Chapitre 4 - Brocéliande, juillet 491
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Chapitre 4 - Brocéliande, juillet 491
Le sifflement de la flèche précéda de trop peu sa fin de course pour que Viviane ait pu anticiper la violence du choc. La jeune femme fut soudain projetée à terre, un trait fiché dans son épaule gauche. La biche, à qui était destiné le projectile, se lança dans quelques bonds erratiques avant de se couler dans les buissons. De son autre main Viviane tira sèchement sur la hampe et la pointe sanglante apparut dans un bruit de succion contrariée. La douleur vint immédiatement après.
« Quelle idée de rester entre un chasseur et sa proie quand on est invisible ! » pensa la jeune sidhée. Elle jeta la flèche d’un geste offusqué, blessée dans sa chair et son amour-propre. De l’autre côté de la trajectoire un jeune homme avait du mal à interpréter la scène incomplète qui se jouait devant lui.
Des taches rouges vif vinrent enrichir la palette de couleurs laissées par l’automne sur le parterre du sous-bois.
« Il va supposer avoir touché sa cible ».
Elle s’éloigna rapidement du mieux qu’elle pouvait entre les taillis de noisetiers et de sureaux du côté inverse à la fuite de l’animal. Au moins la biche aura eu plus de chance qu’elle.
« Je n’ai plus qu’à laver la plaie à la source, j’ai encore la chance dans mon étourderie que celle-ci soit suffisamment proche. »
Chaque goutte de sang serait une invitation à la suivre pour le chasseur, la rencontre serait inévitable.
« Après tout, c’est bien ce que je cherchais, mais j’aurais préféré une approche plus cordiale ! »
Une autre aurait fini par se trainer, perdant ses forces à chaque pas, mais son ascendance de chasseresse lui conférait un sursaut de vitalité, comme si elle faisait sienne les aptitudes de toutes ces proies qui un jour avaient connu le destin implacable de se retrouver face à l’arc de Diane.
« Arthur se rendra bien vite compte que les perles de sang ne se rapprochent pas le long de ma fuite, il n’aura de cesse d’accélérer sa course. »
Pour finir, Viviane se lança dans la descente d’une pente raide apparue soudain devant elle, dévalant l’espace entre les troncs droits qui cherchaient à s’échapper par le haut de ce petit ravin logé au milieu de la colline perpendiculairement à la rive du ruisseau qu’elle cherchait à atteindre. Ses pieds froissaient les feuilles défraichies et abandonnées sous la ramure des arbres résignés, qui se préparaient déjà à vivre un nouvel hiver.
Enfin émergea droit devant un trou arrondi, au fond inégal et aux parois revêtues de pierres plus très sèches, et dans ce trou une source, qui déversait son trop plein dans le ruisseau. La terre, sous ses pas, devint spongieuse. De part et d’autre de cette source, quelques grosses pierres levées donnaient l’illusion que l’eau avait pu favoriser leur croissance, à elles aussi. Entre les pierres, des sorbiers sauvages et des buissons d’aubépine avaient planté leurs racines et se partageaient les bienfaits de l’eau claire.
Un geai s’envola à son passage et son cri d’avertissement résonna crument à ses oreilles. L’oiseau surveilla l’intruse, frustré de devoir attendre pour picorer les baies que la nature prévoyante avait laissées à son attention.
Viviane s’assit sur une pierre plate, placée judicieusement là par quelques mains ancestrales de manière à ne pas enfoncer dans la boue permanente qui bordait le lieu et elle entreprit, avec force difficulté, de quitter son manteau d’invisibilité. Au moment même où elle enlevait enfin la gangue poisseuse qui entourait son bras gauche elle entendit les pas affairés de son poursuivant. Elle le devina se cacher derrière elle, à l’abri d’une des pierres. De sa place il verrait juste son dos nu et imaginerait le reste.
« Il va penser que les femmes des sidhs peuvent se transformer en biches, je suis peut-être en train de donner vie à une nouvelle légende ! »
Elle sortit quelques fleurs séchées de reine-des-prés d’un sac de toile qui ne la quittait jamais et qui était rempli de diverses plantes vertueuses puis elle les mélangea et les froissa entre ses mains malgré les élancements que lui procuraient ces mouvements dans son épaule en feu. Elle les glissa au milieu d’un linge blanc et propre qu’elle trempa délicatement dans l’eau pure de la source et lava ensuite adroitement les contours de la plaie qui ne saignait plus, faisant attention à bien rester dans la ligne de mire de son voyeur.
Elle avait conscience de jouer avec les humeurs ardentes de ce jeune mâle et de lui procurer ainsi les raisons d’un tout autre émoi après l’excitation de la chasse.
Puis elle se mit à chanter, un chant composé de sons qui n’étaient pas destinés à l’oreille mais qui envahirent et firent vibrer son corps tout entier, dessinant autour d’elle une mélopée qui activerait les propriétés régénératrices de son corps.
Elle perçut alors une douce chaleur au plus profond de ses chairs, là où les cellules de son organisme s’étaient mises à se diviser de plus en plus activement et reconstituaient pas à pas les tissus et les muscles déchirés par le métal. Elle sentit bientôt son épiderme se refermer en surface, tirant sur les bords pour faire se rejoindre la peau, faisant disparaître petit à petit toute trace de la morsure de l’acier.
« Qu’il cherche une justification à cela ! Sans doute pensera-t-il que cette source a le pouvoir de redonner la santé ! »
En réalité, les herbes séchées n’avaient eu pour but que de d’empêcher l’infection de se loger dans la plaie 1 mais le jeune chasseur ne pourrait deviner les pouvoirs que l’évolution avait confiés à sa race.
Elle décida alors de se reposer quelques jours parmi les siens car une fatigue intense serait le prix à payer pour le brusque déploiement d’énergie qu’avait nécessité sa guérison. Elle répugna à enfiler de nouveau son manteau qu’elle garda à la main et se contenta de redonner forme à sa tunique pour ne pas paraître trop impudique mais le haut de son dos et le début de sa poitrine étaient encore visibles comme elle se leva.
Elle ne résista pas à la tentation de se tourner vers la cachette du jeune homme afin qu’il mette un visage sur sa victime puis elle reprit une marche tranquille, en direction d’un petit chemin qui avait l’audace de remonter abruptement la paroi pour regagner les hauteurs de la forêt. Un escalier aux marches taillées dans la roche venait en renfort auprès de ceux qui tenteraient de l’emprunter et c’est avec une lenteur calculée que Viviane s’engagea à sa suite, dissimulant sa faiblesse par une démarche cérémonieuse.
Le chemin reprit heureusement assez vite sa tranquille horizontalité et un dolmen apparut alors devant Viviane, un dolmen dont la chambre était encore bien protégée par deux rangées de pierres levées juxtaposées avec soin et recouvertes par une dalle massive. Elle écouta les bruits derrière elle pour s’assurer qu’Arthur était toujours à sa suite ; elle ne voulait surtout pas rater sa sortie après tout ce qu’elle venait d’endurer…
Elle se dirigea sans hâte vers l’entrée du dolmen et pénétra sans hésitation. Un soudain frisson de froid la fit grimacer. Une odeur d’humidité, de champignons et de feuilles en décomposition s’imposa à son odorat. Elle ne rêvait plus alors qu’à un bon bain chaud dans une des sources thermales qui agrémentaient son cadre de vie habituel.
Elle se demanda combien de temps attendrait Arthur devant le dolmen avant d’oser y entrer et découvrir sa disparition…
[1] La reine des prés est riche en acide salicylique qui est un remarquable antiseptique.