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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 22 mai

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 22 mai

Publicado el 22, may, 2020 Actualizado 28, sept, 2020 Cultura
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 22 mai

22 mai

Le mal dut muter à plusieurs reprises, accommodant avec chaque place forte remportée, gagnant de nouveaux quartiers et sans doute s’adaptant à chaque individu avec une perversité rare, en sorte d’agir sur l’organisme et l’investir entièrement mais aussi d’endommager le cerveau, car beaucoup perdirent la raison, bien que, dans un pre­mier temps, cela ne fût pas trop perceptible, les compor­tements et la vision du monde ne changeant qu’à peine ou se confortant excessivement – jusqu’à ce qu’il soit évident pour l’entourage que le malade avait de lui-même une idée fausse mais convaincue – état d’esprit assez ordinaire, si on veut bien y réfléchir, mais qui, ici poussé à l’extrême par l’infiltration du virus, engageait dans une errance soli­taire, amère et bornée hors du chemin des hommes. Il va de soi que ces malheureux n’avaient aucune conscience de leur état. J’en donnerai des exemples par la suite.

En somme, c’était la société d’avant, mais poussée à bout, le moteur en surchauffe et, un peu partout, de minus­cules explosions mentales inaudibles. Rencon­trer une connaissance, je n’avais pas d’amis, je n’avais que des voisins, allait être toute une affaire s’il était contaminé. D’habitude, en donnant à quelqu’un de l’importance on se donnait de l’importance, tractation bien connue dans les amitiés, chez les amants, et même lot commun aux guerres et aux émulations. Mais, le mal ayant gagné sur le voisin, l’importance démesurée qu’il s’attribuerait selon sa pente naturelle excèderait ma propre importance à un point qui, quoique sain d’esprit, me serait intolérable, et nous nous quitterions sur le palier sans nous serrer la main, bien sûr.

Je ne suis pas très certain d’être suivi, ne faisons qu’effleurer.

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

[l’image est d’Anton Semonov]

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