Chapitre 14 - BROCELIANDE, juin 492
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Chapitre 14 - BROCELIANDE, juin 492
Debout sur une barque au milieu du lac, éclairée seulement par un mince quartier de lune en fin de course et peu prodigue de sa lumière, Viviane percevait à présent nettement l’odeur fugace de la fumée qui tentait de s’incruster dans l’air depuis quelques temps déjà. Elle était arrivée en avance au rendez-vous et, accompagnée par quatre sidhés restés à son service, elle guettait maintenant l’approche des fugitifs.
Deux jours auparavant elle avait reçu la visite d’une des dames de compagnie de la reine de Bénoïc, venue lui rendre compte de la situation désespérée dans laquelle se trouvaient le roi Ban et sa famille. Profitant du retour des beaux jours, Claudas de la Déserte avait envahi leur royaume sous un prétexte futile et avait mis le siège devant Trèbes, presque sans coup férir. Ban s’était retrouvé enfermé dans son oppidum avec quelques centaines d’hommes, juste assez pour défendre la place, mais insuffisamment pour tenter une sortie. Le roi félon avait même fait courir le bruit qu’il avait été tué sur le champ de bataille. Il ne se trouverait vraisemblablement aucun souverain dans le voisinage pour venir sur place vérifier ses dires et défier les troupes du roi, troupes encore enrichies de plusieurs compagnies de mercenaires francs avides de butin.
Ban avait envisagé sortir, de nuit, accompagné par son druide attitré et par quelques soldats, en passant une porte dérobée donnant sur des marais inhospitaliers, afin d’aller à la rencontre de ses alliés et de démentir les rumeurs malveillantes sur sa disparition. La reine Elaine avait décidé de l’accompagner mais elle ne lui en avait pas parlé. Elle avait souhaité confier Galaad, leur jeune fils âgé de quelques mois seulement, à la Dame du Lac, pour éviter que Claudas ne le prenne en otage ou pire encore. Le rendez-vous avait donc été fixé pour cette nuit, sur la rive la plus sauvage du lac.
La discrétion dont avait fait preuve Viviane dans ses déplacements lui avait permis de constater que les espions de Claudas surveillaient les abords et qu’elle devrait donc se montrer particulièrement vigilante au moment de la rencontre. Merlin s’était même proposé de lever un brouillard afin de perturber le sens des hommes de main de l’envahisseur.
Caché derrière un tronc, le druide avait invoqué une brume épaisse et collante et il ne quittait pas des yeux les deux guerriers qu’il avait lui-même repérés et qui pestaient à présent contre leur mauvaise fortune.
« Je ne vois pas ce qu'il y aurait à craindre de cette misérable étendue d'eau ! dit l'un d'eux avec un fort accent. Cela ne ressemble pourtant pas à Claudas de s'effrayer pour quelques croyances anciennes. »
Celui-là n'était pas breton. Un Breton n'aurait pas accolé les mots "croyances" et "anciennes". Un Breton aurait fait preuve d'une grande petitesse envers le lac et ne se serait pas fait voir. Seulement le roi n'avait pas trouvé, parmi ses concitoyens, suffisamment de volontaires pour cette tâche-là ; de plus il connaissait leur promptitude à déserter...
« Tais-toi, veux-tu, répondit l'autre, je n'ai jamais vu une surface aussi sournoise, un brouillard aussi opaque, l'eau et l'air aussi complice. »
A peine le dernier mot était-il lâché qu'un corbeau vint se poser sur une branche au-dessus des deux guetteurs dans un noir bruissement d'ailes impromptu. L'oiseau replia lentement son plumage tout en contemplant les deux hommes de ses yeux pétillants et profonds.
Aussi soudain avait été son apparition, aussi soudain fut son envol. Aucun mouvement n'avait été tenté.
- Je n'aime pas cela ! reprit le plus inquiet des deux guetteurs.
L'éclat des javelots jaillit de la brume quelques fractions de secondes avant la barque. Une pierre sèche se cassa en deux parties semblables quand la pointe de
l'un des deux projectiles la percuta en son centre. L'autre vint se ficher de plusieurs pouces dans le tronc de l'arbre au pied duquel les deux hommes étaient accroupis jusque-là. L'un des deux, le plus lent, s'était levé un réflexe trop tard. Son élan resterait coupé net à jamais, les mains crispées, le foie transpercé, le dos collé à l'arbre. L'autre s'était enfui, très vite. Maintenant il regardait sans comprendre, les bras ballants, l'épée qui avait arrêté sa course par le milieu. Il s’était jeté la tête la première au milieu des hommes de Ban. S'il était passé légèrement plus à droite, sans doute courrait-il encore. Sur la barque qui achevait de se dévoiler, l'un des deux lanceurs se morfondait d'avoir été aussi médiocre, deux rameurs déposaient leurs rames dans un même mouvement et Viviane, les traits partagés entre l'anxiété et la tristesse, observait la rive à gauche comme à droite. Sitôt la barque accostée, elle se dirigea vers Elaine, qui serrait son fils par devers elle. Les deux femmes se rapprochèrent et, quand elles se séparèrent à nouveau, en silence, l'enfant avait changé de bras.
Le roi Ban blêmit. Seul le bruit des deux corps jetés au fond de la barque ramena les vivants à l'instant présent. Merlin les avait rejoints et il examinait la dépouille du guerrier tué par les soldats de Ban.
« Lucius ! Le propre fils de Claudas ! » se rembrunit le druide. « Mieux vaut ne pas en faire état au roi maintenant, il a d’autres soucis à régler »
Viviane remonta alors à bord en emmenant Galaad. Un drap blanc recouvrait déjà les deux victimes. Un des sidhés fit signe qu'il restait s'occuper des chevaux. La brume étendit à nouveau son aile et engloutit la barque. La surface absorba son sillon et l'envoya se perdre dans les profondeurs.
Assis à l’autre extrémité de la barque, pour assurer une meilleure répartition des charges, Merlin contemplait Viviane qui, elle, contemplait l’enfant. Son visage était transfiguré, à cet instant plus rien ne comptait pour elle que ce petit être qui la fixait de ses yeux grands ouverts. A présent, elle était responsable de lui, et Merlin comprit qu’elle était devenue mère en un instant, qu’elle défendrait la vie de ce bébé jusqu’au bout des ongles s’il le fallait, fils de roi ou pas.
En un an, sa vie à lui avait été transformée, il avait fait le déplacement entre les deux Bretagne à plusieurs reprises, la dernière fois pour raccompagner Arthur de retour chez lui. Ils avaient profité du passage d’un négociant en vin, qui traitait des affaires de chaque côté de la mer et jusqu’à l’embouchure de la Gironde, pour regagner le Strathclyde1, là où le jeune homme retrouverait pour un temps celui qu’il croyait encore être son père. Mais le cœur du druide était resté sur les bords du Lac et il avait eu hâte de revenir.
Quelle serait sa place maintenant qu’un rival occupait les pensées de la sidhée ?
Pendant ce temps, sur la rive, Elaine était déchirée d’avoir dû abandonner son fils et ses bras étaient déconcertés de ne plus avoir à tenir l’enfant contre elle. Pour lui laisser ces quelques minutes de chagrin, Ban souffla à son druide :
« Un instant, cet arbre devant nous est de taille et de profil à me laisser apercevoir Trèbes. Le temps que j'atteigne le sommet et que j'en redescende ne sera pas lourd de conséquence pour notre quête. »
[1] Le Strathclyde est l’ancienne région de l’ouest de l’Écosse qui s’étendait des Highlands au nord aux Southern Uplands au sud. Elle comprenait certaines des îles intérieures de l’ouest, mais contenait également la plus grande zone urbaine d’Écosse. (Wikipédia)