1-Pile à l'heure
Sur Panodyssey, tu peux lire 30 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 28 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
1-Pile à l'heure
J'ai trente-huit ans. Il est mort samedi matin. Enfin j'écris.
J'éprouve un sentiment d'excitation comme quand l'heure du rendez-vous approche à grand pas. D'ailleurs dans quelques jours, ce sera son grand départ, définitif, irréversible et total de la surface de la terre, poussière parmi poussière - ça a du bon, la crémation. Peut-être que j'aimerai voir ça de mes propres yeux, être au rendez-vous.
Un sentiment pourtant me freine, comme une peur, qui me fait douter de l'intérêt d'y être. Pour voir quoi : un cercueil fermé ? des gens dont je me fous assister au grand voyage d'un vieux con pervers et obsédé ? Pour être sûre ? Sûre qu'il est mort, décédé, crevé, vidé, inoffensif ? Oui, sûre qu'il ne peut plus m'atteindre, que nos chemins ne se croiseront plus jamais, que nos corps charnels n'entreront plus jamais en contact, plus à mon insu.
C'est cette peur irrationnelle d'être dans la même pièce que lui qui me bloque. Encore, oui, même au crématorium. C'est vrai et affreusement bête à dire. Aller, voir, voir de mes yeux et constater, oui, observer- rationnellement- par moi-même, que ce type va partir, là, devant moi, rongé par les flammes, quitter cette planète, seule chose que nous avions en commun à part un peu de sang et un nom. Lui part et moi je reste.
Et si j'étais au rendez-vous sur le quai du grand voyage sans retour ? Et si je glissais dans ses bagages ce qui m'encombre, m'embarrasse, me terrorise, me peine, me blesse, me rend faible, impuissante, petite et sans défense... ce qui me rend honteuse, fragile, vulnérable, et aussi révoltée, vengeresse, pleine de colère, de rage, face à l'injustice et l'impunité. Depuis tant d'années.
Puis-je le faire ? Aurais-je la force de le faire ?
Il faudra que je sois pile à l'heure.