La légende de la Dame Blanche de Trécesson
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La légende de la Dame Blanche de Trécesson
La légende de la Dame Blanche de Trécesson, par Juliette Norel
Elle avait attendu que son ami du bout du monde, Gabriel, revienne en Bretagne pour leur rendez-vous annuel rituel, comme chaque Halloween, en une cosmique promesse, avant d’envisager de se rendre à Trécesson.
Elle avait rencontré les messagers de l’ombre, entendu la mort en personne, frôlé des âmes prisonnières de leurs péchés mortels, mais n’avait pas encore été confrontée au désespoir damné d’une vie arrachée sur l’autel de la trahison. Au nom d’un nom, d’une réputation, d’une lignée sacrificielle.
Depuis toujours, l’Homme raconte des histoires de Dame Blanche ; ces femmes, errant souvent sur le bord des routes ou dans les airs des lieux infusés de tragédie.
Mais parmi les créatures mystiques qui guidaient ses pas depuis le début de cette aventure de plumes, l’une des plus troublantes et viscéralement émouvantes était peut-être pour elle, celle de Trécesson, château médiéval entouré de mystères et de récits fantastiques, devenu le théâtre d’une tragédie familiale qui aurait eu lieu au XVIIIe siècle.
Selon la légende, une jeune femme, vêtue d’une robe de mariée blanche y a été enterrée vivante par ses propres frères. Ces derniers auraient agi ainsi pour préserver l’honneur familial, car la jeune femme souhaitait se marier avec un homme issu d’une famille rivale.
Comme un drame shakespearien, Une Juliette suppliciée au nom du père pour avoir commis le plus beau des crimes, celui d’aimer.
Une nuit, un braconnier aurait été témoin de cette scène macabre : deux hommes bien habillés ont sorti une jeune femme à la robe immaculée d’une voiture attelée et l’ont jetée dans une fosse avant de la recouvrir de terre.
Depuis cet événement tragique, on dit que le fantôme de cette jeune mariée hante le château. Elle apparaîtrait les nuits de pleine lune, errant silencieusement entre ses murs, sa longue traîne pleine de terre et un bouquet à la main. Cette apparition fantomatique est souvent décrite comme mélancolique et silencieuse, cherchant peut-être son Unique Amour dans l’immortalité spectrale.
Cette histoire émeut Eléonore, plus que tout autre, parce qu’elle sait de quoi se nourrit la passion, de ce qu’elle nous pousse à faire parfois, par pulsion, par désir ou par possession. Elle en a vu la noirceur, la douceur, le manque, la violence et la fulgurance. Et elle ressent dans sa chair le goût de l’abyssal chagrin mêlé au plus cruel désespoir de cette jeune femme condamnée à l’errance éternelle par ses frères, le jour de ses noces, pour vainement sauver un honneur enterré avec elle.
Elle éprouvait une tendre empathie pour cette jeune femme d’un autre temps, follement éprise d’un jeune homme au patronyme ennemi. Elle l’imaginait revêtir une jolie robe blanche en dentelle soyeuse, coiffer peut-être un diadème de pierreries ou de fleurs sauvages, cueillir un bouquet de roses et de marguerites pour s’éclipser sur le cheval de son aimé et devenir sienne, pour l’éternité. Elle la rêvait heureuse, impatiente et peut-être effrayée aussi. Anxieuse à l’idée de se faire prendre. Ou de se tromper de destinée, qui sait ?
Mais alors qu’elle s’apprêtait à s’enfuir, ses frères l’avaient rattrapée et ensevelie vivante. Elle avait dû sentir la terre la suffoquer, l’air fuir ses poumons, elle avait dû crier en ne plus savoir respirer. Et elle avait arrêté de lutter, mais n’avait jamais pu rejoindre le paradis, son âme tourmentée refusant de prendre son envol.
Eléonore ne voulait pas se confronter seule à cette rencontre et elle avait attendu que Gabriel la rejoigne. Et enfin, il était là, rentré sur les terres de naissance de toutes les légendes qu’ils avaient décidé de faire rayonner, ensemble, à travers leurs envolées poétiques.
Après un week-end de Toussaint aux effluves de citrouille et de chamallows rôtis sur des branches de romarin, ils avaient pris la route d’un village morbihannais non loin de Paimpol et sa légendaire Brocéliande : Campénéac, bourgade bretonne nichée au cœur de la forêt emplie de sérénité saupoudrée de mystère. Les maisons en pierre, les toits d’ardoises et les ruelles sinueuses, presque figées dans le temps, offrent un cadre idyllique, contrastant étrangement avec les drames qui se sont joués dans l’enceinte de son château, imposant et majestueux, dont les tours et les remparts en pierre sombre, ceints de douves profondes et troubles, évoquent une époque révolue et se drapent d’une mélancolie romantique et inquiétante.
La nuit était tombée lorsqu’ils se présentèrent devant les imposantes grilles de leur destination crépusculaire. Un vent d’Ouest soufflait doucement à travers les arbres, dépositaires de secrets ancestraux, faisant bruire les feuilles et créant une symphonie sinistre. Gabriel et Eléonore s’avancèrent prudemment dans les couloirs sombres de la bâtisse, leurs pas résonnant contre les murs de pierre froide. À l’intérieur, les salles voûtées, les corridors obscurs et les escaliers en colimaçon racontent des siècles d’histoire.
Soudain, une brume blanche et épaisse commença à s’élever, floutant les contours du sol et enveloppant les environs d’une lueur éthérée. L’air devint glacial, piquant et ils ressentirent comme une présence, invisible, qui semblait les observer.
Une frêle silhouette translucide apparut au bout du couloir, flottant légèrement au-dessus du sol. Vêtue d’une longue robe blanche qui semblait se fondre dans la brume, la Dame Blanche émanait une aura de tristesse infinie et de désespoir cruel.
Ses yeux, vides et insondables, fixaient un point au loin, comme si elle cherchait quelque chose d’inatteignable. Gabriel et Eléonore restèrent figés, hypnotisés par la beauté spectrale et la grâce tragique de cette apparition. La Dame Blanche s’avança lentement, glissant silencieusement en apesanteur, l’élégance raffinée de ses mouvements contrastant avec la lourde chape de plomb qui suspendait le temps dans ce corridor sinistre ouverts aux quatre vents.
Lorsqu’elle passa près d’eux, un froid mordant les traversa, comme si, de sa simple caresse, elle absorbait un fragment de leurs âmes. Ses lèvres tremblèrent, murmurant des mots inaudibles, empreints de douleur et d’incompréhension face à un destin si violent que les siècles passés n’avaient pu l’apaiser.
Gabriel tenta de tendre la main vers elle, mais la Dame Blanche s’évanouit soudainement dans un éclat de lumière, ne laissant derrière elle qu’une empreinte de glace sur le sol… et quelques pétales de rose fanés.
Ils restèrent silencieux un moment, ébranlés par l’intensité de cette rencontre entre rêve et réalité. Ils étaient seuls dans ce corridor, personne ne pourrait en témoigner, à l’exception des prunelles de l’un pour conforter l’autre, et réciproquement. Et de ces quelques pétales chiffonnés qui parfumeront, pour toujours, les pages de leurs cahiers d’écrivains et le souvenir de cette nuit, hors du temps.
La légende de la Dame Blanche de Trécesson, par Jean-Christophe Mojard
La Mariée ensevelie
Aux couleurs de l’automne, alors que sa jeunesse
Lui offrait par la robe un délicieux printemps,
Deux frères furibonds ont voulu, sur l’instant,
Enterrer l’infamie : la mariée traîtresse.
À peine ensevelie sous la terre encore fraîche,
Un témoin braconnier s’en va quérir secours.
Mais la mort est passée, il n’est aucun recours
Quand son corps est trouvé sous les pelles et les bêches.
Presque trois siècles après, toujours l’amour l’attire,
Et la rotondité d’une Lune d’opale
Peut la faire apparaître, blanche sous son voile.
Si l’amour est sincère, et semble compatir,
Alors, elle s’en ira sans devenir létale,
Laissant des souvenirs : sa rose et ses pétales.
Note
Illustration réalisée par IA sous Seelab, puis retravaillée sous Affinity Photonity