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Les Amants du Pont-Neuf (Leos Carax, 1991)

Les Amants du Pont-Neuf (Leos Carax, 1991)

Publicado el 31, jul., 2021 Actualizado 31, jul., 2021 Cultura
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Les Amants du Pont-Neuf (Leos Carax, 1991)

J'avais très peu de souvenirs du film de Leos Carax. Tout au plus m'était resté une voix au fort accent étranger dépeignant à Michèle (Juliette Binoche) l'enfer qui attendait les femmes sans-abri, sans doute parce que ça m'avait impressionné à l'époque. Maintenant que je l'ai revu, je considère que c'est l'un de ses plus beaux films. Le plus beau même, à égalité avec "Annette". Parce que comme le dernier film en date de Carax, "Les Amants du Pont-Neuf" est un peu fou (une "folie" qui a d'ailleurs coûté cher au réalisateur, le transformant en "cinéaste maudit" à la suite d'un tournage tumultueux digne de celui du Don Quichotte de Terry Gilliam même si Carax a pu mener son film à terme), généreux, démesuré, opératique même, d'une grande beauté visuelle dans lesquels l'amour se conjugue avec l'absolu. Il est rare de trouver dans l'art d'aujourd'hui plutôt désenchanté ce qui faisait le souffle et la beauté du romantisme du XIX° siècle, romantisme qui s'est prolongé dans le cinéma muet dont Leos Carax est un fervent admirateur. D'ailleurs l'un comme l'autre de ces deux films se sont prolongés bien après leur visionnage par l'écoute d'extraits musicaux. J'avais en effet oublié la chanson des Rita Mitsouko qui clôt le film justement intitulée "Les Amants" que je trouve personnellement superbe et qui s'accompagne d'images faisant penser à "L'Atalante" de Jean Vigo!

Cependant, contrairement à "Annette", le film ne dévoile pas tout de suite sa vraie nature. Il commence comme un documentaire naturaliste sur la vie âpre des SDF. On comprend pourquoi Alex (Denis Lavant) ne pense qu'à une chose: retourner dans sa bulle! Et sa bulle, c'est le Pont-Neuf fermé au public pour travaux mais où il a fait son nid en compagnie d'un autre SDF qui pourrait être son père, Hans (Klaus Michael Grüber). La mise en abyme continue de plus belle après deux premiers films dans lesquels Denis Lavant jouait déjà Alex, le double de Leos Carax (qui dans la réalité s'appelle Alex... Dupont). Elle se poursuivra d'ailleurs jusque dans "Holy Motors" dans lequel par un effet miroir, ce n'est plus la Samaritaine que l'on aperçoit depuis le Pont-Neuf mais le Pont-Neuf que l'on aperçoit depuis le toit de la Samaritaine.

La bulle de Alex n'a plus rien à voir avec la réalité crue des bus de nuits et autres hébergements d'urgence dans lesquels s'entassent les corps suppliciés par la misère la plus sordide. Le Pont-Neuf en dépit de son état de chantier et de la crasse propre à la vie de sans-abri reste un décor somptueux, digne d'un conte de fées (et ce d'autant plus qu'il a été reconstitué... en Camargue). Et c'est bien la recherche de la beauté lui permettant de transcender son statut de paria que recherche Alex (et à travers lui, Leos Carax) dans son huis-clos à ciel ouvert. L'arrivée de Michèle sur le pont en est la principale manifestation. Ce n'est pas seulement à cause de sa beauté délicate ou la promesse amoureuse qu'elle représente mais aussi parce qu'elle est une artiste-peintre talentueuse elle-même amoureuse de la beauté. La rencontre de ces deux éléments contraires, l'eau et le feu fait des étincelles (sublime scène du bicentenaire et non moins féérique scène de noël) jusqu'à embraser la pellicule. Seulement la vue de Michèle est si malade qu'elle ne supporte pas la lumière vive que dégage Alex lorsqu'il crache du feu (sa flamme pour elle) et ne peut portraiturer son corps burlesque rompu aux acrobaties alors même que celui-ci tente d'empêcher qu'elle puisse la retrouver, de peur qu'elle ne le quitte. Une valse-hésitation en forme d'impasse existentielle qui ne peut trouver de ligne de fuite que dans la perte, la renaissance et le recommencement.

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