Le Conteur de Boé
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Le Conteur de Boé
Crédit photo : Pixabay.com
Je vis dans une petite ville d’un peu plus de cinq mille cinq cents habitants appelée Boé. Elle est au bord de la Garonne dans le Lot-et-Garonne. Il y fait bon vivre. La gastronomie est extraordinairement variée et gourmande.
Mes parents avaient une noyeraie et ma mère faisait de bons plats à base de noix. J’ai eu une enfance très heureuse. Tantôt, je partais pêcher avec mon père sur la Garonne, tantôt je parcourais des kilomètres à pied avec mes amis à la recherche de nouveaux terrains de jeu. La nature était notre scène de théâtre préférée pour exercer nos talents.
Aujourd’hui, j’ai soixante ans et je suis une légende. On m’appelle le « Conteur de Boé ». Jamais je n’aurais cru qu’un jour j’entrerai dans l’histoire de ma ville dans la rubrique « contes pour enfants ».
Et pourtant ce que je vais vous conter maintenant a été bel et bien réel.
Dans notre famille, nous sommes boétiens depuis deux générations. Je travaille sur Agen. Ce n’est pas très loin, juste à cinq kilomètres de chez moi.
Un jour, je faisais mon trajet quotidien en prenant un léger détour pour récupérer ma fiancée Fanny. Je conduisais et mon véhicule a quitté la route après avoir heurté un animal. Le destin de ma douce n’a pas été le mien. Elle a perdu la vie.
Après cet accident, j'ai arrêté de travailler. Mon état mental n’a pas cessé de se dégrader. J’étais piégé entre deux mondes. Le réel qui s’efforçait de me réconforter et le mien, rempli de culpabilité, de regrets. J’étais emprisonné dans ma propre geôle, puni, torturé.
J’allais sur le toit de la tour Lacassagne tous les après-midis et j’écrivais ou bien je regardais les bateaux circuler sur la Garonne. Je ne sais pas ce que j’espérais. La tristesse m’anéantissait. Mon cœur était profondément blessé. Peut-être voulais-je la voir revenir près de moi ? Mais je savais que c’était impossible.
L’hiver, j’observais ma Garonne et ses eaux paisibles à travers les branches d’arbres. Il m’inspirait énormément. J’écrivais des pages entières d’histoires aussi sombres les unes que les autres.
Du haut de la tour, malgré le froid de l’hiver, je pouvais regarder le soleil se coucher sur l’horizon. C’était une façon pour moi de me recueillir.
Je crois que j’étais l’homme le plus triste de Boé. Mes parents décédés, je me retrouvais seul dans une grande maison du centre-ville.
J’avais opté pour une âme de poète. J’étais mélancolique, mais aussi rêveur.
Un soir à Boé, au bord de l’eau, la lune inondait le chemin de halage. Je n’avais jamais vu une lune si belle, si lumineuse se refléter sur les eaux sombres.
Soudain, un phénomène inhabituel eut lieu. Une chose bizarre. Le reflet de la lune m’appelait.
Je descendis prudemment de la tour et m’approchai des arbres. Le vent s’était totalement arrêté. Il n’y avait aucun bruit excepté, le craquement de mes pas sur les morceaux de branches cassées.
J’étais arrivé sur le chemin de halage et c’est là que j’aperçus une ligne blanche qui partait du reflet de la lune jusqu’au bord de la berge. On aurait dit que quelqu’un avait attaché le reflet de la dame de la nuit avec une corde.
Intrigué, je m’approchai du bord et enfonçai mes mains dans l’eau. La bascule de mon corps fatigué fut fatale. Je tombai dans l’eau glaciale. Le froid s’infiltra dans mes os lorsque j’essayai d’en sortir.
Chaque effort devenait difficile et pourtant je sentis des mains accrocher mon pantalon pour me pousser vers le bord. Je remontai péniblement, à la fois, heureux d’avoir été aidé et effrayé de savoir que quelqu’un d'invisible se trouvait dans l’eau.
Je tressautai en tremblant et j’observai l’eau comme un animal apeuré et c’est à cet instant que je remarquai que le reflet de la lune avait disparu.
À sa place, il y avait une magnifique jeune femme au teint de porcelaine et aux cheveux d’argent dont le corps était en partie enfoncé dans l’eau. Elle me regardait avec ses grands yeux, vert émeraude.
Qui était-elle ? Une sirène ? Un fantôme ? Je n’osais pas parler de peur de l’effrayer. J’avais très froid, mais son regard m’avait au moins réchauffé le cœur.
Elle me tendit un bras et j’imitai son geste. J’attrapai sa fine main qui me tira doucement à l’intérieur de l’eau.
Curieusement, je n’avais plus froid. Je la pris dans mes bras et mes lèvres se posèrent sur les siennes me laissant une saveur de miel.
Elle essuya mes larmes de tristesse avec ses doigts nappés de poussière d’argent. Pour la première fois depuis des années, j’étais heureux. Mon âme de poète l’avait attirée. J’étais loin de penser qu’elle me ferait une offrande inestimable.
À mon réveil, j’étais, allongé sur le chemin de halage. Le soleil brillait de mille feux. Je me relevai pour la chercher des yeux, mais elle avait disparu.
J’ai pensé que c’était un rêve, mais mes lèvres avaient toujours le goût du miel et mes vêtements étaient couverts de poudre d’argent. Je n’avais pas rêvé, elle était bien réelle.
J’ai couru en ville raconter mon histoire. Tout le monde me regardait comme si j’étais devenu fou.
J’étais devenu le poète qui avait rêvé à des mondes magiques et alors que je m’efforçais de dire la vérité, les gens s’agglutinaient autour de moi comme des abeilles sur un essaim pour écouter mon histoire.
Je suis allé tous les soirs pendant des années au même endroit et jamais je n’ai revu cette fée de la Garonne. Son visage est ancré à jamais dans ma tête.
Ce soir-là, elle a changé quelque chose dans mon cœur, car je n’ai plus de tristesse et j’ai refait ma vie, repris mon travail. Cette histoire, je l’ai vécue même si les gens de la ville ne m’ont jamais cru.
Durant toutes ces années, mon histoire a fait le tour de Boé et c’est comme ça que l’on m’a appelé le « Conteur de Boé ».
Marie Bulsa Auteure
Jean-Christophe Mojard il y a 10 mois
La lune est l'âme des gens de plume, qu'elle soit écrite ou orale. Joli conte.
Marie Bulsa il y a 10 mois
merci Jean-Christophe