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HystéroVirose

HystéroVirose

Publié le 2 mai 2020 Mis à jour le 25 sept. 2020 Culture
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HystéroVirose

Photo of Christopher Fairbank from The Fifth Element (1997)
Photo of Christopher Fairbank from The Fifth Element (1997)

Je me suis retrouvé l'autre jour face à un autre humain, chacun de son côté du rayon de supermarché, chacun avec son caddie rempli. Nous nous sommes regardés un temps. L'individu m'opposait un regard mauvais juste au-dessus de son masque, ne laissant deviner que peu de ses intentions. Il me lançait le regard inquisiteur de celui qui protège les autres -  Je n'avais pas de masque -, et qui se protège avant tout des autres. Chacun avança d'un mètre puis resta pétrifié à quelques distances du graal constitué de l'unique paquet de farine qui trônait sur sa palette dépouillée. J'initiai, non sans malice, un râle grumeleux au sein de mon coude replié. L'autre baissa la tête en signe de défaite et rebroussa chemin.

Presque fier de ma victoire, j'allais porter la main sur le trésor quand je fus pris d'un violent mal de tête et d'un étourdissement éclair. Mes jambes ne me portaient plus et je dus m'assoir à côté de ma prise, à même la palette. Alors que je saisissais le paquet, je vis de minuscules traces vertes dont il était couvert. Effrayé, je le reposais aussitôt et m'éloignais en grommelant de ce manque évident d'hygiène dans ce supermarché. Alors que je passais le bout de l'allée, je revis mon adversaire qui se précipitait sur le paquet abandonné, les yeux presque rieurs émergeaient de son masque à la forme de bec de canard. Ce dernier était couvert des mêmes points verts. Sur le coup, je trouvais bizarre cette coïncidence, allant même jusqu'à m'inquiéter d'un tour que m'aurait fait cet ennemi pugnace sur le champs de bataille du quotidien.

Bientôt je constatais ces mêmes petits points verts sur le front d'une autre cliente. Je les vis sur les yaourts, sur la poignée du caddie. Rapidement, je constatais que l'on en trouvait par terre, sur le tapis roulant de la caisse, sur le cadran du terminal de paiement, on ne distinguait même plus les chiffres. L'angoisse montait pendant que je rangeais mes courses. La caissière marquée d'une bande verte en travers de son masque de chirurgien me tendit un ticket souillé. Pris de panique, je laissais tout en plan et courrais vers l'extérieur. Les vigiles se mirent à courir derrière moi. Je suffoquais dans ma course, manquais de trébucher sur une petite vieille, je voyais la clarté aveuglante de la cathédrale de verre de la sortie du centre commercial, mettais mes dernières forces pour atteindre la petite porte non condamnée de cette prison contaminée. Devant la porte, dans mon élan, j’allais pour pousser les deux battants les mains avancées sur les barres de sécurité. Elles étaient dégoulinantes verdâtres. Par réflexes, je repliais les mains vers ma poitrine et percutais la liberté de la tête.

Un instant plus tard, j’ouvrais les yeux sur un néon blanc et un individu emmitouflé dans un costume de papier me parlait à travers un heaume de plastique. Je n’entendais pas ses mots. Me fixais sur son œil droit. Il y avait au coin de son œil un petit ruisseau asséché. Une larme verte fluo accrochée à son caroncule qui se faisait aspirer par ce minuscule rig courant le long de son nez. Je bondissais sur ma couche, arrêté
par les sangles, hurlant sans n’entendre rien, réclamant la sortie de cet enfer vert. Je sentis une pointe froide contre mon épaule et défaillis.

Encore un instant et je vis le même néon accompagné d’autres. Des ombres passaient le long du brancard, je gobais l’air comme le poisson en quête de réponses à des questions mêlées dans ma tête. A gauche, il y avait une bouche grillagées d’où suintait un slim visqueux. Au gré du flux glacé, le slim étiré formait une bulle qui éclatait en une seconde et projetait un nuage informe descendant lentement sur le drap qui me recouvrait et s’amassait au niveau de mon sexe. J’avais l’impression que le drap buvait lentement cette absinthe impure. Une jeune femme guerrière, toujours coiffée de son heaume, se planta devant moi interrogeant un de ses collègues hors de ma vue.

- Il a été amené quand celui-là ?
Je n’entendais pas le collègue.
- Suspecté Covid ?
- …
- Vous l’avez testé ?
Visiblement toujours incapable de verbaliser, je grognais et me débattait de mes membres entravés pour montrer du bout de mon doigt la zone souillée dont j’aurais aimé qu’elle constatât au lieu de perdre son temps à chercher des viroses dans mon nez.
- Houlà ! Monsieur à l’air très excité ! Reprit-elle amusée. Rémi, ajoute  « psy » aussi sur le parcours.

En fait de parcours, ce fut un exil. Un exil en enfer vert, rose, gris, doré. La peinture de la salle d’attente était une fresque pointilliste fauviste, chamarrée et grouillante. J’ai regardé fasciné et recroquevillé dans mon brancard, tirant comme je pouvais sur les sangles pour me couvrir la tête. Mais personne ne venait, pas plus impressionné par mes accès de terreur à chaque brancard qui frôlait le mien. Je voyais ces pauvres gens avec des respirateurs qui expulsaient des brouillards iodés, les ravalaient et éructaient parfois un glaviot vert chrome qui coulait sur la paroi transparente de leur masque.

Passée la première heure d’attente. La raison reprenait lentement sa place. La peinture ne bougeait pratiquement pas. Les coins de la pièce dégoulinaient de traces arc-en-ciel. Cela donnait à l’ensemble une atmosphère colorée et joyeuse qui contrastait avec le blanc gris de la désespérance de l’antichambre de la mort. On me bougea au bout de deux heures dans une pièce avec une infirmière. Elle me planta sans ménagement un long coton tige dans la gorge. Elle en extirpa une boule verte pomme. Je soupirais dans un sanglot et couvrais d’une buée irréelle le casque transparent de l’infirmière.
- Il ne va pas pleurer quand même, me glissa-t elle d’un sourire réconfortant, on vous fait le test pour être sûr, mais vous n’avez aucun symptôme. On va aussi s’occuper de votre grosse bosse.
Je crois que je pleurais des larmes de Seine, mon visage se reflétais contre l’écran de monitoring, du rimmel vert marron me recouvrait le visage et coulait sur mon menton.
- Tout va bien, ne faites pas l’enfant, le docteur va vous voir bientôt, concluait l’infirmière sur le chemin de la salle d’attente.

Les heures suivantes furent celles de la prise de conscience. La peur fut contenue au passage de ce grand noir qui parcourait le long couloir de sa serpillière. Il essuyait le marron, le gris, le doré et le vert de son grand pinceaux, un artiste des couleurs dénaturées qui effaçait la peinture gluante et la rinçait dans un grand bac qui crépitait et étincelait de vapeurs. On aurait dit que les couleurs luisaient jusqu’à la transparence. J’eu le temps en tout cas de me calmer et de comprendre cette réalité horrible de tous ces gens qui vivaient au milieu de toute cette vie invisible.

Un énième parcage dans une salle blanche troubla mes pensées, et un médecin s’assit de l’autre côté du bureau.
- Bon, avant tout, je tiens à vous rassurer, votre test Covid est négatif.
Je lui fis un regard incrédule et blasé.
- On vous a fait un soin pour votre méchant coup à la tête. Ressentez-vous encore des vertiges ?
- Je vois des points partout.
- Ah des points blancs ? C’est persistent sur la rétine ? Même quand vous fermez les yeux ?
- Non, des points verts, entre autres, pas sur ma rétine, partout.
- Vous avez consommé des drogues récemment ?
La conversation n’alla pas beaucoup plus loin que ce dialogue de sourd. Je lui expliquais voir le virus, les viroses vertes qui volaient de la climatisation, il n’en crut pas un mot. Il aurait aimé que cela soit pour que la pédagogie du confinement fusse plus simple. Mais il était impossible de voir un virus de quelques nanomètres, n’est-ce pas. Je m’en tirais d’une ordonnance de calmants et psychotropes pour que je « puisse voir des points roses ».

Dans le hall de l’hôpital, les murs étaient décorés par Jack l’éventreur. De longues traces, vertes bouteilles, débordaient sur les portes vitrées. On aurait dit les restes de cadavres ensanglantés qui venaient de la rue jusqu’à souiller les escaliers du perron. La rue était parsemée de points verts. J’essuyais mes chaussures frénétiquement, puis arrêtais immédiatement voyant la brume grise et vertes montant en un vortex sous mes semelles. Un jeune me frôla en vélo, remontant l’avenue en tchoutchoutant une épaisse fumée fluo vert-jaune. Je retins ma respiration jusqu’à suffoquer et pouffer un jet de bave. Les passants changèrent de trottoir avec empressement tandis que je remplissais mes poumons brûlants.

Je pris un pas rapide pour remonter à mon tour. Expirant doucement, de côté, en croisant chaque personne. Le confinement était obligatoire. Je ne pouvais pourtant m’empêcher de m’interroger sur la présence du virus sur le prélèvement Covid, le faux-négatif, le fait d’avoir eu 4-5 jours de grosse faiblesse le mois dernier et d’avoir perdu l’odorat à cette occasion. Le fait d’être de nouveau contaminé, et probablement contaminant, sans immunité ? Et comment expliquer la chose à des scientifiques, à exposer mon cas singulier au milieu de la cacophonie et du brouhaha numérique. Passer pour un fou, pour un gourou, pour une cause qui me dépasse et sans que je ne puisse rien prouver.

Pourtant, il y avait à dire. Les deux kilomètres qui me séparaient de l’hôpital était zone de guerre. Au silence bizarre se mêlait les camouflages kakis qui entouraient les immeubles jusqu’au bitume. Des patchworks sans formes régulières accrochés aux façades. Des tapis verts marrons qui roulaient sur une brise douce de printemps. Des toiles d’araignées se disputaient le vert de leurs hôtes fleuris et s’arrachaient au gré du vent en de long filaments de barbe à papa goût menthe. Une flaque scintillait devant le parc délaissé et les jeux étaient camouflés comme le reste.

Les quelques âmes croisées étaient suspicieuses elles aussi. A raison. J’avais envie de crier « Covid, Covid, écartez-vous ». Mais j’étais autant effrayés de voir les stigmates martiens dans leurs regards, dans leurs cernes, au seuil de leurs nez, de leurs oreilles, de leurs yeux, de leurs bouches. Le Joker s’était improvisé maquilleur sur toute la population croisée. Les visages zombifiés confortés de quelques microns d’un masque de papier. Le symbole de notre lutte acharnée, presque inutile à mes yeux.

Je remontait mon pull sur mon nez, découvrant mon ventre, essayait de ne pas respirer dans la file d’attente de la pharmacie. Mon tour vint. Je m’enquérais de la vente de masque auprès de la pharmacienne, qui me fit un regard vert luisant, et n’insistait pas en posant l’ordonnance sur le comptoir, sans un mot. Elle me tendit un sac décoré d’une empreinte digitale verte. De nouveau terrorisé, je rentrais dans mon immeuble, psychotique, tentant tantôt d’utiliser mon coude pour appeler l’ascenseur et réalisant l’idiotie de cette manœuvre en voyant la cabine mouchetée de dégradés verts. On aurait pu dater les éternuements à l’aide d’un nuancier, du vert pomme au vert Empereur, en passant par le vert olive et toutes les déclinaisons Pantone intermédiaires.

Je ne m’étais fait, sur le chemin, aucune illusion de la couleur globale de mon appartement. Ce fut le cas. Une nouvelle scène de crime aux projections les plus improbables. Un film d’horreur n’utilise pas tant de fausse hémoglobine. La première action fut donc l’éradication. Armé d’une éponge, de gants et d’eau de javel, je délavais ces aplats de verts, dessinais des pénis, écrivais « help » sur le fond de la baignoire. Je prenais un évident plaisir dans cet holocauste viral, me délectais et invectivais le blob vert jusqu’aux recoins des tablettes du réfrigérateur. Je lâchais enfin une bombe javel dans la cuvette des toilettes et regardais le virus se dissoudre. J’aurais voulu entendre ses cris.

J’entendis des cris et les applaudissements, mais au dehors, et m’y joins frénétiquement en criant la rage du soldat en attaque sur le front. Les rayons du soleil couchant me réchauffaient et offraient leur chaleur à mon corps libéré. Je vis pourtant les gouttelettes dégagées par mes voisins à chaque frappe de leurs mains. La joie de leurs expressions contrebalancées par les projections phosphorescentes et leurs traits tirés. Je regardais mes mains couvertes de rosée verte anis. Je refermais la fenêtre et m’affalais lourdement sur le canapé, entrainant une pluie douce de poussière et de confettis golden. Epuisé, je déconnectais temporairement le cerveau en allumant Netflix.

Minuit à peine, je me réanimais après le rêve étrange, tournais la tête, rapidement rassuré, ce n’était qu’un rêve. J’allumais la torche du téléphone et vis pourtant un tapis vert. Me levant jusqu’à l’interrupteur, je constatais que j’excrétais du virus à chaque respiration. Que le ménage était à refaire. J’eu presque envie de me faire un petit verre d’eau de Javel. Au lieu de cela, je pris un verre d’eau avec mon cocktail psychotrope. Au fond de mon lit, j’élaborais mon plan de communication. Un simple tweet ? Raconter mon histoire ? Parcourir la France et porter la bonne nouvelle ? Vous êtes tous contaminés ! Vous pouvez sortir ! Ceux qui doivent mourir sont condamnés ! Je passais une bonne partie de cette nuit à délirer, probablement du fait de mon ordonnance. Que vont m’opposer les médecins ? La certitude de l’efficacité de leurs tests ? Et si je me trompe ? Je ne suis que le produit d’une hystérie collective, attaqué par cette saloperie de Covid au niveau de mon nerf optique. Je le vois dans la glace, il remonte de ma rétine. Je le veux hors de moi. Je me relevais régulièrement pour attaquer ce bâtard d’une cigarette et d’un verre de vodka. Puis finis par tomber au petit matin.

La brulure du soleil me réveilla. Je traînais une bonne demi heure, hagard. Cela me pris autant de temps pour me rendre compte qu’il n’y avait plus cette lentille verte, ce prisme déprimant qui voilait mon regard. J’en fus presque déçu. Et soulagé, si ce n’est le souvenir de la rue d’hier qui me hantait, la mission qui m’incombait par le sort supplémentaire du sorcier Coronavirus. Rien n’était plus possible. Le sortilège était damnation par sa fugacité. Le seul témoignage tient en ce texte écrit sous anxiolytique, neuroleptiques et alcool. Le leg de quelques heures à voir un virus que d’aucun pensent contenu, que la plupart voit comme une chimère, que les hommes de sciences pensent avoir compris, que les sachants savent maîtriser (laissez leur leurs illusions), que tous doivent en avoir peur sans savoir où il se trouve.

Nous vivons au milieu d’une guerre perpétuelle dont nous ne sommes que des victimes anecdotiques. Nous pensions être armés de la technologie, et nous le sommes d’une certaine manière, surtout pour communiquer jusqu’au caquettement. Mais dans cette lutte nous sommes le champ de bataille et pas l’assaillant. Les virus et bactéries passeront sur nos corps sans qu’on le sache pendant encore des milliers d’années. Nous subirons le collatéral de l’efficacité d’une arme biologique qui n’a personne derrière sa géopolitique. Et puis un jour, la science toute puissante nous donnera cette vision sur l’infiniment petit. Ce jour là, nous ne dormirons plus, nous nettoierons hystériquement notre environnement, notre peau, notre âme, nous ostraciserons les infectés, nous n’exposerons plus notre chair et donc nos défenses. Hors de la nature, nous offrirons nos dépouilles, derrière nos barbelés hygiénistes, nous perdrons notre liberté, nous gagnerons cette guerre par la terre brûlée. Nous sommes les seuls à croire à une victoire. Nous sommes les seuls à porter la guerre contre un ennemi qui nous ignore.

 

La guerre est semblable au feu, lorsqu'elle se prolonge elle met en péril ceux qui l'on provoquée.
L'art de la guerre de Sun Tzu

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