Chapitre 13 - POV Askaï
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Chapitre 13 - POV Askaï
— J’ai du nouveau, annonça Kyle en faisant irruption dans ma suite.
Cela faisait déjà presque quatre jours que Lia avait disparu et je n’avais pas quitté le manoir de l’Alpha Suprême. Erik, Gail et Kyle étaient restés à mes côtés tandis que tous les autres étaient retournés à la meute pour épauler Marcus et Ciara. Les recherches pour retrouver Justine et ses complices restaient infructueuses et les entraînements devenaient de plus en plus intenses. Tous les loups étaient sur le qui-vive, surtout depuis l’enlèvement de leur Luna.
— Crache le morceau, grondai-je impatient.
— Il semblerait que Lia n’était pas seule dans les toilettes avant de se volatiliser.
Il éparpilla plusieurs photos sur la table basse devant moi. Bien que la définition ne fût pas des plus précises, je pus aisément reconnaître la luna de la Lune Rouge, l’ancienne meute de Lia, passer la porte juste derrière ma compagne.
— Pourquoi je ne l’apprends que maintenant ? m’emportai-je.
Je me levai si brusquement que le fauteuil dans lequel j’étais assis bascula, renversant mon whisky partout sur la moquette.
— J’ai récupéré ces clichés sur les téléphones des invités. Ça m’a permis de retracer les événements de la soirée. Il semblerait que le petit numéro de Kara était destiné à faire diversion. Regarde qui est entré pendant que Nila montrait les dents.
Kyle me tendit une des images sans plus attendre. Un râle rauque et puissant m’échappa lorsque j’identifiai l’invité mystère. Vlad Constantine.
— Comment ? pestai-je.
— Du XT68, mais une version modifiée. J’ai fait quelques recherches sur le marché noir. Clara a accepté de me parler. Il semblerait qu’une nouvelle formule tourne en ce moment, m’expliqua mon gamma. Il supprimerait toutes les odeurs, quelle que soit notre origine. Pire encore, d’après elle, il permet de se fondre dans n’importe quelle communauté en faussant l’odorat des autres. En gros, un loup va le reconnaître comme étant un métamorphe, un vampire comme un putain de suceur de sang, une fée comme l’une des leurs…
— Malin, concédai-je furieux. Voilà comment il a pu s’approcher d’une maison pleine d’alpha et de bêta, et comment les vampires ont pu pénétrer notre territoire… Et ta sorcière, elle connaît un produit qui pourrait nous immuniser, nous et notre odorat ?
Kyle fit une grimace que je ne sus déchiffrer avant d’expirer bruyamment par la bouche.
— Rien pour le moment. Mais elle accepte de bosser dessus à une condition.
— Laquelle ? demandai-je en serrant les dents.
Je ne faisais aucunement confiance aux sorcières et voilà que, pour la deuxième fois en moins d’une semaine, je me voyais contraint de collaborer et de négocier avec l’une d’entre elles. Cette Clara avait réussi à obtenir un entretien privé avec Lia, quelques jours plus tôt. Lia avait accepté de prendre un café avec elle en ville en échange du V08. Bien sûr, elle m’avait mis devant le fait accompli. Je n’avais pas eu le temps de repérer les lieux, ni de mettre en place une stratégie de surveillance et de protection. Leur rendez-vous n’avait duré que soixante minutes. Une heure de pure torture, même si j'avais eu l’autorisation, après de longs pourparlers, de l’accompagner. Mais une fois sur place, cette maudite sorcière m’avait ordonné de rester à l’écart. Et, malgré mon ouïe aiguisée de loup, je n’avais pu entendre leur conversation. Je soupçonnais Clara d’avoir jeté un sortilège autour d’elles pour qu’elles puissent discuter sans être entendues. De quoi avaient-elles parlé restait un mystère. J’avais interrogé Lia, mais elle avait refusé de me divulguer la moindre information.
— Elle veut quelque chose qui appartient à Luna, déclara Kyle hésitant.
— Quoi ? Sûrement pas, m’énervai-je. Retrouve Kara. On doit savoir quel est son lien avec Vlad et pourquoi il s’en est pris à Lia.
Je me mis à arpenter la pièce, comme un lion en cage, m’efforçant de garder les idées claires. C’était la première piste depuis des jours et je devais me concentrer dessus. La sorcière pouvait attendre.
— Clara est peut-être notre meilleure chance, insista mon gamma.
Une vague de colère m’envahit et mon aura s’abattit sur lui. Golliath était assoiffé de sang, tout comme moi. Nous n’avions plus le temps de jouer avec cette harpie. Il restait moins de quatre jours avant que le V08 ne soit complétement éliminé de l’organisme de Lia. Je pouvais ressentir sa peur à travers notre lien. Malheureusement, Vlad avait manifestement muselé Nila, nous privant ainsi de notre moyen de communication télépathique. Celui des compagnons.
— Askaï, comment avancent les recherches ?
Pour la première fois depuis notre arrivée, L’Alpha Suprême, Conrad, daignait nous honorer de sa présence. Habituellement, il venait toujours m’accueillir en personne. Mais curieusement, cette année, il ne s’était pas présenté lors de la soirée et nous n’avions eu à faire qu’à son bêta, Lucius. Il avait pris la direction des investigations. Je lui devais d’ailleurs mon sort de prisonnier. Il avait refusé ma présence lors des interrogatoires, auxquels chaque invité avait été soumis avant d’être renvoyé dans leur meute respective. Il avait également refusé que je participe à la fouille du territoire qu’il avait organisée. Heureusement, il ne s’était pas opposé à ce que mes hommes l’accompagnent. J’avais besoin d’avoir des yeux et des oreilles sur le terrain. Pour ne pas devenir fou. En attendant que l’Alpha Suprême accepte de se montrer et m’autorise à quitter ma suite.
Mon père et Conrad étaient des amis d’enfance. Conrad avait toujours été comme un oncle pour moi et un guide depuis la mort de mes parents. Il m’avait beaucoup épaulé lorsque j’avais pris la tête de la meute. Sans son aide et son soutien, je n’aurais jamais pu faire mon deuil et assumer mes responsabilités. Je n’étais encore qu’un gamin. Un petit con qui ne pensait qu’à faire la fête et baiser tout ce qui bougeait sur le campus.
Lucius, lui, était mon mentor. Il m’avait pris sous son aile depuis mon plus jeune âge et m’avait formé comme si je faisais partie de la lignée royale. Comme si j’étais le successeur de Conrad. Je n’avais pas fait mes classes avec les autres loups de ma meute. J’avais passé six années aux côtés de ce loup cinq fois centenaire, à apprendre l’art du combat, les stratégies militaires, les arcanes de la politique… Lucius était le plus grand guerrier du continent. Il avait façonné les meilleurs, dont Conrad et mon père, et m’avait également fait bénéficier de son enseignement. Il était incroyable et possédait la force et l’aura d’un puissant alpha, mais il n’avait jamais voulu assumer les responsabilités d’un tel statut. Il préférait rester en retrait et je l’admirai pour ça. Être capable de maîtriser son loup et son côté dominant pour travailler sous les ordres d’un autre alpha était une prouesse remarquable. Peu en étaient capables, à commencer par moi. Pourtant, lorsqu’il m’avait écarté de l’enquête, je n’avais pas discuté. Je n’avais pas contesté. Je savais que cette décision, même si elle me tuait, était réfléchie et justifiée. Il ne me considérait pas comme incompétent. Il ne connaissait que trop ma douleur et mon chagrin. Il avait perdu sa compagne destinée quelques jours seulement après leur accouplement. Lors d’une attaque de renégats. Et il y avait survécu. Sans sombrer dans la folie.
Je soupirai profondément, passant les doigts dans mes cheveux. J’étais totalement perdu et désemparé. Enragé et déchaîné. Je n’avais pas fermé l’œil depuis des jours. Je ne m’étais même pas donné la peine de me raser ou de me laver. Il suffisait de me regarder pour comprendre que nous n’avions pas progressé.
Conrad s’avança vers moi et posa son immense main sur mon épaule. Malgré mon mètre quatre-vingt-quinze, à côté de lui, je paraissais petit, presque chétif. Il avait la carrure d’ours et c’était en partie pour cette raison que tant d’histoires horribles courraient à son sujet. Personne ne voyait l’homme bon et juste derrière cette apparence de monstre féroce. Personne sauf Dana, sa défunte compagne. Elle était morte en couches, 22 ans auparavant, avec l’enfant. Comment avait-il pu survivre à une telle perte ?
Subitement, Conrad commença à humer l’air et à grogner. Ses prunelles ambrées devinrent aussi sombres que l’onyx.
— D’où vient cette odeur ? m’interrogea-t-il d’une voix rauque presque sauvage.
Son loup, Vox, n’était pas loin. Quelque chose le perturbait et avant que je n’aie eu le temps de réagir, il se jeta sur les affaires de Lia. Il fouilla dans sa valise et respira l’une de ses vestes. Un grognement possessif sortit de ma poitrine. Voir un autre homme toucher aux vêtements de mon âme-sœur me fit perdre la tête. C’était tout ce qu’il me restait d’elle…
— Repose ça tout de suite, m’insurgeai-je oubliant toutes convenances. Je t’interdis de respirer ainsi le parfum de ma compagne.
— Ta compagne ? gronda Conrad. Impossible !
Sa puissance me frappa, mais ne me fit pas plier. Comme si son pouvoir n’avait plus le même effet sur moi. Comme si soudainement, j’étais devenu son égal. Il m’observa quelques secondes, puis se laissa tomber sur l’un des fauteuils de la suite, tenant toujours fermement la veste de Lia. Il semblait complétement décontenancé et je devais bien admettre que je l’étais aussi. Quiconque résistait à son autorité se voyait décapité par la bête sanguinaire cachée derrière l’homme au visage d’ange qu’était Conrad. Pourtant, il n’en fit rien. Il se contentait de me dévisager comme s’il cherchait à percer un mystère.
— Elle a la même odeur que Dana, confessa-t-il dans un soupir douloureux et triste. Comment est-ce possible ?
Un silence profond nous écrasa, alors que nous étions tous deux submergés par nos propres pensées. Pas nos propres démons.
— Serait-il possible qu’elle soit ta fille ? suggérai-je enfin. Nous avons découvert des choses troublantes sur le passé de Lia et il est possible que le couple qui l’a élevée n’étaient pas ses véritables parents. Malheureusement, ils sont morts il y a cinq ans et les seuls à pouvoir nous donner des réponses sont nos principaux suspects dans son enlèvement.
Devant le manque de réaction de Conrad, Kyle se redressa et s’approcha avec précaution, annonçant sa présence en raclant doucement sa gorge.
— En effet, Alpha Suprême, commença mon gamma. D’après ces clichés, la luna de la Lune Rouge se trouvait dans les toilettes en même temps que Lia. Sans compter les années de maltraitance qu’elle lui a fait subir.
En entendant ces mots, Golliath et Vox devinrent fous. Mon loup grattait dans mon esprit, ne demandant qu’une chose : que je le libère. Il réclamait vengeance pour notre belle compagne.
— Comment ? tonna Conrad en se relevant d’un bond.
Sa question était lourde de sens. Elle reflétait son inquiétude, sa tristesse, sa culpabilité. Son espoir. Comment Lia pouvait-elle être sa fille mort-née ? Comment avait-elle pu être arrachée à lui ? Comment avait-elle pu être élevée par d’autres ? Comment avait-elle pu endurer tant de sévices ? Comment pouvait-elle être ma compagne destinée, moi qu’il considérait presque comme son fils ? Comment avait-elle pu disparaître avant qu’il n’ait eu la chance de la rencontrer ?
Devant moi se tennait un homme brisé par la perte de sa famille, pour la seconde fois. Un père accablé par son absence dans la vie de sa fille. Un alpha déchu pour avoir échoué dans son rôle de protecteur. Mais le temps était notre pire ennemi après Vlad et nous n’avions pas le luxe de le gaspiller.
— Je vais convoquer le couple Alpha de la Lune Rouge, articula soudainement Conrad. Prétextant que nous cherchons les différents lieux où Lia pourrait se cacher. Et qui que ses tuteurs peuvent mieux le savoir…
Lucius apparut dans l’embrasure de la porte encore ouverte de ma suite, un téléphone à l’oreille.
— Oui, Alpha Rémus. L’Alpha Suprême exige votre présence… Oui, je sais bien, mais ce n’est pas une simple requête. Il s’agit d’un ordre. Vous avez trois heures. Votre meute n’étant qu’à deux heures d’ici, vous avez tout le temps de vous préparer. Ne soyez pas en retard !
Sur cette injonction, il raccrocha. La colère enflammait ses yeux.
— Laisse-moi deviner ! Ils ne sont pas enchantés à l’idée de revenir ici ? maugréa Conrad.
— Alpha Rémus prétend que sa luna ne se sent pas bien à cause de la nouvelle disparition de Lia. D’après lui, elle est comme une fille pour eux et…
Golliath rugit, prenant le contrôle. Je sentis mes os craquer et ma peau se hérisser. La transformation fut presque instantanée, tant il était fou et sauvage. Il refusait d’écouter plus longtemps ces mensonges et de rester coincé entre ces murs. Il montra les crocs devant Lucius, exigeant silence et soumission.
— Petit, rugit Lucius, tu ferais mieux de te calmer avant de faire quelque chose que tu pourrais regretter. Tu as besoin de courir. Tu connais le territoire, alors va te dégourdir les pattes. Et reviens quand tu seras moins indisposé, m’ordonna mon mentor.
Il me donna un coup derrière les oreilles, ce qui fit grogner mon loup. Golliath le menaça une dernière fois avant d’obtempérer. Puis il se précipita vers la fenêtre et nous fit sauter du troisième étage pour prendre la direction de la forêt.
Texte de L. S. Martins (120 minutes chrono).
Image par Benjamin Balazs de Pixabay