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Chapitre 16 - Brocéliande, août 492

Chapitre 16 - Brocéliande, août 492

Publicado el 17, dic, 2024 Actualizado 17, dic, 2024 Fan fiction
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Chapitre 16 - Brocéliande, août 492




Il faisait presque frais à l’ombre, à l’abri du lavoir. Le filet d’eau qui débordait de la cuve rejoignait le ruisseau qui filait vers le lac en murmurant. Autour de Viviane et du bébé, deux jeunes filles gazouillaient, comme pour répondre au cours d’eau.

« Ce bel enfant sera le plus aimable de tous les hommes et le bourreau de tous les cœurs de femmes ! » disait l’une d’elle.


Merlin et Manannán étaient un peu en retrait, amusés par le manège des trois sidhées. Le druide se sentait comme un jeune père de famille brusquement surpris de se retrouver avec un enfant à nourrir.

« La roue tourne », pensa-t-il. Manannán venait de lui apprendre que de l’autre côté de la mer, à Avalon, Morgane avait donné naissance à un garçon également1.


« Elles sont toutes folles de ce bébé ! s’exclama Manannán.

— Il n’y en a plus que pour lui », se lamenta Merlin.


En effet, à cet instant, la plus entreprenante des deux jeunes filles venait de prendre l’enfant dans ses bras en minaudant. Elle était vêtue d’un beau manteau brodé de pourpre claire avec une broche d’argent et des épingles d’or sur la poitrine. Une longue chemise entourait son corps, en soie verte avec une bordure d’or rouge et des agrafes d’or et d’argent. Elle avait deux tresses de cheveux couleur d’or sur la tête,  quatre fermoirs de chaque côté et une perle d’or au sommet de chaque tresse. Ses mains étaient plus blanches que la neige d’une nuit et ses joues plus rouges qu’une digitale. Elle avait une bouche fine et régulière avec des dents brillantes comme des perles. Plus gris que jacinthe étaient ses yeux. Rouges et fines étaient ses lèvres. Légères et douces étaient ses épaules, tendres doux et blancs étaient ses bras. Ses doigts étaient longs, minces et blancs. Elle avait de beaux ongles rouges pâles. Son flanc était féérique, plus blanc que neige et qu’écume de mer. Ses cuisses étaient tendres et blanches, ses mollets étroits et vifs, ses pieds fins à la peau blanche. Sains et riches étaient ses talons et blancs et ronds ses genoux2.  


« Qui sont ces deux jeunes filles ? demanda Merlin.

— Ce sont deux amies d’enfance de Viviane, si l’on peut dire,  celle qui tient l’enfant s’appelle Gwenhwyfar, l’autre Luned. Elles ont l’air charmantes mais ne te fie pas à leur candeur apparente !

— J’ai rencontré ici même une vieille femme qui s’appelait Gwenhwyfar. Elle accompagnait Penn Annwfn et portait son épée. 

— Tu as raison, c’est elle-même, à nouveau jeune3. »


Merlin regarda Manannán ; il commençait à comprendre.

« Voilà ce qui explique votre longévité.

— Oui, nous vivons de nombreux cycles.

— Ainsi quand Viviane m’a laissé entendre qu’elle avait connu plus de printemps que les dix générations qui m’ont précédé, c’est à cela qu’elle faisait allusion…

— En effet.  Nos chants racontent que la première d’entre nous à avoir manifesté ce don s’appelait Dana, et elle est devenue notre mère à tous. » commenta le sidhé.


« Encore une adaptation due à quelque organisme marin4 sans doute, que dans notre incompréhension nous avons traduite par cette histoire de chaudron d’immortalité attribué au dieu Dagda, il faudra que j’en parle à Viviane… » pensa Merlin.


« Aujourd’hui, nous avons renoncé à toute procréation, nous ne pouvons plus nous permettre d’accroître notre population, voilà pourquoi les femmes de mon peuple sont souvent exubérantes à la vue d’un nouveau-né. Elles sont parfois tentées de se rapprocher des hommes de ta race pour connaître les joies de la maternité. Les fils et les filles qu’elles leur donnent ne disposent que d’une vie comme leur père5. »


Autour du berceau, les compliments et les câlineries des jeunes femmes se complétaient sans cesse. C’était à celle qui en faisait le plus.


Viviane dit alors à Gwenhwyfar:

« Patience Gwen, ton tour viendra. Dans quelques années, tu rappelleras sa promesse au jeune Arthur, et qui sait ce qui arrivera 6? » 


Merlin songeait qu’Arthur serait ravi d’accéder à la demande de Gwenhwyfar à présent sans trop chercher à comprendre par quel miracle cette belle sidhée

pouvait s’apparenter à celle qui lui avait confié Excalibur.


L’autre jeune femme s’était rapprochée du druide.

« Ainsi voilà le fameux Merlin dont Viviane m’a tant parlé !

— Je suis heureux de faire ta connaissance, Luned, j’ai moi aussi entendu parler de toi, et je n’ignore pas les liens d’amitié entre vous !

— Si j’avais été à la place de Viviane, à t’attendre auprès de cette délicieuse petite fontaine, peut-être aujourd’hui serais-tu à mon côté plutôt qu’au sien ! »


Viviane ne laissa pas longtemps le druide se débattre seul avec les flatteries mielleuses de son amie.

« Celui-ci est à moi », vint-elle lui rappeler gentiment, en prenant le bras de son compagnon.


Merlin fut soulagé de ne pas avoir eu à décliner lui-même la proposition à peine voilée de la sidhée, presqu’encore une adolescente, mais cela ne semblait plus avoir de sens concernant ce peuple...  Luned fit la moue.

« Cette forêt m’enchante, j’ai l’intention de te rejoindre ici, à Brocéliande, Viviane. Peut-être pourras-tu me présenter un charmant fils de roi7 ?

— Il en est qui viennent se rafraichir à la fontaine de Barenton en effet, mais je ne sais si leur cœur est libre…

— Nous verrons bien, reprit Luned.

— Tu vois, dit Manannán à l’attention de Merlin, je t’avais prévenu qu’elles étaient plus redoutables qu’elles en avaient l’air !

— Parce que toi peut-être, tu n’es pas allé séduire quelques femmes dans le but de laisser une descendance de ce côté-ci de la Terre ? répondit Viviane. Dois-je rappeler ta rencontre avec Fintan lorsqu’il accompagnait Bran et ses hommes à la recherche d’Avalon ?

— Je me souviens bien de cet épisode, en effet, même si cela remonte à plus de cinq cents ans maintenant ! C’est vrai, je partais pour l’Irlande,  mon char était tiré par des saumons et leurs bonds étaient des crinières dans la mer avec les vagues8.

— Il n’y a pas que les femmes qui cherchent l’amour dans le lit des mortels ! reprit Viviane.

— Je l’avoue, dit Manannán, et je suis assez fier de ma lignée ! »


Gwenhwyfar s’était rapprochée à son tour, le jeune Galaad toujours dans ses bras.

« N’est-ce pas dangereux pour vous deux de rester ici, si près de ce roi vindicatif qui cherchera à éliminer l’enfant ?

— C’est aussi la raison pour laquelle j’ai tenu à vous accompagner, répondit Manannán, j’ai proposé à Viviane de cacher sa demeure aux yeux des hommes10



[1] Le futur Owein, ou Yvain en français, fils de Morgane et d’Uryens, roi du Rheged.

[2] Cette longue description est issue de l’Histoire d’Etaine.

[3] Le récit anglais du XIVème siècle The wedding of Gawain, parle d’une très vieille femme qui connaissait la réponse à une énigme qu’Arthur, jeune noble à la tête d’une simple troupe de guerriers,  s’était engagé sur l’honneur à résoudre sous peine d’avoir la tête coupée :« Qu’est-ce-que les femmes désirent le plus au monde ? » Arthur avait accepté le marché insolent de la vieillarde qui lui réclamait la promesse d’une nuit avec lui et était revenu avec ce mot en guise de sauve-conduit « La souveraineté ». Quand plus tard, cette vieillarde était venue réclamer son dû sous les moqueries de l’entourage du jeune chef, ce dernier s’était résigné à partager son lit avec elle et, au matin, la sorcière, car c’en était une, avait repris sa forme juvénile sous le regard tout étonné d’Arthur qui découvrait à ses côtés la plus belle femme qu’il avait jamais vue et qui s’appelait Guenièvre. Cette transformation avait été interprétée par des spécialistes des romans arthuriens comme la force virile du roi qui régénérait la terre par sa semence et ainsi assurait son droit à la souveraineté. J’avais sous les yeux une autre explication, tout aussi extraordinaire, et je me demandai si Aurélien avait eu connaissance de ce récit ou si nous étions en face d’une étonnante coïncidence ?

[4] Aurélien nous donnera une explication scientifique de cette adaptation plus tard !

[5] Manannán expliquait tout simplement à Merlin les lois de la génétique, telles que Mendel les découvriraient des siècles plus tard lors de ses expériences avec des petits pois ! La régénérescence dont bénéficiaient les sidhés devait être due à un gène récessif qui ne pouvait s’exprimer que si les deux parents le léguaient à l’enfant, ce qui n’arrivait jamais avec un père choisi chez les Hommes ! Qu’arriverait-il si deux enfants de telles unions avaient une descendance commune ? Le gène ferait-il brusquement surface laissant leur entourage consterné ?

[6] Ni Viviane ni même Merlin ne pouvaient deviner que l’avenir serait quelque peu différent. Gwenhwyfar n’aurait jamais d’enfant d’Arthur, et se consolerait dans les bras de celui qu’elle tenait elle-même dans les siens à cet instant, Galaad, le futur Lancelot !  

[7] Aurélien avait évoqué par le biais de Gwench’lan le récit de « La Dame à la Fontaine » dans lequel un chevalier noir combattait les inconscients qui avaient l’impudence de le défier en versant de l’eau sur la margelle et en déclenchant ainsi de violents orages sur la forêt. Dans les textes, cette Dame à la Fontaine était la femme du chevalier noir et avait une suivante qui s’appelait Luned. Elle jouerait un rôle crucial dans le dernier épisode, mais cela, nous l’apprendrions que bien plus tard.

[8] Aurélien avait semblé insister sur cette anecdote.  Je ne savais pas à ce moment que cette évocation serait en quelque sorte un point de confluence entre les différents scénarios  et que nous la retrouverions à chaque fois, vue sous un angle différent.

[9] Voilà donc l’explication qui nous était proposée par Aurélien sur le fameux château de la Dame du Lac caché sous les eaux et donc invisible à quiconque n’y serait pas convié !


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