Falcon-Dog et ses équipiers sont en route vers le Mur de Brume. Ce n’est plus

qu’une question de temps, désormais. Les Canins ont trouvé le meilleur moyen pour

se déplacer le plus vite possible : Lisa, Falcon-Dog, MégaBilly, Cabos et l’Etranger

traversent le Hurle-Bois à dos de loup.

Les membres de la Meute sacré n’ont opposé

aucune résistance à cette idée. Ces fantastiques montures filent comme le vent,

slaloment entre les arbres, les buissons, les rochers, sautent au-dessus des cours

d’eau. Ce territoire leur appartient. Les loups sacrés naissent dans le Hurle-Bois,

grandissent dans le Hurle-Bois et chassent dans le Hurle-Bois.

Lisa chevauche le plus respecté et le plus sage de tous les loups d’Ethélys : le

chef de la Meute sacrée. Le mâle alpha. Le Père des loups. Pour Lisa, il est difficile

de croire qu’elle a adopté sa fille sans le savoir, depuis le début… Cette jeune louve

si particulière a hérité des pouvoirs de soin de son père. En effet, le mâle alpha

possède des capacités de guérison et de brume à la fois, ce qui est très rare. En tant

que « Père des loups », c’est à lui que revient le rôle de gardien du Hurle-Bois ; il

détient donc une autorité sur la totalité des loups sacrés. C’est un honneur de

chevaucher pareille créature.

Il faut dire que Lisa n’est pas peu fière de mener la tête du groupe. Derrière elle,

les membres de l’équipe et l’Etranger la suivent. Chacun est monté sur l’un des

quatre autres loups de la Meute sacrée. Derrière eux, une trentaine de loups sacrés

de la forêt les suivent, prêts à apporter leur aide inestimable. Cette énorme troupe

progresse dans le Hurle-Bois comme s’écoule un fleuve au fil de l’eau, en filant et

se faufilant furtivement dans la forêt. Une seule destination : le Mur de Brume.

À l’avant, Falcon-Dog s’approche de Lisa tant bien que mal – difficile de tenir

en place sur une monture aussi rapide ! – et lui dit :

— Bravo Lisa, tu as assuré ! Quand je t’ai vue sortir de la grotte tout-à-l’heure,

entourée des loups de la Meute sacrée, c’était… magnifique !

— Merci beaucoup, répond-elle simplement, en commençant à rougir.

— Je suis vraiment impressionné : tu les as convaincus de nous apporter leur

aide, tu t’en rends compte ?

— Oh, ce n’est rien… Tu sais, c’est aussi grâce à Mauve.

La sabrador tourne alors son regard vers la louve. Assise juste devant elle, Mauve

est si heureuse d’avoir retrouvé son père après s’être égarée dans les bois… Lisa

aussi, évidemment ; mais elle n’a pas envie de quitter son amie. « Je sais bien que

Mauve devra retourner avec les siens, pense-t-elle. C’est normal après tout, mais… »

Il sera difficile de s’y résoudre. Mais pour le moment, il y a bien d’autres priorités.

Falcon-Dog se tourne maintenant vers l’Amiral Cabos, afin de demander la suite

des opérations. MégaBilly et Lisa sont là pour écouter. Il n’est pas évident de se

réunir ainsi, en pleine course, mais hors de question de s’arrêter : le temps presse !

— Ecoutez-moi bien, mes chers équipiers, clame l’Amiral en haussant la voix

pour se faire entendre. Faisons le point : notre destination s’avère être le fameux Mur

de Brume. La nuit tombera bientôt, nous devrons nous arrêter dans une heure ou

deux, pour passer la nuit dans les bois. Une fois arrivés au Mur de Brume, nous

demanderons aux loups sacrés d’entrer en action. Ils utiliseront leurs pouvoirs de

brume afin de le réparer. C’est le meilleur moyen d’empêcher l’évasion de Férus.

— Et les panthères ? s’inquiète MégaBilly, sans contrôler ses tremblements.

Cette fois-ci, le chihuahua ne tremble pas de peur, mais plutôt des secousses de

sa monture. Il est beaucoup plus confiant désormais, car il sent sa force musculaire

augmenter de jour en jour.

— Il y en aura sûrement dans le coin, admet Cabos. C’est vrai. Nous devrons

alors nous défendre. Restez prudents et ne vous séparez pas, si une meute de

panthères nous attaque. Cela dit, il faudrait être fou pour affronter une telle armée

de loups sacrés !

Le plan à suivre semble assez clair. Cependant, Falcon-Dog pose une question

qui lui a traversé l’esprit, il y a peu de temps :

— Au fait, je me demandais… pourquoi les panthères n’étaient pas passées à

l’action plus tôt ? Elles auraient pu traverser le Mur de Brume avant, non ?

Cette interrogation reste en suspens. Ses équipiers ne savent pas trop quoi

répondre… jusqu’à ce que l’Amiral Cabos émette une hypothèse :

— Il a dû se passer quelque chose de particulier. Je vous ai déjà raconté la légende

de Férus, vous rappelez-vous du récit ? Faites appel à votre mémoire… Le Mur de

Brume n’est pas un simple brouillard, comme celui que nous avons traversé au

Hurle-Bois : il est réputé infranchissable ! Or, cette légende affirme qu’il existe un

moyen de le fragiliser : il faut réunir toutes les panthères de l’île Férus. Pour qu’un

tel rassemblement se produise, seul Férus lui-même est capable de donner l’ordre

aux panthères.

— C’est sûrement ce qui est en train de se produire, confirme Falcon-Dog. Mais

je croyais que Férus était mort, pourtant… je me trompe ?

— En vérité, son esprit a continué à hanter l’île maudite. Souviens-toi de ce que

dit le livre des Cinq Mondes : il est « capable de se réveiller en prenant possession

d’un corps autre que celui des panthères ».

— Un corps « autre que celui des panthères » … Mais de quel corps parle la

légende, dans ce cas ?

Les Canins gardent le silence et restent pensifs. Nul ne trouve de réponse pendant

le reste de la traversée du Hurle-Bois. Quel ennemi vont-ils réellement affronter ?

Autrement dit : qui est Férus ? Le mystère plane.

Le regard de Falcon-Dog s’attarde un instant sur la silhouette de l’Etranger, un

peu plus loin, derrière. Le super-chien l’observe longuement, comme s’il voulait lire

dans ses pensées. Lisa lui a déjà parlé de sa rencontre avec ce mystérieux individu,

et de tout ce qu’il connaissait sur Ethélys. « Je suis sûr que l’Etranger détient une

partie de la réponse, se dit Falcon-Dog sans le quitter des yeux. Je l’entends encore

prononcer sa phrase préférée, à moi ou à Lisa, en guise de réponse : ‘‘tout finira par

se dissiper…’’ Mais de quoi parle-t-il, au juste ? »

À la frontière entre l’île maudite et Ethélys, les pas de Férus font vibrer le sol.

Sous ses moustaches, on pourrait presque déceler un petit sourire de fierté, mais ce

serait alors un rictus démoniaque… Férus traverse désormais le Mur de Brume,

entouré de ses innombrables panthères. Enfin, ça y est ; la brume n’a pas résisté aux

jets de flammes de ses sbires : le Mur de Brume s’effondre sur lui-même, lentement.

Il ne reste maintenant qu’un faible drap blanchâtre, comme un vulgaire brouillard

trouble, qui flotte sur les marécages. Ces derniers ne représentent plus le moindre

danger, maintenant. Ce ne sont plus que de simples marais qu’il suffit de contourner.

Le torrent des panthères s’écoule progressivement à travers les ruines du mur.

Rien ne peut l’arrêter, à présent. Les fauves sont libérés.