Chapitre 3 - Elévation
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Chapitre 3 - Elévation
- Venez, c'est par ici.
D'un geste brodé de grâce et de sensualité, Vénus saisit le bras d'un Robert égaré. Une main sous le biceps, l'autre sur son poignet, elle le dirige avec légèreté entre les masses onctueuses des nuages qui ondulent, l'haleine enivrante des vents, des alizées, les lumières fascinantes des éclairs au repos qui attendent sagement que s'abatte le chaos. C'est en apesanteur qu'ils parcourent le chemin jusqu'au Grand Arc En Ciel et ses reflets sans fin sur l'océan bleuté de l'éther liquéfié.
- Mon doux et jeune ami, dites-moi, vous êtes nouveaux ici, n'est-ce pas?
Robert est hésitant. Depuis son arrivée, le temps, l'espace, ses idées, son identité sont devenus des notions abstraites, éloignées. Il bredouille timidement.
- Eh bien… euh… ma foi… Je viens d'arriver. Je crois.
- Vous "venez", dit Vénus en souriant. Quel petit mot charmant! Là où Temps et Espace se confondent entièrement, décrire une durée par l'éclat d'un mouvement est d'une grande poésie et d'une finesse inouïe. Ou un hasard heureux.
- Euh… Oui… certes.
Avec une bienveillance et une douceur appuyée, Vénus rassure Robert, s'efforce de le relaxer.
- Taisez-vous sainte âme. N'en dites pas plus. Pas tout de suite. Pas encore. Vous avez été sublimé. Vous êtes maintenant désincarné. Littéralement. Vous vous habituerez. Laissez-vous simplement un peu… de temps.
Ce dernier mot est appuyé d'un clin d'œil enflammé qui préoccupe Robert, l'invite à se méfier. La pression des mains de la Divine Courtisane se renforce. Elle l'attire près de lui. Elle adore les novices. Ils sont si intrigants. Ils ont tout à apprendre et elle en sait tellement. Elle l'entraine, contraint, vers un nuage doré en forme de canapé. Elle l'assoit avec délicatesse, se plaque à ses côtés cuisses et hanches jointées, puis oriente ses lèvres vers ses oreilles ourlées.
- Racontez. Racontez-moi tout, dit-elle dans un souffle excessif. Votre vie de mortel, ce que vous avez fait pour mériter l'honneur d'être ainsi transcendé, comment vous le vivez, ce que vous comprenez. Moi je vous révèlerai comment vous affranchir de vos appréhensions, de vos craintes, de vos doutes, de vos peines. Et comment vivre aussi toutes vos émotions. Puis enfin vous saurez. Vous apprendrez alors comment réaliser toutes vos vies fantasmées.
Son haleine est tiède et froide à la fois. La main sur son poignet a subtilement glissé vers le haut de sa cuisse. Ses doigts effervescents effleurent le pli de son aine. Vénus ferme les yeux, desserre son étreinte, convaincue maintenant d'avoir définitivement soumis sa proie à ses vicieux desseins. Robert saisit l'opportunité de se lever. Il s'éloigne de trois pas et dit:
- Vous m'avez pourtant conseillé de ne pas trop parler, Madame. Mais qu'importe. Pour être honnête, je ne sais absolument pas pourquoi je suis ici. Et pourquoi je suis avec vous. Ce que je sais, en revanche, c'est que je suis là où je dois être. Et avec qui je dois être. Et je sais également ce que je dois vous dire, tout de suite, maintenant.
- Soit très cher. Je vous écoute.
- Poche à vinasse.
- Pardon? Vénus est agacée, mais pas vraiment surprise. Son regard apaisant est devenu toxique.
- Ces trois mots idiots me sont venus d'instinct. Savez-vous ce qu'ils signifient?
Vénus se fige, Vénus se raidi. D'un index rigide sur une main fermée au bout d'un bras tendu, elle désigne, au lointain, un groupe d'altostratus argentés. Des formes se dessinent, des couleurs se diffusent, des images se devinent sur l'écran vaporeux du massif grisonnant. Robert observe Vénus. Sa chair souple et veloutée subtilement diaphane qui laissait, par moment, transparaitre son sang d'un rouge bleu cendré, est devenue opaque, blanche comme du lait, friable comme de la craie. Peu à peu, le grain délicat de sa peau transmutée commence à s'émietter et à voler au vent, partout où ce dernier se plait à s'égarer. Au bout d'un court instant (mais qu'est-ce qu'un instant dans ce lieu dissonant?), suspendues dans les airs, seules ses lèvres charnues subsistent fièrement. Dans un ultime élan, elles prononcent sans pudeur: "A tout bientôt, très chère Robert", et s'évanouissent soudain en jet pulvérulent.
*****
Robert marche d'un pas lent dans la direction indiquée par Vénus, poussé par une pulsion dont il ne sait toujours rien. Il profite du répit que lui offre la balade pour réfléchir. Il oblige sa mémoire à rejouer le film de ses derniers instants. Sa mort est une quasi-certitude. L'âge, la maladie, qu'importe, car il a bien vécu. Il le sait. Il visualise sa femme, ses enfants, penchés à son chevet, leur tristesse, leurs larmes, leur sourire, leurs yeux. Il se souvient du livre qu'il n'a pas achevé. Puis de son arrivé. Sans aucune transition. Une sensation étrange. Mais pas un faux raccord en forme de sentence. Non. Une nouvelle matérialité. Absolue et autoritaire. Une réalité axiomatique. Il se rappelle, enfin, d'un être impressionnant à l'auréole ternie, de son odeur affreuse, de sa tablette étrange de saphir et d'argent et de ces quelques mots. «Tu es attendu Robert, va». Et Robert d'aller, tout simplement.
«Je suis avocat. J'ai un client.»
Plus il s'approche de sa destination, plus il progresse dans la compréhension de sa situation. Ou, plutôt, c'est l'inverse. Pour atteindre son but, ce sont ses routes intérieures qu'il se doit de suivre. Il n'est pas encore persuadé que tout ceci n'est pas un rêve, mais si ce n'est pas le cas, il aura au moins compris cela. Il est satisfait. Il arrive.
*****
Cupilcolo est calme. Cupilcolo est sobre. Cupilcolo est concentré sur des légions d'images qui ne cessent de défiler. Les univers paradent un a un devant lui, habillés en Prada, Versace ou Gucci. Des couleurs, des textures, des structures et des sons. Les plis et les replis de toutes les dimensions. Ecoulements frénétiques, statiques zoomées à fond. Particules ridicules par leurs mensurations. Géométrique cubique, cercles pyramidaux, spirales œcuméniques, tores et cylindres triviaux. Du fond diffus fossile des primitifs instants aux spectres décomplexés des autres rayonnements, rien ne lui échappe. Y compris la présence de Robert derrière son dos. Il s'adresse à lui sans même se retourner.
- Vous en avez mis du temps.
- Du temps. Pour quoi?
- Pour arriver.
- Parce que je suis arrivé?
Cupilcolo est bien obligé d'admettre que c'est une bonne question.
- Non, effectivement.
Il pivote doucement d’ un demi-pas chassé, incurvé sur sa gauche. Il fait face à Robert. Il est nu, comme un ver.
- C'est là le seul argument pour votre défense? Il est fripé. Et il est laid. Mais il est surtout très faible. Et bien mince. Certes, il m'est arrivé d'en avoir parfois moins.
- Et de gagner?
- En quelque sorte.
- Alors vous vous en contenterez.
Cupilcolo est impressionné par le flegme de cet homme fraichement arrivé. Il comprend le choix de Saint-Pierre pour sa défense. Il a pourtant étudié le passé de son représentant avec assiduité. Mais il n'est pas parvenu à cerner pleinement sa personnalité. Pas jusqu'à présent. Sa place dans l'histoire est vraiment méritée. En tout cas l'ancienne place, avant qu'il ne tire ces trois flèches qui lui valent ce procès. Celle-ci n'est évidemment plus tout à fait la même. Bien sûr, il a eu le temps d'accomplir son principal fait d'arme, d'inscrire des valeurs de mansuétude ultime dans l'histoire d'un pays, d'infléchir l'opinion de millions de boucher pourtant tous persuadés que la sécurité nait du sang déversé. Mais il n'a pas profité des louanges qui échoient aux hommes de son rang. Et de son talent. En tout cas pas longtemps, les facéties de Cupidon ayant entrainé quelques légers changements.
- De quoi vous souvenez vous?
- De mon nom. Celui d'avant. Ici, je n'en ai plus besoin. Je crois. Et de mon rôle. L'ancien. Et le nouveau. A priori le même d'ailleurs.
- Vous pouvez garder votre nom, Robert. Quant à votre rôle...que vous a dit Saint-Pierre exactement?
Robert devine que Saint Pierre est celui qui l'a accueilli. Il est un peu déçu par le manque de noblesse apparente du prince des apôtres. Il sent monter en lui une petite musique. Celle de l'agacement. De l'impatience. Du besoin vital, même si, ici-haut, ce n'est pas à propos, d'être mis au parfum, d'être briefé un peu, d'être mis à la page, d'être mis au jus, bref, d'avoir les explications nécessaires à l'accomplissement de ma PUTAIN DE TACHE!
- Du calme bob, pas la peine d'aboyer!
- Toutes mes excuses, je réfléchissais à voix haute. Mes beuglements sont légitimes cependant.
Cupilcolo réfléchit un instant, et dit:
- Un chocolat chaud, ça vous tente?
- Oui. Enfin non… je ne compre…
- Alors suivez-moi! Je vous expliquerai en chemin. Vous allez voir, c'est marrant.
- Nous allons où?
- Vous avez rencontré ma mère, non? Je suis persuadé que vous avez apprécié. Alors, il est temps que je vous présente mon père! Mon vrai père, dit Cupilcolo en partant.
Robert lui emboite le pas. Il reprend son voyage sur ses sentiers intimes. Il a tant œuvré pour le droit, la justice, la réinsertion, l'inclusion. Il est resté fidèle à toutes ses convictions. Et même en amitié, il ne s'est pas dispersé. Il a, jusqu'à sa destitution, défendu son président. Son ami de toujours. Ce glorieux résistant. Ses actes inattendus, ses amours déroutants ne l'ont pas étonné. Même avec cette anglaise pourtant si tyrannique et si mal embouchée. Et même avec ce russe complètement poussiéreux, miteux, moisi, vieux. Il a tout accepté. Il en a payé le prix: de ministre brillant à avocat maudit. Il a la conviction qu’un événement tragique lui a volé sa vie. Maintenant, il est ici à suivre un avorton qui tortille du cul comme un petit poisson. Quelle tragique soumission. Au moins il ne suit pas celui qui est la cause de sa vie de tracas.