Le poète et l'analphabete (poème sur le rapport à l'argent et au monde)
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Le poète et l'analphabete (poème sur le rapport à l'argent et au monde)
Un échevin et sa femme, Marinus van Reymerswale (vers 1490/1495–1546?), 1538.
Le poète et l'analphabète
L'Analphabète :
Eh toi là le poète
Le Poète :
moi
L'Analphabète :
toi le lépreux des banques
toi le gueux des calanques
Le Poète :
quoi
L'Analphabète :
pourquoi es-tu en fête
ta main est-elle heureuse
aux jeux ou en amour
dans tes joutes fiévreuses
pour ainsi tour à tour
danser
chanter
et rire
quand tous dans notre monde
des greniers aux sous-sols
pleurons les fruits immondes
de nos ors nos pistoles
épiées
blessées
martyres
quel trésor caches-tu
quelle arme opposes-tu
sous ton casque fendu
dans tes poches rendues
éclaire-nous poète
Le Poète :
hélas analphabète
mon trésor pour toujours
te sera inconnu
car tes mains sous la nue
immanquablement courent
et jamais ne s'arrêtent
elles comptent recomptent
les intérêts des prêts
les lisant comme un conte
loin des attraits des prés
loin des charmes des dunes
sans le souffle des prunes
sans les pinceaux des arbres
qui colorent mes larmes
car quoi ni toi ni moi
n'avons voulu ce toit
cette maison sans clé
ce landau sans les fées
alors à tout choisir
des banques aux palais
des diamants aux saphirs
je traîne mon boulet
L'Analphabète :
quoi poète
toi si noble
claire tête
des vignobles
toi qui portes ces hardes
comme moi mon blason
vers ces ports ces campagnes
sous toute lunaison
tu prétends supporter
un poids au mien pareil
un poids dont les années
dégradent mes soleils
Le Poète :
oui
oui ma seule richesse
celle qui éblouit
mes nuits oh mes pauvresses
n'est qu'une vaine impie
coque pleine d'injures
nef sacrée de parjures
mots refusés du monde
sons perclus jusqu'aux tombes
ma tunique de boue
mes jambes grelottantes
pailletées des cailloux
des enfants de la lande
brillent des éclats d'or
pourtant que les doux anges
envoient aux sémaphores
au milieu de ma fange
je suis je sens je sais
mais ma voix seule face
aux tintements des pièces
n'est jamais qu'un dadais
L'Analphabète:
ah file vil manant
je comprends maintenant
ton gribouillis savant
tes mots pour mon argent
va chacun sait combien
les chanteuses de sort
ne connaissent sans frein
que le cours des louis d'or
Le Poète :
les seuls cours que je suive
sont ridés de silures
longés de frêles grives
et embaumés d'augures
L'Analphabète :
va je n'achèterai
aucun secret fût-il
susurré par les fées
Le Poète :
ton or est ton exil
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