entendais parler dans la vraie vie étaient rares et je n'arrivais pas à m'identifier à eux. Dans les histoires, même si je me rendais bien compte que ma vie ne ressemblait pas à la leur, je pouvais partager leurs pensées, faire partie de leur aventures. Mais quand je les croisais au JT de 20h, trop de choses nous séparaient.

Tous ces médias relayant les vies de l'aristocratie avaient agi en tant que portes d'entrées pour découvrir le passé, mais ont peu à peu laissé place à d'autres types de personnages. Les effrontés.

 

L'autre version de l'Histoire

 

Quelques rebelles avaient commencé à m'entourer. Ils s'appelaient Cartouche, Zorro, Robin des Bois, Jacquou le Croquant. Des figures de justiciers qui me montraient une autre façon d'interpréter les récits du passé. Ces personnages n'étaient pas contents, volaient pour donner aux pauvres, se rebellaient contre l'autorité des rois ou des gouvernants.

Dans les autres histoires, les personnages issus du peuple étaient rares. Souvent dessinés sous des traits grotesques, ils étaient ignorés, menaçants, traités avec mépris ou dépeints comme soumis.

Ceci initiant mes interrogations sur la société et les identités, j'ai continué de développer mon attrait pour l'Histoire, mais plus uniquement du côté royal de la chose. Je voulais comprendre ce qui c'était passé pour ceux qui n'avaient pas la chance d'avoir le sang bleu. A travers les récits de proches sur les deux guerres, sur l'Algérie, la vie quotidienne à telle époque, j'ai compris que les événements historiques et l'évolution de la société avaient aussi impacté mon entourage et transformé leur quotidien. Et non seulement la vie de ceux qui les gouvernaient.

J'ai gardé un petit faible pour les histoires de princesses, on ne se refait pas, mais mon regard a désormais changé. Je décrypte le message plus facilement et je m'amuse à chercher les discours sous-jacent. Mes études en histoire m'ont aidé à mettre en pratique l'esprit critique. J'ai aussi appris à ne pas me laisser aller à schématiser trop vite : l'Histoire ne se résume pas à une séparation nette entre les rebelles et les aristocrates, les sociétés se composant de strates beaucoup plus complexes.

S'obliger à garder l'esprit alerte : voilà un des plus beau cadeau que j'ai reçu de cette disciple. Le mot « Historia » signifie« enquête » en grec ancien. Une des premières qualités d'un enquêteur est de ne jamais céder à la première évidence et de se forcer à chercher plus loin, même si tout démontre à croire en la première hypothèse. Les mêmes qualités sont attendues d'un.e historien.ne.

 

Devenir opticienne

 

Aujourd'hui encore, beaucoup d'idées fausses restent véhiculées. Apprendre que la Bastille était vide le 14 juillet fut un choc. Comprendre que les gaulois ne taillaient pas de menhirs en fut un autre. Mais des événements plus importants encore n'ont été révélés que partiellement et d'autres sciemment oubliés ou modifiés. L'image d'une France garante des droits humains, fut quelques peu ébréchée par ma découverte du massacre de Sétif en 1945  ou celui de Paris le 17 octobre 1961, parmi d'autres. Bien d'autres histoires restent à éclaircir, diffuser et reconnaître publiquement comme ce qui se passe actuellement avec la commission sur les événements au Rwanda en 1994 où le travail des chercheurs.euses fut fondamental.

Une autre surprise fut de comprendre qu'à ma grande surprise, tout le monde n'est pas passionné par les ruines et les vieilles photos. Beaucoup oublient les richesses que le patrimoine peut nous enseigner. Je crois cependant qu'une bonne part du travail revient aux professionnels du patrimoine et du monde de la recherche en Histoire : où en est-on de la simplicité et de la pédagogie dans les contenus proposés ? La pédagogie est loin d'être seule réservée aux enfants.

Dans le milieu historique, les films comme Braveheart qui sont des absurdités sur le plan historique ou des émissions tels Secret d'histoire, essentiellement axée sur la royauté sont souvent moqués. L'une des premières choses que j'ai entendu en arrivant à la fac sont d'ailleurs les commentaires méprisants des professeurs sur ce type de contenus. Je les comprends totalement concernant les partis pris que l'on y trouve qui peuvent être trompeurs et mystificateurs : la réalité est bien plus complexe à ces époques, comme elle l'est aujourd'hui. Ce type d'émissions s'intéresse bien plus aux liaisons secrètes de personnages emblématiques qu'aux enjeux politiques auxquels ils ou elles se trouvent confrontés au cours de leur vie.

Cependant, ces programmes ont le mérite d'exister et d'évoquer pour une grande audience des réalités anciennes. Sans ce type de médias, je ne me serais peut-être jamais intéressée à l'Histoire. Je pense qu'une des responsabilités des historien.ne.s est de transmettre les lunettes qu'ils et elles utilisent dans leurs recherches.

                                                                     Photo by Anne Nygård on Unsplash 

 

Cela peut s'effectuer par le soin donné à fournir des divertissements instructifs et vérifiés sur le plan scientifiques. Si des gens peuvent refaire l'histoire à leur manière dans des émissions historiques, il me semble que c'est en partie parce que les historien.ne.s ne se sont pas suffisamment emparés de l'aspect grand public de leur discipline. Le public existe comme le prouve l'engouement pour les séries ou les jeux vidéos historiques tels Assassin's Creed ou Civilisation. Heureusement quelques historiens et d'historiennes sont conscients de l'importance de ces enjeux et œuvrent à cette fin (Manon Bril par exemple).

 

Et maintenant

 

Aujourd'hui à un moment où le futur m'inquiète plus, je me sens davantage intéressée par les mondes dystopiques. Ils peuvent nous donner des idées de ce qui nous menace et nous aider à réagir. J'ose espérer qu'ils nous aident à interpréter ce qui nous arrive socialement et écologiquement sans pour autant que nous en devenions cyniques au point de ne plus agir du tout.

Cependant, notre passé reste un chantier à explorer sur lequel nous pouvons nous appuyer pour comprendre les problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui.

 

Et vous, quelles paires de lunettes portez-vous ?

 

 

 

 

Photo de couverture / The New York Public Library on Unsplash 

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Commentaires (4)

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Ag il y a 3 ans

Je ne regarderai plus le mobilier de la même façon. Remarque très pertinente sur le fait qu'il n'y avait pas de présidentes mais des princesses à l'époque.

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Julien Guyomard il y a 3 ans

Intéressant! "Quand je suis dans une pièce, je ne vois plus seulement des meubles, des bibelots et de la tapisserie vieillie. J'y vois des chaises qui me content l'histoire du design et l'évolution des habitudes humaines, des motifs qui me rappellent l'époque de l'entre-deux-guerre et la volonté de s'échapper de la grisaille de 14-18 et dans les bibelots parsemés ici ou là, les traces du colonialisme et la mode de l'exotisme. Dans les intérieurs plus récents, on peut observer par exemple l'arrivée de la grande consommation et le développement du prêt à porter et des meubles en kit."

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Julien Guyomard il y a 3 ans

Je vais réfléchir aux lunettes que je porte :D

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Maryne Fournier il y a 3 ans

Merci pour ce commentaire ! As-tu trouvé ton type de lunettes ? Parfois c'est un peu comme ces gens qui cherchent leurs lunettes alors qu'elles sont sur leur nez : on ne se rend plus compte qu'on les porte déjà :)

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