Le procès d'Hissène Habré...et la question de la Françafrique
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Le procès d'Hissène Habré...et la question de la Françafrique
14 Sept 15
Lundi dernier a débuté le procès d'Hissène Habré, ancien dirigeant du Tchad de 1982 à 1990, à Dakar. Accusé de crimes contre l'humanité, crimes de tortures et crimes de guerre, ce procès, reporté fin juillet par refus des avocats de plaider devant une cour dénoncée illégitime, est historique car c'est la première fois qu'un tribunal africain vient juger un ancien chef d'Etat. C'est aussi l'aboutissement d'un processus qui aura duré plus de vingt ans, pendant lesquels Hissène Habré s'était réfugié au Sénégal, avant que l'élection de Macky Sall et des réformes du système judiciaire sénégalais en accord avec l'Union Africaine puisse permettre de créer un tribunal compétent, les Chambres Africaines Extraordinaires, pour juger cet ancien dirigeant.
Hissène Habré, brillant étudiant formé à Paris Sciences-Po et Assas, a d'abord prit part à la rébellion de retour dans son pays, et réalisé ses premiers faits d'armes en organisant l'enlèvement puis l'exécution médiatique d'une ethnologue française. Devenu premier ministre puis chef des forces armées du nord, il renverse le pouvoir en 1982, avec l'aide de la France. Soutenu par la France et les Etats-Unis comme rempart face aux visées expansionnistes de Khadafi en Lybie, il fut même l'invité d'honneur au défilé du 14 juillet en 1987, et reçu à la Maison Blanche la même année par Reagan. N'Djamena était alors devenu la base militaire avancée des américains pour mener la lutte contre Khadafi.
En retour, nos gouvernements ont fermé les yeux sur ses affaires intérieures, laissant à Hissène les mains libres pour instaurer un pouvoir dictatorial dans son pays. Exécution des opposants politiques et des prisonniers de guerre, climat de terreur exercée par la police politique, la DDS, (direction de la documentation et de la sécurité), tribalisation du pouvoir avec mise en place de dirigeants politiques exclusivement issus de son clan et épuration ethnique des autres communautés qui osaient se rebeller contre le régime. On estime à 40.000 le nombre de ces exécutions, dix fois plus selon les ONG, notamment Human Rights Watch, qui a depuis mené la campagne pour faire aboutir le procès de l'ancien dictateur.
Percevant des complots partout, c'est en voulant faire le ménage dans sa garde rapprochée que Idriss Deby Itno, son bras droit chargé de la défense et de la sécurité, le renverse en 1990, et qu'il prend la fuite au Sénégal avec un joli magot. Assuré de son immunité à condition de cesser toute activité politique, il y vivra des jours paisibles jusqu'à ce que l'Histoire vienne le rattraper.
Au delà du procès et de l'homme, cette histoire est aussi à l'image de ce que fut la politique étrangère du bloc occidental, et notamment de la France et des Etats-Unis en Afrique depuis la décolonisation. Que ce soit pour des raisons stratégiques, géopolitiques ou économiques, la France a soutenu politiquement et militairement des régimes forts et des présidents-dictateurs, afin de parer aux risques d''instabilité de ces pays naissants et continuer ainsi à servir au mieux ses intérêts ; qu'il s'agisse de lutte contre le communisme ou de l'indépendance énergétique de la France (cf l'affaire Elf au Gabon et au Congo), et à l'instar de la politique américaine en Amérique du sud ou au Moyen-Orient.
L'Occident s'érigeait pourtant en rempart pour les libertés individuelles face au totalitarisme communiste, mais le respect des règles du jeu démocratique, des droits de l'Homme, et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'apparaissent en réalité que comme une chimère, des valeurs reléguées au second plan face aux intérêts stratégiques de l'Occident.
Qu'on parle d'un Hissène Habré au Tchad, d'un Mobutu dans l'exZaïre, d'un Omar Bongo au Gabon, d'un Bokassa en Centrafrique ou d'un Sassou N'Guesso au Congo, tous doivent leur accession au pouvoir selon le bon vouloir de la France et des Etats-Unis.
Nul n'est prophète ; et personne ne peut dire ce qu'il serait advenu dans ces pays si la France et les Etats-Unis ne s'étaient pas autant impliqués dans leur jeu politique. L'Afrique aurait elle gagné en processus démocratique ? Aurait-elle su élire de meilleurs dirigeants, qui sachent mieux conduire la construction de leur nation naissante et mieux servir les intérêts de leur population ? Aurait-elle mieux su négocier ce tournant historique que représentait son accession à l'indépendance ? Ou, au contraire, les guerres civiles se seraient elles multipliées, les conflits interethniques exacerbés, les nouveaux Etats fragmentés, à l'image des Balkans ? Comment comprendre ces tristes similitudes entre un Seckou Touré et un Hissène Habré par exemple, hommes érudits et pleins d'idéaux, qui une fois passés au pouvoir deviennent des tyrans pour leur propre peuple, méfiants à l'extrême de tout complot, et écrasant dans la terreur et le sang la moindre opposition ?
Et que penser de la politique extérieure française actuelle, intervenant au Mali ou en Centrafrique, assurant un soutien inconditionnel à Idriss Deby Itno, président toujours actuel du Tchad, pays central dans la lutte contre le terrorisme, et base militaire principale de l'armée française dans le cadre de son opération Barkhane ? Quelles similitudes avec le passé ?
Quoi qu'il en soit, cette ingérence à la française, dénoncée depuis sous le terme de Françafrique, a favorisé un clientélisme et une corruption évidents, a soutenu ces dérives autoritaires et dictatoriales, et au final a desservi le développement des nations décolonisées. La déception et l'amertume sont grandes chez les peuples de l'Afrique Francophone, qui poursuit une histoire passionnelle d'amour et de haine avec son ancien colonisateur. L'esclavagisme et la colonisation demeurent dans la tête de tous, comme un spectre encore bien vivant qui vient hanter leur Histoire, et souvent perçu comme l'explication première du faible niveau de développement de l'Afrique aujourd'hui. Et pourtant, si l'hostilité envers les français se manifeste à divers endroits comme en Côte d'Ivoire, je suis pour ma part toujours surpris de l'intérêt et du bon accueil qui me sont manifestés.
La diplomatie n'est certes pas la seule défense d'idéaux et de valeurs, elle défend aussi des intérêts géopolitiques, stratégiques et économiques, qui malheureusement souvent desservent ces premiers dans le jeu de la realpolitik. L'Histoire se charge ensuite de juger ces choix à l'épreuve du temps, comme elle le fait aujourd'hui à Dakar avec Hissene Habré.
Que retenir de tout ça ? Que peut-être devrions-nous moins nous poser en donneurs de leçons, quitter notre arrogance ou notre condescendance, et reconnaître que nous n'avons nous-mêmes été ni exemplaires ni remarquables dans l'Histoire nouvelle de ce continent, depuis qu'il a accédé à la liberté de disposer de lui-même.