Arya

Damian est un connard.

Voilà ce que je devrais inscrire en gros titres sur son interview. Chaque fois qu'il ouvre la bouche, c'est soit pour déverser une arrogance insupportable, soit pour dissimuler ses véritables pensées derrière des sarcasmes tranchants. Si cette interview n'était pas aussi cruciale pour mon avenir, je lui aurais déjà balancé mon calepin à la figure.

Pourtant, je me retiens. Chaque mot qu'il prononce, bien que souvent empreint d'une froideur désinvolte, est une pièce du puzzle que je suis venue assembler ici. C'est frustrant, car derrière ce masque de rock star imperturbable, je sais qu'il y a des histoires qui méritent d'être racontées – des vérités cachées qui pourraient non seulement éclairer son personnage mais aussi donner une profondeur inattendue à mon article.

Je sors de la loge, respirant profondément l'air chargé de musique et d'énergie du festival. Chaque pas que je fais à présent est un pas vers une compréhension plus profonde de cet artiste complexe, et peut-être vers la découverte de vérités inattendues sur nous deux.

Bloquée par le garde du corps, je reste un moment immobile, surprise par l'intervention brusque. Le festival bourdonnait d'activités autour de moi, et soudain, je me sens étrangement isolée, réalisant que Damian avait orchestré nos interactions avec une précision presque théâtrale.

— Monsieur Stones a demandé à ne pas être suivi, mademoiselle. Il vous invite à retrouver votre amie et à assister au show, répète le garde avec une politesse qui ne dissimule pas son ton ferme. Les backstage vous seront ouverts après, si vous souhaitez poursuivre votre travail.

Je hoche la tête, masquant ma déception sous un sourire poli.

— Merci, répondis-je, avant de me tourner pour m'éloigner.

Il n'est pas encore midi, et le groupe de Damian ne doit monter sur scène que plus tard dans la soirée. J'ai tout mon temps, un peu trop peut-être.

Mon estomac me rappelle à l'ordre, grognant de protestation après des heures passées à courir après des réponses et des aperçus d'un monde qui semble constamment se dérober sous mes pieds. C’est comme si, à chaque fois que je pensais me rapprocher de quelque chose de tangible, tout m’échappait encore une fois. Je ressens soudainement l’épuisement de la journée et le besoin urgent de me recentrer, de me reconnecter à quelque chose de plus simple et plus concret : un repas.

Je sors mon téléphone et j’envoie un bref message à Selena pour l’informer de ma petite escapade à la recherche de nourriture. La connaissant, elle est probablement partie explorer chaque recoin du festival, incapable de résister à l'appel de l'aventure. Elle doit déjà être plongée dans l’ambiance électrique de l’événement, en train de découvrir des artistes, de goûter à des plats exotiques, ou de s'immiscer dans une conversation animée avec des inconnus.

« Je vais chercher quelque chose à manger. Rejoins-moi si tu veux. »

Je glisse mon téléphone dans ma poche et me dirige vers l'une des nombreuses aires de restauration éparpillées autour du site du festival. L'odeur alléchante des aliments cuisinés en plein air me guide.

Tout en choisissant un stand qui offre une variété d'options végétariennes, j'essaie de reconstituer le puzzle de Damian Stones. Chaque interaction, chaque détail observé lors de notre bref temps ensemble prend une nouvelle importance. Peut-être, pensai-je en commandant un wrap aux légumes grillés, cette pause forcée est exactement ce dont j'ai besoin pour voir les choses plus clairement.

Avec la nourriture en main, je trouve un coin tranquille pour m'asseoir. Peut-être qu'une soirée à profiter simplement de la musique sera exactement ce qu'il me faut pour replacer les choses en perspective. Mais au fond, je sais que les deux prochaines semaines seront tout sauf ordinaires.

Tandis que je mâche pensivement mon wrap végétarien, un homme s’installe à ma table sans cérémonie. Son regard capture mon t-shirt des Rolling Stones, et son sourire désarmant me détend instantanément.

— Les Rolling Stones ? Bon choix, me dit-il en signe d'approbation.

— Oh, non... Euh, ce n’est pas à moi, avouai-je en riant légèrement. Je suis là pour interviewer le leader de Crimson Shadows. C’est une amie qui m’a prêté ces fringues.

— Tu n’es pas une de ces groupies des groupes en vogue alors, rit-il à son tour. Je me disais bien que ton corps était trop nu pour que tu sois l’une des nôtres.

Je le fixe, incrédule un instant, avant de comprendre.

— Je parlais des tatouages, s’empressa-t-il d’expliquer. Tu ne sembles pas en avoir. Et tu n’as pas l’air plus dans ton élément ici. Je m’appelle Milo. Je suis photographe de concert.

Le hasard des rencontres au sein de l'effervescence d'un festival de musique peut parfois révéler des connexions surprenantes, et l'arrivée de Milo à ma table en est la preuve parfaite. Son entrée sans prétention, marquée par un commentaire décontracté sur mon t-shirt, tranche agréablement avec l'intensité de ma journée jusqu'à présent.

— Ah, je vois, répondis-je, un peu soulagée par son éclaircissement sur les tatouages. Oui, je suis un peu une intruse dans cet univers. J'apprécie la musique, bien sûr, mais je suis surtout ici pour le travail. Je m’appelle Arya. Arya Jensen. Je suis en fac de lettres.

Milo hoche la tête, semblant comprendre. Son sourire est facile, son regard curieux mais respectueux. Il sort son appareil photo d'un sac en bandoulière, le posant sur la table avec une précaution professionnelle.

— C'est fascinant, n'est-ce pas ? La musique, les gens, les histoires qui se cachent derrière chaque visage et chaque note, dit-il en ajustant l'objectif sans vraiment y penser. J'essaie de capturer tout ça. Chaque concert est une histoire à raconter.

Je le regarde faire, impressionnée par sa passion évidente.

— Et toi, Arya, qu'est-ce qui t’amène à vouloir raconter l'histoire de Damian Stones ? Il est plutôt réputé pour être... complexe, ajoute-t-il avec une pointe de prudence dans la voix.

Je prends un moment pour réfléchir à sa question. La réponse semble simple et pourtant, avec tout ce que j'ai appris et ressenti jusqu'à présent, elle est tout sauf cela.

— Je suppose que je cherche l'authenticité, expliquai-je. Voir au-delà du spectacle, comprendre l'homme derrière le mythe. Damian est une énigme, et je pense que son histoire mérite d'être racontée avec sincérité, pas juste sensationalisée.

Milo acquiesce, ses yeux pétillant d'un intérêt renouvelé.

— C'est une noble quête. 

Je souris, reconnaissante et un peu soulagée d'avoir peut-être trouvé un allié inattendu dans cet univers chaotique.

— Merci. J'apprécie vraiment.

En reprenant mon wrap, je réalise que cette rencontre impromptue pourrait bien être le début d'une collaboration fructueuse. Milo, avec son objectif et son désir de capturer l'essence véritable du moment, pourrait être exactement ce dont j'ai besoin pour enrichir mon récit sur Damian Stones.