L'appel de la forêt
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L'appel de la forêt
Lorsque l’on apprit dans ma famille que je venais d’être nommé dans un poste de l’Allier mon frère me demanda :
⎻ Tu iras ?
⎻ Tu iras y faire un tour, tu me diras… avait surenchéri ma sœur Mone.
Voilà ! j’y étais.
Mes jumelles en sautoir je m’avançais dans une large allée où l’herbe rase crissait sous mes pas. Mais où aller ? J’avais dix mille hectares de forêt en face de moi.
J’étais seul, ici pas un joggeur, pas un promeneur de chien. En cette matinée de fin de septembre, malgré le soleil l’air était frais. Sur une zone pentue, les rayons rasants faisaient brasiller la canopée au dessus de laquelle flottaient encore quelques lambeaux de brume. Déjà d’obscures jaunes mélangés à des teintes rougeâtres envahissaient les boisées qui m’entouraient. Dispersés sur les coteaux, des merisiers carminés et les bouleaux flavescents rutilaient, étroits comme des flammes de chandelles ils perçaient la carapace sombre des cimes.
Las de suivre cette autoroute forestière, je m’engageais au petit bonheur la chance dans une allée transversale. A un carrefour un petit panneau m’indiqua : « Futaie Colbert ». Voilà ! J’y étais presque… J’étais sur le point de découvrir le graal…
C’était pour elle que j’étais venu. J’allais terminer le parcours initiatique que je m’étais imposé. Au bout du chemin se trouvait le « paradis perdu » de la famille. Toute mon enfance avait été bercée par les légendes de la Forêt de Tronçais et la Futaie Colbert.
Je m’enfonçais sous le couvert d’un étroit sentier bordé de grands hêtres dont les basses branches me fermaient parfois le passage. Le sous-bois s’était déjà éclairci. Les feuilles mortes tombaient en virevoltants. Un bruit de fuite m’avertit, je venais de déranger un hôte de ces lieux. Plus loin, discrètement un écureuil surpris de me voir traverser son domaine se cacha derrière un tronc pour m’observer. De temps en temps un pic occupé à chercher des larves, disséquait un arbre mort, faisant entendre un tambourinage intempestif qui troublait la quiétude de cette matinée.
Il y avait maintenant plus d’une heure que je marchais, je débouchais sur un chemin de halage où s’entassaient une quantité impressionnante de grumes attendant qu’on veuille les mener à la scierie. Je me délestais de mon sac à dos, les bretelles me sciaient les épaules. J’étais allongé sur un tronc pour reposer mon dos endolori lorsqu’une effrayante et soudaine bramée me fit sursauter. A trente pas de moi un grand cerf le mufle pointé vers le ciel, les babines retroussées en flehmen humait un parfum d’amour en poussant de rauques mugissements. Le brame était commencé.
Soudain un deuxième dix-cors apparut au galop éructant des raires spasmodiques. Alors, exprimant leur besoin de dépenser leur trop plein de testostérone, les deux bêtes les muscles bandés, front contre front, les museaux dans la terre, les ramures emmêlées commencèrent leur compétition pour la dominance. Le vainqueur deviendrait le maître de la harde. Brusquement le combat s’interrompit, les deux cerfs bondirent dans les halliers. Je me précipitais à leur poursuite. En quelques enjambées je venais de pénétrer dans dans un grand espace ouvert cerclé de chênes bicentenaires, j’étais dans le sanctuaire de la forêt de Tronçais, un monument végétal exceptionnel. La fierté des forestiers français.
Un plan m’indiqua les curiosités à voir. Je relevais sur un cahier dont je m’étais muni un croquis succinct des emplacements. Puis je me lançais à la recherche des vieux colosses qui font la notoriété de Tronçais : le chêne Saint Louis ; La Sentinelle ; Le Vieux Morat ; les Deux Jumeaux ; le Chêne de la Résistance et bien d’autres encore.
Un à un je les étreignis, leurs écorces gercées de profondes gouttières m’entra dans la chair. Je m’asseyais sous leurs voûtes pour me remémorer mon grand-père Pierre garde forestier qui avait été le gardien de ce temple éternel. Je me souvins des trop rares instants, quant au coin du feu, bien loin d’ici il me contait cent anecdotes sur ces vieux solitaires qu’il avait si bien connus. Sa voix se mélangea bientôt aux frémissements des feuilles et aux chuintements des ramures qui se balançaient en se plaignant sous la brise qui les agitait faiblement.
Montluçon le22 septembre 1996