

Chapitre 9 : L'échiquier des âmes
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Chapitre 9 : L'échiquier des âmes
Avec la disparition mystérieuse des clés, quelque chose s’était brisé en moi, en même temps que le miroir assassiné. Extérieurement, je demeurais inchangée, identique aux yeux des autres, mais intérieurement, je me sentais emprisonnée, verrouillée dans une froideur calculée. J’avais pris conscience que l’influence néfaste de William était bien plus étendue et insidieuse que je ne l’avais, jusqu’alors, imaginé. Moi qui croyais naïvement que les tensions s’apaiseraient naturellement une fois l’appartement conjugal quitté, je réalisais maintenant qu’il était fermement décidé à empoisonner mon existence. La simple séparation physique ne suffisait pas à le tenir éloigné. Ignorant s’il cherchait à ce moment précis à me reconquérir, j’étais envahie par le sentiment oppressant qu’il cherchait plutôt à me pousser à la folie, de manière irréversible. Je jouais à être moi, sans vraiment l’être, parce qu’en réalité, mon être tout entier aspirait à faire table rase du passé. Tous ceux qui m’entouraient me renvoyaient à ce que j’avais vécu ces derniers mois. Le quartier dans lequel j’habitais, à un pâté de maisons de l’ancien, me rappelait sans cesse mes geôles psychologiques et l’échec cuisant de mon histoire avec lui. Mais quand on a un enfant en commun, on ne peut pas simplement partir comme ça. Je pensais encore que Fleur avait besoin de lui dans sa vie pour s’épanouir, même si le destin a fait que ses parents vivent séparément et pire qu’ils se détestent de chacun de leurs atomes. Au prix de grands efforts, j’arrivais à prendre sur moi, pour elle, même si désormais, je n’autorisais plus William à mettre le bout d’une semelle chez nous. Les transmissions de la petite se déroulaient dorénavant sur le palier, en un espace neutre, loin des souvenirs douloureux et des murs qui avaient été témoins de notre amour déchu. Dans un énième jeu de dupes, il sonnait à l’interphone en bas, feignant l’innocence alors que je savais pertinemment qu’il possédait toujours la clé du hall d’entrée. Je n’avais changé que la serrure de mon appartement, mais pas celles de l’immeuble. Il montait, nous échangions quelques mots rapides de parents, des phrases froides, dépourvues d’affect et elle, notre petite Fleur, partait pour le week-end, une semaine sur deux.
Son sempiternel nounours bleu, témoin silencieux de nos vies disjointes, pendait par l’oreille, trimballé dans ses petits bras innocents. Mais, quand elle n’était pas chez lui, Will s’en servait de cette foutue clef. Souvent. Un soir, tard, alors que le silence enveloppait l’appartement et que ma petite fille était plongée depuis longtemps dans un sommeil que j’imaginais peuplé de rêves colorés, j’étais absorbée par l’écriture sur mon ordinateur. Une conversation téléphonique avec une amie résonnait, le téléphone coincé entre mon cou et mon épaule, quand un léger choc, sourd et bref, contre la porte d’entrée a percuté mes oreilles. En un éclair, une décharge électrique parcourut mon corps, raidissant mes muscles. Dans un souffle, j’intimai à Hélène de se taire, mon attention entièrement accaparée par ce bruit inconnu. Prestement, je me suis levée et ai avancé vers la porte. Levant le loquet du judas, j’ai aventuré un œil à l’extérieur. Ce geste répété mille fois, est devenu un rituel nocturne avant de me coucher. À travers cette petite ouverture, je sais que je verrai la lueur rassurante de la diode orange de l’interrupteur dans l’escalier, semblable à un phare guidant un marin dans la brume pour éviter qu’il ne s'échoue sur les écueils cachés.
Ce soir-là, l’obscurité était une entité vivante, mouvante un gouffre abyssal de ténèbres, dépourvu de la moindre lueur pour dissiper mes doutes. La noirceur s’imposait en maître, et derrière la porte en bois, un souffle étouffé trouvait son chemin jusqu’à mes oreilles, pressées contre le grain rugueux, guettant le plus infime bruissement. Soudain, je me reculais d’un bond, chuchotant à Hélène, qui écoutait avec une attention infaillible, que je la rappellerais. Mon cœur martelait ma poitrine, et dans un élan de courage, je composais le numéro de la police. Le flic au bout du fil me bombardait de questions, je m’agaçais. Je ne désirais qu’une chose : que quelqu’un vienne, l’arrête, le jette derrière les barreaux pour mettre fin à cette mascarade. Et plus que tout, je voulais dévoiler au grand jour les manœuvres sournoises de mon ex-mari.
L’agent m’ordonnait de ne pas ouvrir la porte, promettant l’arrivée imminente d’une patrouille. Pourtant, je suis presque certaine qu’ils ne sont jamais venus, ou alors ils sont restés à l’écart, se contentant d’observer de loin. Après avoir raccroché, j’ai immédiatement alerté Ronan. Malgré l’heure avancée, il est arrivé en trombe, son trousseau de clés d’officier de police judiciaire en main, prêt à déverrouiller tous les mystères, pénétrant dans l’immeuble pour inspecter chaque recoin des parties communes et de l’extérieur. Finalement, il m’a retrouvée, haletante et seule dans le silence oppressant du premier étage, sans la moindre trace de William qui avait dû se fondre dans les profondeurs de la nuit depuis longtemps. Ronan, avec une lueur mystérieuse et captivante scintillant dans l’azur profond de ses yeux, m’a alors serrée contre lui avec une intensité qui m’avait manquée, étrangement familière et pourtant renouvelée. En dépit du tumulte ambiant, j’ai puisé un réconfort inattendu dans la solidité de son étreinte, la chaleur apaisante de ses mains, et l’aura virile et protectrice qu’il dégageait, son corps contre le mien. Il me semblait que cela faisait une éternité que je n’avais pas été enlacée avec une telle puissance charnelle, et je me suis sentie, pour un instant hors du temps, enveloppée et protégée par sa présence, blottie en un havre éphémère au cœur de la tempête qui secouait mon existence, chaque battement de son cœur résonnant comme un écho au mien, fusionnant l’espace de quelques minutes dans une symphonie de sensations qui transcendait le chaos alentour.
Dans ce moment suspendu, alors que Ronan se dégageait doucement, la réalité a commencé à se réimposer avec la subtilité d'une brise légère. Les ombres nocturnes semblaient chuchoter des vérités inaudibles, et dans leur langage secret, une pensée s'est frayé un chemin jusqu'à la surface de ma conscience. En un murmure de doute, une question sans réponse qui s'insinuait dans les interstices de mon esprit. Et si... ? Et si les choses avaient pu être différentes ? La chaleur de notre étreinte s'estompait, mais la brûlure de cette interrogation demeurait, insaisissable et persistante. Puis, il a disparu comme il était venu, englouti par le voile de la pénombre pour se perdre dans des bras que je ne connaîtrai jamais, et c’est peut-être mieux ainsi. Avec le recul, je réalise que j’aurais peut-être dû agir différemment. Peut-être aurais-je dû ouvrir cette porte et brandir un couteau. Peut-être, alors, la peur aurait-elle changé de camp… Qui sait ?
À partir de ce jour, pour préserver mon âme endolorie, j’ai enclenché le mode “pilote automatique”. Je m’efforçais de bloquer au maximum chaque émotion qui m’envahissait, les percevant comme une faiblesse que je ne pouvais me permettre. Chaque sentiment, chaque pensée empreinte de haine et de rancœur, je les refoulais au plus profond de moi, me convainquant que c’était la seule manière de survivre. Si j’en avais eu la possibilité, je me serai
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