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Episode 5 - Guerre et honneur.

Episode 5 - Guerre et honneur.

Publié le 9 mai 2022 Mis à jour le 9 mai 2022 Culture
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Episode 5 - Guerre et honneur.

Par-delà la forêt de Sambuccalia, sur le chemin aux pommiers verts, s’engageait le combat d’une fourmi en armure contre une centurie de trente hommes.

La pique de la chevaleresse s’allongea jusqu’à percuter le bouclier d’Amélia. C’était un grand disque d’or, suffisamment large pour envelopper entièrement un enfant. Au centre, le vautour d’Arés éployait ses longues rémiges devant un soleil éclatant. Cette relique était à la fois le symbole et la fierté de sa maison ; le bouclier de ses ancêtres.

Dans sa langue, la centuria aboya :

« Tu tiens donc à mourir ? Repars ! devant toi se trouve l’empire de la guerre. »

Mais la chevaleresse, qui ne comprenait pas, frappait sans s’interrompre avec des rugissements de bête fauve. Amélia para tous les coups avec d’amples revers, sans jamais lever son arme.

Alors, une agitation passa sur toute la centurie comme une violente bourrasque. Les Prohéliens se mirent à pousser des cris en brandissant leurs lames. Tous s’imaginaient, emportés par la simple force de leur conviction, qu’elle était éclaireuse comme eux et que l’armée ennemie se trouvait proche. Las des disciplines autant que de la monotonie du voyage, ils s’impatientaient de ne pas pouvoir abreuver leur soif de violence ; ils réclamaient maintenant du sang pour apaiser les peines passées et à venir. Leurs vociférations, pareilles à celles qu’ils avaient entendu autrefois aux arènes, couvraient les croassements des corbeaux en fuite. Ils frappaient leur plastron du poing, hurlaient des insultes qui explosaient en pluie de salive, excitaient leurs chevaux pour effrayer l’enfant et encourager leur cheffe, dont l’épée n'avait toujours pas quitté le fourreau.

Soudain, l’un des cavaliers, plus fougueux que les autres, voulut abattre lui-même la chevaleresse. Il rompit les rangs, s’avança sans rien dire.

Amélia, d’un geste vif comme un serpent qui mord, attrapa le petit poignet qui tenait la lance et attira brusquement la fillette vers elle, la désarçonnant presque. Se tournant vers sa centurie, elle saisit de l’autre main son arme, qu’elle pointa vers le soldat impétueux. Le menton bas, la pupille fixe, elle s’écria, à la façon d’un chasseur qui reprend un chien indiscipliné :

« Qui te l’a autorisé ? »

Et l’autre, honteux, offensé, rougit de fureur d’être ainsi humilié par une femme.

« En formation » reprit-elle d’une voix sèche, dévisageant chacun de ses trente centurions, comme pour les défier.

La Soletalienne, ballante entre la jument et le palefroi, se tortillait sous les doigts crispés de la Prohélienne. Elle paraissait, avec ses cris aigus et ses grognements, un chat piégé qui tentait de s’échapper par des contorsions farfelues. À la voir ainsi, la centuria éprouva d’abord un agacement, puis un remord. Elle voyait dans ce visage doux et tout plein de colère cette même obstination, cette même impertinence qui l’avait animée quinze ans auparavant. Des visions lui surgirent malgré elle devant les yeux : la guerre n’épargnant pas les jeunes filles, elle s’imaginait tour à tour ses centurions la déshonorer, l’éviscérer puis la crucifier.

Combien en avaient-ils torturé ainsi,  dans les gorges des Elixirus ! Elle les avait vu, ces mêmes hommes qu’elle commandait aujourd’hui, galoper en tenant des vieillardes par les cheveux jusqu’à écorcher leurs jambes, clouer les mains ou les têtes coupées des mères sur les murs des maisons, puis ramener au camp les vierges, qui subissaient là-bas les déviances les plus immondes jusqu’à finir sur des croix. La nuit, allongée la figure aux étoiles, la Prohélienne entendait encore les rires et les supplications ; à ces moments, une culpabilité lui pesait sur le ventre au point de lui faire monter la bile aux lèvres.

« Est-ce pour cela que je dois me battre ? » se demandait-elle à l’aube.

Amélia considéra de nouveau la chevaleresse, et aussitôt un besoin inexplicable de la protéger l’anima. Elle ne voulait pas que cette enfant-là mourût pour une cause dépourvue d’honneur ; il ne le fallait pas.

Dès cet instant, elle sut que ses hommes, constatant cette retenue, la jugeraient faible. Bien qu’elle eût lutté pour s’approprier une place sur les champs de bataille, elle s’attendait à ce qu’on guette ses moindres fautes pour l’accuser d’être trop lâche, trop sensible, comme toutes les autres dont elle partageait le sexe. On la renverrait à la capitale, et alors ses rêves de gloire s’en iraient en même temps que son titre.

Tout à coup, elle cogna le heaume de la fillette du plat de l’épée afin de lui ordonner le silence, puis la repoussa sur sa selle. Puisqu’elle connaissait les bases de la langue Soletalienne, elle murmura :

« Ton armure ! je sais tu es seule. Non armée Soletalia, non ? Redi ad oram ! * »

Amélia lui montrait l'Ouest du menton pour se faire comprendre. Puis elle détourna le regard, consciente qu’en aidant une Soletalienne, elle désobéissait à l’Empereur.

Derrière elle, le silence vrombissant des cavaliers menaçait.

 

* Retourne vers la côte !

 


Par : Hamilcar

Image by Billy A from Pixabay.

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