Les 3 femmes de l'Aventurier
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Les 3 femmes de l'Aventurier
Désert Péruvien 1986
«Au début d'une aventure, le cocu y est toujours pour quelque chose.»
Sacha Guitry.
Ce n’est pas de cette aventure là dont nous allons parler, mais de celle avec un grand A, celle d’Henry de Montfreid :
«N'ayez jamais peur de la vie, n'ayez jamais peur de l'Aventure, faites confiance au hasard, à la chance, à la destinée. Partez, allez conquérir d'autres espaces, d'autres espérances. Le reste vous sera donné de surcroît.»
Les secrets de la mer Rouge (1931) de Henry de Monfreid.
Depuis mon enfance, j’ai toujours été fasciné par les aventuriers, les vrais, pas ceux de Koh-Lanta qui sont à l’aventure ce que la pornographie est à l’amour platonique, le seul mérite des participants étant de pouvoir se supporter mutuellement en tant qu’ahuris et ceci sans effusion de sang.
Je n’ai jamais non plus été captivé par les expéditions tarifées des opérateurs qui vendent une semaine au Népal comme Vanessa, la Reine du trottoir, vend un quart d’heure d’extase à un client dont l’épouse légitime souffre de céphalées fréquentes et dont l’éducation rigide lui interdit toute fantaisie coquine.
Quand je pense aventurier, je pense à René Caillié, Treich- Laplène, De Brazza, Sanderval, Surcouf, Henry de Montfreid, Mermoz et tous ses potes,...ainsi qu’à tous les aventuriers anonymes.
Que dirait on d’eux, à notre époque, dans notre société occidentale où tout est désinfecté, organisé, policé, réglé ? Que ce sont des fous, des inconscients, des antisociaux et des inciviques, qu’ils seront une fois de plus responsables de la mort de tel ou tel militaire ou du paiement d’une rançon pour leur libération.
C’est normal, comment la grande majorité des citoyens peut elle envisager qu’il existe d’autres individus qui pensent à autre chose qu’à leur boulot, leur vacance, leurs amis, leur cocon familial, leur cotisations sociales et bien sûr à leur retraite et même, chez certains, à l’endroit où ils seront enterrés? Heureusement d’ailleurs, sinon aucune société ne pourrait fonctionner.
Par contre, ce besoin de protection est parfois exacerbé et lorsque je vois des jeunes de 18 ans qui manifestent pour leur retraite, je ressens un grand vide et j’ai un doute quant à l’émancipation de la jeunesse. Ca ne sera pas encore pour cette génération, c’est sur.
Mais tout compte fait, c’est une conception biblique (ou coranique) de l’existence qui satisfait la plupart des individus et leurs dirigeants.
Cette conception a modelé la société, à tel point que le fatalisme n’a plus sa place. Il faut tout prévoir, tout doit être déterminé à l’avance. On en est arrivé à perdre pratiquement toute notre liberté pour gagner en sécurité. D’ailleurs Manu l’a dit dans un de ses discours putassiers et démagogiques : Il veut construire l’état providence, ce qui lui permettra de régner sur un peuple soumis et obéissant. Quand quelque chose ne va pas, c’est à l’état qu’il faut se plaindre.
Il est pas con, Manu, sinon il ne serait pas président-banquier, il serait aventurier.
Quand je lis des ouvrages de Georges Arnaud sur l’Amérique du Sud (Le salaire de la peur) ou ceux de Jean Hougron sur l’Indochine (La nuit indochinoise - Les portes de l’aventure), je me dis que ces gars là, ils ont connu l’Aventure et le galère.
Ca me rappelle deux femmes que j’ai rencontré au début des années 80. Deux femmes qui auraient pu être des personnages des romans de Jean Seignard (Week end à Conakry- La complainte du broussard)
La première, s’appelait Madame Jeannette, une française. Je l’avais connue à Dakar dans un petit hôtel situé en bas de la place de l’Indépendance. Elle avait 70 printemps et bien qu’ayant exercé et exerçant toujours le métier le plus vieux du monde (Pas politicien, l’autre), elle était très digne et distribuait des coups de sac à main sur la tête des jeunes Sénégalais qui lui manquaient de respect, tout en les traitant de qualificatifs peu élogieux. Elle logeait à l’année dans une chambre à côté de la mienne. C’était un vrai livre d’histoire de la période 1945-1980, mais vous devez vous en douter, pas du point de vue des poètes et autres intellos. Un matin alors que j’étais venu lui rendre visite dans sa chambre, elle m’avait accueilli en ouvrant son pagne telle une mère poule câline offre refuge à son poussin égaré en écartant ses ailes. Cela m’avait donné une vue d'ensemble de son outil de travail que je jugeais de bonne qualité malgré une certaine usure due à un usage intensif et un entretien pas toujours régulier. Cependant, ma moralité, fruit d’une éducation judéo-chrétienne laborieuse m’avait interdit d’aller plus loin. Mais je dois avouer que si elle avait eu quarante ans de moins (ou même trente, allez!), mes principes religieux n’auraient pas suffi à empêcher l’accomplissement de mon destin.
Je dois avoir un tête à attendrir les femmes d’âge mûr car, j’ai vécu la même expérience dans une cantine en Guinée. La brave cantinière qui servait les repas m’ouvrit tout grand son pagne. Je ne vis que la partie supérieure de son corps, mais la taille gigantesque de ses poumons me troublèrent et je baissais pudiquement les yeux dans mon assiette de brisures de riz où surnageaient pêle-mêle, réunis dans une même misère, des élytres de charançons et des morceaux de cartilages bovin. N’ayant ni l’ âme, ni la compétence d’un spéléologue, la taille impressionnante de l’édifice mammaire me découragea pour entreprendre une inspection plus approfondie. Je déclinais prudemment l’invitation.
L’année dernière, de passage à Dakar, je décidais, dans le même esprit mystique avec lequel Mauricette va à Lourdes et Mohammed va à la Mecque, de faire un pèlerinage à l’hôtel qui existait toujours. J’y appris, avec une certaine tristesse, que Madame Jeannette avait été rappelée auprès de son Créateur depuis 1996. Certains employés se souvenaient d’elle.
‘Legend never die’ (Les légendes ne meurent jamais).
L’autre femme, je la rencontrais à Tamarasset lors de ma première descente du désert en 1981. Elle s’appelait Sœur Jacqueline et comme son nom l’indique, elle était bonne sœur. Comme vous pouvez vous en douter, elle n’officiait pas dans le même secteur d’activité que Madame Jeannette. Si Jeannette soulageait les peines affectives de l’humanité, Sœur Jacqueline s’occupait des douleurs physiques des autochtones. J’admirais son dévouement. Mais finalement, en y réfléchissant bien, Madame Jeannette pouvait aussi envoyer involontairement des clients à Sœur Jacqueline qui possédait un stock de pénicilline.
Comme vous pouvez vous en douter, Sœur Jacqueline n’enleva jamais devant moi une de ses pièces vestimentaires, même pas son foulard de tête.
De retour en France, je demandais à mon père de lui envoyer à intervalles réguliers un paquet de médicaments. Il le fit durant plusieurs années puis nous perdîmes la trace de Sœur Jacqueline.
Madame Jeannette vendait son corps à ses semblables, Soeur Jacqueline avait donné son âme à Dieu. Deux destins totalement différents mais le même attrait de l’Aventure motivait ces 2 femmes. C’est pour cela qu’au fond de ma mémoire elles ne disparaîtront jamais et bénéficieront toujours d’un égal respect.
Je me suis aussi longtemps demandé qu’elle pouvait être la motivation de ces aventuriers et aventurières. J’en ai fait la synthèse puis j’ai fait le parallèle avec 3 femmes, 2 fées et une sorcière. Excusez moi Mesdames les aventurières, dont les motivations sont à quelque chose près les mêmes que celles des hommes, d’avoir féminisé ces concepts. Malheureusement, les trois représentations dont je vais parler ci-après sont de genre féminin en Français. Une transposition est possible mais demande quelques aménagements, quoique maintenant avec l’évolution des mœurs...on peut s’attendre à tout.
La toute première femme s’appelle la fée ‘Liberté’. C’est elle que le petit aventurier en herbe connaîtra en premier. Leur relation sera platonique tout le long de leur existence. C’est elle qui offrira à l’enfant le goût de la découverte en le poussant toujours plus loin. Elle favorisera sa soif d’apprendre et lui donnera l’envie de connaître ensuite durant toute sa vie d’homme ce qui se trouve derrière la prochaine colline, derrière l’horizon maritime ou celui du désert sans fin.
Le jour où il perdra son amour, le futur n’aura plus aucun intérêt pour lui.
La seconde femme que l’aventurier rencontrera se nomme la fée ‘Aventure’. Leur relation ne sera plus platonique mais charnelle. Sans goût de l’Aventure, la Liberté ne vaut pas grand chose. C’est l’Aventure qui le poussera physiquement à aller où la Liberté lui avait donné l’envie de se rendre. C’est elle qui donne la force d’accomplir les projets, battre le cœur et ressentir le frisson de la monté d’adrénaline. C’est elle aussi que qu’il devra combler sans relâche tant que sa force le lui permettra et pourtant elle est insatiable, elle en demande toujours plus. Elle le forcera toujours à dépasser ses propres limites.
Pour elle, il abandonnera tous les autres vices, elle deviendra une obsession, son obsession.
La troisième femme. L’Aventurier ne l’a pas choisi mais elle lui est imposée par la nature même de sa propre existence. Elle s’appelle la Mort, c’est une sorcière. Elle est inéluctable.
Il ne faut pas la provoquer il ne faut pas non plus la craindre car le jour où elle soumettra l’Homme avec l’aide de sa fille nommée ‘La Peur’, les deux autres femmes, tellement belles, l’abandonneront.
Il sera physiquement vivant mais son âme sera morte.
Sa seule compagne sera alors la Mort qui l’accompagnera encore longtemps très longtemps jusqu’à ce qu’elle l’emporte définitivement. Et durant tout ce temps avant de faire son dernier voyage il regrettera infiniment et souffrira d’avoir laissé partir ses deux autres amantes.
"Je n'aime pas le lys, je n'aime pas la croix
Une est pour les curés, et l'autre est pour les Rois
Si j'aime mon pays, la terre qui m'a vu naître
Je ne veux pas de Dieux, je ne veux pas de maître"
Corrigan Fest (Groupe Canadien) - Je suis fils