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Chap 4 L'abbé Rémy

Chap 4 L'abbé Rémy

Publié le 8 avr. 2022 Mis à jour le 8 avr. 2022 Culture
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Chap 4 L'abbé Rémy

Mais revenons à cet étrange bébé, voué à une mort certaine, dès sa première semaine. Condamné à survivre en abruti avant son premier anniversaire par sa nourrice. Que faisait-il ? L’enfant humait la vie, à plein poumon, en momie vivante qu’il était mais, toujours vivante. Ce qui après, un peu plus d’une année et demie d’existence, si l’on fait le décompte, en additionnant soeur Sonia, la marchande, sa nourrice, les trente-trois victimes du marché et l’enfant chapardeur faisait tout de même trente-six cadavres et de lui un survivant. Un miracle de la vie ! Et c’est peu de le dire comme nous le comprendrons plus tard.

 

Les premiers jours au prieuré furent pour Patrick une horreur entre le 16 et le 19 octobre, soit deux jours tout juste après son arrivée chez les nonnes et le décès de Jeanne, il fut pris d’une fièvre aussi soudaine, qu’inexplicable. Le bon curé avait beau chercher, il ne trouvait pas la cause de l’état de Patrick. Seule chose qu’il avait remarqué c’est que son protégé à chaque inspiration semblait s’empoisonner. Pour l’aider à respirer, il ouvrit grande la fenêtre, aggravant l’état de l’enfant puis son office le réclamant, il laissa à Dieu le soin de décider.

 

Au prieuré, on avait d’autres chats à fouetter que de soigner un enfant : des nouvelles lointaines rapportées par les gazettes donnaient des informations contradictoires à propos de l’Empereur et de sa grande armée. Une victoire de l’empereur c’était encore une période de disette pour les privilèges ecclésiastiques, une défaite, un éventuel retour du roi et de l’autorité du prieuré ! L’instant était crucial autant pour le prieuré que pour Patrick mais, pas pour les mêmes raisons.

 

Patrick avait eu ses premières convulsions quand on apprit au prieuré que l’empereur était victorieux, comme si cet enfant avait pressenti tout le désarroi des ecclésiastiques, s’en était imbibé et rendu malade !

 

Une semaine après, l’on apprit la bonne nouvelle : Napoléon, quoique victorieux sur la bataille, ne put asseoir définitivement sa suprématie, à cause de la désertion inopinée de trois mille Saxons et de six cents Wurtembergeois qui retournèrent leurs fusils contre la Grande Armée. Pratique assez courante en ces temps de guerre napoléonienne, puisque 23 août de la même année, à Gross-Beeren, le maréchal Oudinot partisan de Napoléon avait été défait par Bernadotte, pourtant ancien Maréchal de l’empereur, après que dix mille de ses soldats bavarois et saxons se soient retournés contre Oudinot. Bénis soit les Saxons, les Wurtembergeois et le saint homme de monsieur Bernadotte qui eurent droit à un mois de prière.

 

Résultat de la bataille de Leipzig que les historiens appelleront la « bataille de Nations » fut au bas mot, la mort précipitée de plus de cent mille hommes tout camp confondu.

 

Dieu ne se décidant pas du sort de l’enfant, l’abbé se souvint du calepin de la nourrice, le rechercha et le lut. Il y découvrit que l’enfant faisait des crises « respiratives » et que pour remède il fallait l’asperger de lait maternel.

 

L’abbé songea tout de suite à Sœur Gabrielle une jardinière hors pair qui avait en effet une paire de seins à damner plus d’un saint.  Il convoqua la nonne qui se trouva fort pourvue quand le prêtre lui demanda de sortir ses tétons et de vider leur contenu sur l’enfant. Après une demi-heure la nonne repartait légère et l’enfant respirait régulièrement.

 

Coïncidence ou pas, la guérison de Patrick correspondit avec la défaite de Napoléon. Ce qui valut à l’enfant, un capital de sympathie de la part de la mère supérieure, de ses nonnes et de l’abbé persuadés que ce nourrisson, souffrait le martyr quand l’avenir de l’église était compromis. Nul ne savait que Patrick, pendant ces trois jours de crise du 16 au 19 octobre, respirait l’odeur de la poudre, de la boue, de l’épée, des tripes des chevaux étalées sur l’herbe, l’odeur de sueur, de peur, de souffrance, de chiasse, de vomi de chaque soldat qu’ils soit français, saxons, autrichiens… comme s’il eut été au milieu de la bataille !

 

Fin octobre 1813 totalement guéri, Patrick après avoir longuement humé, la chambre, la bure du curé, la barbe de l’ecclésiastique, retrouvé dans sa classification ces senteurs qu’il avait répertoriées en diverses sections comme poils, coton, cellulose… comprit qu’il dépendait entièrement de cet homme.  Est-ce par instinct ou un acte délibéré, lui qui jusqu’alors ne souriait pas aux autres, Patrick esquissa un sourire, au moment exact où l’abbé se penchait pour le regarder, ce qui fit ressortir ses deux dents et emporta définitivement la sympathie de l’abbé.

 

L’enfant ne pleurant pas, ne criant pas, fut toléré par les nonnes du couvent qui ne sauront jamais ce qu’accoucher veut dire. En échange, elles pouvaient observer le petit ange grandir, sans pouvoir le toucher, comme on observe un animal exotique dans un zoo. Et l’abbé Rémy, lors de ses promenades et de son pré-novice, comme il fut qualifié pour garder un semblant de conduite religieuse, ne manqua pas de satisfaire la curiosité des nonnes.

 

On peut s’étonner d’un tel revirement général mais que peuvent un prêtre en manque de paternité et des nonnes en manque de maternité quand la volonté divine s’exprime avec autant de force ?

 

C’est ainsi que les premiers mois de Patrick au prieuré furent pour l’abbé et pour Patrick un régal mais pas pour les mêmes raisons.

 

Rémy aimait à promener son petit ange, comme il le nommait dans les jardins du prieuré où il pouvait laisser l’enfant des heures sur sa chaise. L’enfant, le malheureux ne marchait toujours pas et l’on ne trouvait aucune raison physique à cette tare. Mais si dieu a confié à l’abbé Rémy cet être innocent même handicapé, c’est qu’il avait un dessein plus grand et que lui seul connaissait. Ce qui fait que loin de se désespérer, l’abbé Rémy, qui au début portait l’enfant sur sa chaise, imagina que l’on pouvait adjoindre deux roues à l’ensemble et put facilement promener son protégé à travers le prieuré.

 

Parvenu au jardin, c’était toujours le même protocole, le père soulevait l’enfant et le posait à un endroit du jardin que l’enfant lui désignait du nez, puis le prêtre fatigué allait s’assoir sur un banc et observait les sœurs au jardinage, surtout sœur Gabrielle. Sœur Gabrielle et bientôt d’autres, penchées pour biner ou sarcler laissaient entrevoir un bout de poitrine qui, on peut être prêtre et resté homme, ravissait le regard du prêtre. Regarder n’est pas pêcher, se disait-il. Ce qui, il faut le reconnaître était une opinion partagée par de plus en plus de nonnes jardinières qui, elles confirmaient le propos en affirmant actes à l’appui que montrer n’étaient pas pêcher. Et sœur Gabrielle en tête se languissait de plus en plus à n’avoir pas à soigner le chérubin.

 

Elle fut entendue l’enfant eut des crises « respiratives » à répétition tout le long du premier trimestre 1814. Son état faisait craindre le pire et seules des administrations quasi quotidiennes de lait maternel pouvait le maintenir en vie. Sœur Gabrielle n’en demandait pas tant ! Fort heureusement elle fut secondée par soeur Juliette, et sœur Théonie, ainsi que sœur Exianne, mais aussi sœur Quinquenelle, sœur Dalmasine et j’en oublie… La sœur supérieure en personne se proposa d’aider à sauver l’âme du pauvre enfant, c’est peu dire.

 

Après trois mois de traitement intensif, l’enfant forcit et finit par guérir. On cessa toute visite chez le prêtre quelquefois à regret et ce dernier recommença à promener le miraculé dans les jardins du prieuré.

 

Mais parlons un peu de l’abbé Rémy. La vocation ecclésiastique de l’abbé Rémy fut tardive et contrariée, son père un riche possédant n’avait qu’une obsession : léguer à son fils ainé survivant l’entièreté de ses biens quitte à déshériter les suivants. Rémy troisième enfant, monta d’un cran dans l’estime de son géniteur quand l’ainé des enfants fut emporté par une pleurésie mais le second enfant n plein santé et qui plus est brillant ne laissa aucune chance à Rémy tout juste le temps qu’il s’amourache d’une vachère et l’engrosse. Avec quelques pièces au père de l’enfant, le scandale fut étouffé, Rémy envoyé dans une cure pour devenir prêtre et expier son péché et son fils qu’il savait vivant mais qu’il ne vit jamais nul ne sait ce qu’il en advint.

 

L’abbé Rémy conscient de sa faute épousa le courroux de son père, mais en son for intérieur, il pleura son enfant en s’imaginant père plutôt que confesseur de nonnes acariâtres et stériles.

 

La vie, quand la mort lui laisse le temps, réserve quelquefois des surprises et pour l’abbé Rémy, c’était cet enfant. Dieu lui permettait d’être un père non seulement des âmes mais aussi d’un corps ! Investi par notre Seigneur en personne, l’abbé délaissa ses ambitions ecclésiastiques de grand argentier du diocèse pour sinon devenir un père officiel pour l’enfant tout au moins une mère, un professeur et surtout un guide spirituel.

 

Sœur Gabrielle commençait à trouver le temps long, et à prier pour que l’enfant ait une nouvelle crise « respirativ »e. Dieu l’entendit.  L’abbé la convoqua une nuit de juin 1815, de ces douces nuits tempérées de début d’été qui en ont émoustillé plus d’une et plus d’un. Mais, si l’abbé dans tous ses états, la convoquait c’est que l’enfant avait encore une crise « respirative », la nonne ne se fit pas priée, elle tomba le haut et le bas, aspergea nourrisson, abbé et elle-même qu’à la fin ses seins ressemblaient plus à des côtelettes qu’à des outres.

 

Le lendemain, l’abbé et la nonne convinrent qu’il était peut-être plus prudent de prévoir des séances de préventions une à deux fois par mois pour le bien de l’enfant. C’est ainsi que traité de la sorte deux fois par mois, Patrick n’eut plus de crises « respiratives ». On ne louera jamais assez les bienfaits de la prévention songeaient notre bon abbé et la sœur Gabrielle.

 

Une semaine après la dernière crise « respirative » de Patrick, le prieuré apprit la bonne nouvelle, l’empereur avait été défait à Waterloo et le roi revenait définitivement sur le trône. Vive Charles X ! Même si l’on trouvait au Prieuré que ce roi faisait trop cas d’un bout de papier appelé constitution.

 

C’est ainsi que dès l’année 1815 et ce pendant plus de trois ans, abbé et nonnes s’octroyèrent de petits moments de détente au jardin consolidé pour le bien de l’enfant par des traitement préventif d’aspersion de lait maternel. Traitement dont il a fallu établir un roulement…

 

Patrick qui était l’excuse idéale pour ces instants de détentes païennes, innocent de ces considérations d’adultes, adorait ses visites au jardin où il humait chaque fleur, plante, légume du potager avec un ravissement jamais altéré. Puis il restait assis sans rien faire.

 

Sans rien faire ? En apparence, car dans son petit cerveau, c’était une bibliothèque avec des rangées, des sections, sous-sections… mais je vous l’ai déjà dit. Seule différence entre ses un an et demi et maintenant ses cinq ans : A cinq ans dans sa bibliothèque olfactive, il y avait désormais des images que son regard lui avait apportées. L’image d’une planche pour une odeur de bois de construction, l’image d’une fraise pour une odeur de fraise… Il avait même développé une section sentiments et avec son nez comme crayon, il se dessinait une représentation mentale de : la colère, la joie, l’excitation. Comme ces senteurs n’avaient pas d’image physique réelle, elles étaient méthodiquement rangées dans une section « sans support dur ».  Section au demeurant fort utile pour l’enfant qui pouvait en user. Il suffisait qu’il hume l’abbé pour éviter une claque du prêtre, contrarié par un sujet quelconque ou pour recevoir un peu plus de potage quand celui-ci était d’humeur ravie.

 

Entre les deux hommes l’un sur le déclin, l’autre en devenir, s’était soudé un lien silencieux mais solide et lui enlever Patrick aurait été pour le prêtre lui arracher le cœur. Sauf, les heures ensoleillées qui suivaient une ondée, ce marmot hurlait de tout ses poumons jusqu’à ce que l’abbé le conduise au jardin du prieuré et ce quelques soit l’heure du jour ou de la nuit.

 

Miracle ? L’enfant dans l’année de ses cinq ans décida de se tenir debout et put marcher tout seul, ce qui gonfla la réputation religieuse de l’abbé et permit à Patrick d’épargner au prêtre des promenades en pleine nuit. Patrick avait trouvé une raison utile de marcher : celle de se rendre seul dans le jardin pour y humer à loisir les odeurs du Prieuré mais aussi celles du monde !

 

Quelquefois lors des promenades avec le prêtre, un chat venait à se frotter contre l’enfant, l’animal interdit de séjour dans le cloître et encore plus dans le potager, bénéficiait pour le bien être de Patrick d’un passe-droit, à croire que le jardin du prieuré devenait un lieu de liberté. Le chat alors ronronnait en toute quiétude sur les cuisses de Patrick qui aux anges humait le pelage entretenu de l’animal.

 

Les années passèrent, Patrick bien à l’abri dans les enceintes du cloitre, ne souffrit donc jamais de faim, ni de froid, il était maintenant un enfant solide qui avait traversé les sept premières années de sa vie avec succès. C’est-à-dire qu’il respirait encore et l’abbé Rémy qui n’avait jamais envisagé un instant que l’enfant puisse survivre au-delà de l’âge de raison, conseillé par certaines sœurs lors de confessions intimes repoussait le moment ultime où il lui faudra apprendre la lecture, les mathématiques et autres matières à son protégé pour profiter des plaisirs de la vue. Instruction certes, oh, combien passionnante mais aussi prémices d’une séparation inéluctable.

 

Un incident regrettable précipita les événements. L’abbé savait trop bien qu’en ce bas monde la quiétude n’est pas éternelle et que la paix trouve toujours sur son chemin un caillou pour la lapider. C’est pourquoi, il repoussait et repoussait l’instruction de Patrick, comme s’il pouvait stopper le temps. Cette pierre s’appela jalousie. Une nonne qui n’avait pas obtenu d’affection au jardin de la part de la mère supérieure vu qu’elle était plate comme une limande découvrit qu’un chat « pissait » sur les plantations et qu’il pouvait aussi… Elle fomenta son guet-apens. Guet-apens d’autant plus facile à mettre en place que l’animal qui avait vieilli était perclus de douleurs et se déplaçait avec difficulté.

 

C’est ainsi que par une belle après-midi de septembre 1819 après une ondée, l’abbé se ravissait du spectacle que lui offraient plusieurs nonnes, Patrick s’enivrait des senteurs du jardin, le chat rejoignit l’enfant qui comme à son habitude fourra ses deux narines dans le pelage de l’animal mais cette fois-ci, il repoussa ce dernier en pleurant de tout son soul et courut comme un fou rejoindre la chambre qu’il partageait avec l’abbé. L’abbé suivit de sœur Gabrielle et de la mère supérieure rejoignirent le garçon en pleine crise « respirative ».

 

 Il en fallut du lait que l’on convoqua aussi sœur Oléanie et sœur Kermélia. C’est que l’enfant sans être de taille normale avait grandi et réclamait plus de lait ! Ce n’est que tard dans la nuit que le petit garçon s’endormit et que l’abbé put arrêter de presser ces poitrines qu’il n’aurait jamais dû voir.

 

Le lendemain l’on retrouva le cadavre du chat pendu à un arbre. L’affaire fit scandale au prieuré. Il était temps d’apprendre la lecture à Patrick pensa l’abbé Rémy.

 

Toute l’instruction qu’avait reçue l’abbé lors de son noviciat et qu’il avait repoussée juste pour un bébé sans avenir, allait enfin servir à quelque chose par la transmission du savoir. Et l’abbé qui était sinon savant, était un esprit éclairé pour ne pas dire en avance sur son époque. C’est donc passé l’âge de de huit ans que Patrick débuta son instruction scolaire et religieuse par l’apprentissage de la lecture.

 

Si a huit ans Patrick savait distinguer, reconnaître des millions d’odeurs dont quelques unes avaient une représentation visuelle comme le pain, la bougie, la pierre, d’autres comme le soufre, la datte ou plus lointaines comme la baleine, le séquoia ou la monstrueuse rafflesia amoldii d’un diamètre d’un mètre qu’il confondit un temps avec une charogne à cause de son parfum caractéristique proche de la viande en décomposition, n’avaient ni représentation visuelle et encore moins de noms !

 

Le nez de Patrick savait les capter et les reconnaitre mais le cerveau de Patrick n’aurait jamais pu faire correspondre à un dessin de maïs l’odeur du maïs et encore moins d’y adjoindre un nom ! Patrick avait certes des capacités remarquables mais pour l’usage de celle-ci, il était à des kilomètres de penser que cette faculté pourrait avoir une utilité autre que celle d’exister.

 

Un des premiers apprentissages que font les êtres doués n’est pas de prendre conscience de leurs capacités mais d’admettre que les autres en sont dépourvus. Et une telle démarche n’est pas facile. Vous respirez naturellement pour vivre, il ne vous vient pas à l’idée que cette activité naturelle et que vous effectuez sans réfléchir bien qu’essentielle à votre survie fait de vous un être à part. Mais imaginez un monde où il faut réfléchir pour respirer et qu’oublier de penser à réfléchir vous asphyxie ! Patrick respirait sans réfléchir quand le monde lui devait y penser.

 

Il eut un premier avertissement à l’âge de ses sept ans quand l’abbé se promenant dans le jardin du prieuré glissa sur une limace et se retrouva par terre.

 

Quand on l’aida à se relever, le prêtre dit tout simplement.

 

  • Foutue limace, je ne l’avais pas vu !

 

Vu ? Mais pourquoi ? Allait demander Patrick qui avait respiré l’odeur de la limace à plus de dix mètres. Comment ce grand homme qu’est l’abbé n’a t-il pas pu la respirer ? Fort heureusement pour lui, on ne lui laissa pas l’occasion de poser sa question.

 

D’autres épisodes lui confirmèrent qu’il n’était pas normal.

 

 Mais revenons au développement de Patrick, et à son apprentissage de la lecture. Comme quand il était nourrisson, il prit son temps. Il faut dire à sa décharge qu’il aborda la lecture comme il fit la découverte du monde : Avec son nez. Patrick utilisait une drôle de façon pour reconnaitre les lettres. Il posait son nez sur la lettre à lire et après au début dix minutes, puis cinq puis une, il disait A ou B ou E.

 

C’est pourquoi il mit beaucoup de temps à comprendre que même si la lettre A, avait une légère différence avec la lettre B, qui utilisait plus d’encre et donc séchait moins vite, ce qui fait que son odeur différenciait légèrement de la lettre A, ce n’était pas la raison d’être de la lecture. Que le propos était que la lettre A se prononce A, la lettre B, B et que B et A ensemble font BA. Certes mais à quoi peut    bien servir un son « BA » s’il n’a pas d’odeur ? Se demandait Patrick qui n’ayant pas de réponse, tentait de trier par odeurs les vingt-six lettres de l’alphabet, ce qui n’était pas chose facile, mais faisable car chaque lettre sèche plus ou moins vite, selon la quantité d’encre qu’il lui faut pour être écrite, à condition que ces lettres soient écrites par la même personne, car si vous appuyez plus ou moins fort. Alors il faut tout reprendre à zéro.

 

C’est ainsi que lors de sa première année d’apprentissage de la lecture, Patrick était capable de différencier douze alphabets, dans huit livres différents.

Six livres, les plus faciles étaient de très vieilles bibles recopiées par des copistes que Patrick avait baptisés : la sueur, le fébrile, le gras ou encore le malade… Quelquefois, il devait changer son alphabet dans le même livre car le fébrile et le malade recopiaient pour la même bible. Mais, il y parvenait. Ce qui lui posait problème, c’était les deux nouvelles bibles : les bibles imprimées. L’encre avait une odeur de plomb qui rendait la reconnaissance olfactive des lettres très difficile, voir impossible surtout que sous la pression des lettres de plomb, l’encre pénétrait profondément dans le papier et se mélangeait à l’odeur du papier rendant les distinctions d’odeur des lettres très confuses. Mais avec plus de temps et d’application, Patrick commençait à maîtriser le sujet.

 

L’abbé, lui désespérait des progrès de son protégé, et crût à un problème de vue. Plein de compassion, il comprenait pourquoi l’enfant qui ne voyait pas bien, devait approcher sa tête près de la feuille, ce qui ne facilitait pas l’apprentissage de la lecture.

 

Cela dit, au début l’enfant n’était pas très malin, il confondait souvent les lettres entre elles et l’abbé devait les lui lire pour qu’ensuite et seulement ensuite il les reconnaisse. Ce qui n’augurait rien de bon quant à l’autonomie du futur lecteur.

 

Si pour l’abbé, c’était un problème de vue, pour Patrick, c’était un problème d’écriture, de pression et d’encre.  

 

Etrange enfant avait dit sœur Emmanuelle !   

 

Quand Patrick réalisa que la lettre A avec la lettre B fait AB, et que B et E font Bé, mais surtout que ces deux phonèmes mis ensemble font ABBE comme son abbé à lui, que la lecture n’avait donc rien à voir avec les odeurs, mais plus avec la combinaison de sons pour représenter des choses, comme lui le faisait avec les odeurs, il commença à apprendre à lire comme tous les enfants. Avec les yeux et non son nez.

 

Alors qu’après plus d’une année d’échec, l’abbé désespérait d’arriver un jour à apprendre à lire à son protégé en se demandant bien quel dessein avait pu prévoir notre Seigneur tout Puissant pour un enfant attardé qui après quinze mois de cours était toujours incapable de lire avec certitude le B ou le A…  Quand, début juillet 1820, en à peine une semaine Patrick se mit à lire sans aucune difficulté et avec l’intonation ! Miracle divin pour l’abbé. Pour Patrick qui savait déjà combiner plus de trois cent mille senteurs, qui était capable avec dix, trente ou plus d’odeurs de recomposer la senteur du jasmin en hiver, ou du lait de maternel quand il buvait une eau peu engageante, combiner 26 lettres pour produire des sons relevait du jeu d’enfant.

 

Pour les six années suivantes, si l’exégèse biblique et la théologie occupèrent l’emploi du temps éducatif de Patrick pour moitié, l’alchimie, la botanique et diverses études limites hérétiques, égayèrent l’éducation monacale de Patrick qui ignorant de certains aspects de la vie comme… Mais n’allons pas trop vite, nous y reviendrons en temps utile.

 

Sans être un élève brillant, Patrick passa tous les niveaux et à l’approche de ses quatorze ans pouvait prétendre à une charge d’abbé quand il sortira du prieuré mais encore une fois, n’allons pas trop vite en besogne. Certains nerfs la vie ne cesse de se ramifier et de changer le cours du destin.

 

Seul détail à retenir des années d’études de Patrick, entre 1820 et 1827, c’est qu’il excellait en une nouvelle matière qu’aujourd’hui l’on appelle chimie, mais qui à l’époque était à ses balbutiements et oscillait entre pharmacopée, alchimie et décoctions.

 

Pour ceux que ça intéresse, autre anecdote, dès ses huit ans, quand il avait fini ses leçons, on envoyait Patrick pour aider aux cuisines. La sœur qui s’occupait de la nourriture terrestre décida d’apprendre au jeune garçon les secrets d’une bonne soupe, du ragout de mouton et de la préparation de l’agneau Pascal. Patrick aurait pu lui donner des cours sur comment faire ressortir les saveurs du fenouil, des raves ou des lentilles… Mais il avait appris à tenir ses dispositions naturelles secrètes. Toutefois, il lui arrivait de retirer la viande avant qu’elle soit trop cuite ou d’ajouter des herbes pour relever le gout de certains aliments peu savoureux naturellement. Finalement vers ses dix ans, la sœur cuisinière, les jours de plus en plus fréquents de grosse fatigue, confiait la préparation des repas à Patrick qui en profitait alors pour expérimenter des sauces, marier des senteurs… Les nonnes ces jours-là péchaient de gourmandise tant les mets que préparaient Patrick étaient d’une saveur exquise, exhalaient des odeurs appétissantes que c’en était presque l’œuvre du diable avec ses multiples tentations. Heureusement pour Patrick la mère supérieure était sinon gourmet, tout au moins gourmande et son autorité convertissait les plus rétives. Les sœurs du prieuré s’accommodèrent de ce péché de gourmandise avec quelques paters.

 

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