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Y'a pas la monnaie

Y'a pas la monnaie

Published May 13, 2020 Updated Sep 29, 2020 Travel
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Y'a pas la monnaie

Toutes ressemblances avec des personnes existantes ou ayant existé ne sont pas tout à fait fortuites.

**************************************************************************************

 

 

"They stab it with their steely knives
But they just can't kill the beast"

"Ils la piquent avec leur couteaux d'acier
Mais ils ne peuvent tout simplement pas tuer la bête"

(Eagles - Hotel California)

 

Je ne l'avais pas vu tellement j'étais occupé à trier les morceaux de viande parmi les charançons et autres arthropodes dans l'unique but de découvrir quelques morceaux humainement comestibles dans mon riz sauce graine.

Et dire qu'il y a des restos en France qui ne servent que des plats à base d'insectes, et ceci à des prix exorbitants.

Tiens!, nous, ici, on ne connaît pas notre bonheur, on a mouches et cafards dans la nourriture et même dans la boisson sans supplément de prix.

 

Le vieux mendiant avait déjà commencé ses bénédictions depuis plusieurs minutes lorsque je levais les yeux vers lui.

"Paix seulement, Salamalecum" : répéta-t-il

"Salamalecum, i ni baara" lui dis-je.

("Paix avec vous, et le travail, ça va ?"). Demander à un mendiant si le boulot ça marche peut paraître ironique mais ce sont les coutumes, on n'y peut rien.

Ca me gêne toujours de manger devant quelqu'un qui a faim, aussi je m'empressai de lui tendre une pièce de 250 fcfa.

Il me remercia aussitôt par une nouvelle rafale de louanges.

Au bout de quelques minutes, lorsque la salve fut enfin passée, il me demanda qu'elle était ma route. Je lui répondis que le soir, je serai à Yapa car je souhaitais passer en Côté d'Ivoire le lendemain matin de bonne heure.

À l'évocation de ce nom, je vis une lueur d'effroi passer dans son regard.

" - Walaï! Patron, ne t'arrête pas dans ce lieu, il est maudit": me dit le vieil homme d'un air sinistre.

- Maudit ?" : m'inquiétais je.

- Oui, maudit et je vais te raconter la terrible histoire de ce sinistre lieu.

Il était une fois un riche marabout qui revenait de la Mecque. Il rentrait dans son pays, à Kong, en Côte d'Ivoire.

Un soir, alors qu'il faisait très chaud, il s'arrêta à Yapa pour se désaltérer. Il entra dans la première boutique et demanda un sachet d'eau dont le prix était de 25 Fcfa. Le boutiquier le servit mais au moment de payer, le marabouts sortit un billet de 500 Fcfa.

Le marchand ouvrit de grands yeux étonnés et réprobateurs.

"Pardon Chef, y'a pas la monnaie, je n'ai pas de jetons" : dit l'honnête bourgeois en reprenant le sachet des mains du pèlerin ébahi.

Le marabout fit mauvaise fortune bon cœur et partit chez un autre marchand. Il y reçut la même réponse et ne put obtenir le sachet désaltérant tant désiré.

Il fit ainsi toutes les boutiques du village et essuya invariablement un refus. Il avait de plus en plus soif. Finalement, il aperçu une vieille femme à la sortie de l'agglomération.

C'était Awa, la sorcière du village, qui portait sur sa tête de chouette une calebasse remplie d'eau avec laquelle elle venait de faire ses ablutions d'avant la sala (prière du soir).

"Vieille femme" : dit le marabout, "donne moi un peu de ton eau afin que je puisses me désaltérer".

 La vieille édentée lui tendit la calebasse.

"Prends et bois" : lui dit elle en ricanant et en pensant  à la bonne blague qu'elle était en train de faire. En effet, c'était l'eau avec laquelle elle venait juste de se laver les pieds et qu'elle destinait à l'arrosage de ses salades.

L'eau était saumâtre mais le saint homme qui, à cause de l'obscurité ne vit pas la couleur, vida le récipient tant sa soif était grande. Il paya 100 Francs à la vieille qui lui fit des bénédictions et lui souhaita bonne route.

Il put ainsi continuer son chemin et passa en Côte d'Ivoire le lendemain. Cependant son ventre se mis à couler quelques heures plus tard et cela dura 7 jours et 7 nuits.

Hors de lui, l'assoiffé jeta un sort à ce village qui depuis lors fut maudit.

 

"Par Allah, ne t'y arrêtes pas mon ami" : réitéra le conteur. "Allah Akbar!"

A peine eut il fini son histoire, que le vieillard disparu dans la poussière rougeâtre de la route. Il n'avait pas dit de quel sortilège cet endroit avait été frappé.

Mon frugal repas insectivore terminé, je reprenais la route vers l'ouest sans me soucier davantage des avertissements du vieux bonhomme. C'était se méprendre sur les réalités de l'Afrique et j'allais l'apprendre à mes dépends.

 

L'horizon flamboyait dans le soleil couchant et la brume engloutissait lentement la plaine lorsque je commençais la descente du plateau Mossi vers Yapa.

C'était le moment où les arbres traversent la route sans regarder et les génies commencent à errer dans la brousse.

Lorsque j'arrivais en ville , le soleil  disparaissait derrière l'horizon. Tout en fredonnant 'Hotel California' des Eagles, je décidais, et malgré les recommandations du vieux mendiant, de m'arrêter dans cette bourgade.

Sur le côté droit de la route, j'avisai une auberge au titre évocateur:

'Au coup de bambou Royal Palace'

'Restorant gastraunaumic' annonçait fièrement un panneau à l'entrée de l'établissement.

Je garais  la moto sur le parking puis me dirigeais vers la réception.

L'hôtel appartenait à Mahouloud, Libanais d'origine mais possédant aussi les nationalités Française, Ivoirienne, Guinéenne et Congolaise.

Rendu à ce point du récit, permettez moi d'ouvrir une petite parenthèse socio-pédagogique:

 (Il y a 2 types de libanais:

Celui qui vous prend pour un porte-feuille à pattes mais qui vous respecte en tant que tel et celui qui vous prend aussi pour un porte-feuille à pattes mais qui vous considère comme de la bouse. Celui ci ne vous regarde même pas lorsque vous rentrez dans son établissement et ne vous salue encore moins.)

Mahouloud appartenait à la première catégorie et il me reçu avec tous les égards dus à un futur client et porte-feuille en devenir.

 Il faut dire que ces derniers temps, le tourisme ne battait pas son plein et que le touriste était une denrée aussi rare qu'un saucisson à l'ail dans une mosquée wahhabite.

Je demandais les prix.

Il me montra une affiche où je pus lire les indications suivantes :

* Chambre Royale avec climatiseur et commodités : 20.000 Fcfa

* Chambre Princière climatiseur simple : 15.000 Fcfa

* Chambre Touristique avec ventilateur : 10.000 Fcfa

* Chambre de Bonne avec paillasse : 5.000 Fcfa

Le petit déjeuner est offert par la maison sauf pour la chambre de Bonne.

(Elle n'aura qu'à manger son foutou banane à l'extérieur)

* Repas : 5.000 Fcfa avec boisson comprise

Je fus surpris par le fait que les prix étaient tous des comptes ronds.

Je prenais une chambre Princière pour la nuit et le repas du soir que je payais à l'avance...des fois que....les gens sont tellement malhonnêtes de nos jours.

Après m'être reposé quelques instants dans ma chambre, je descendais pour me désaltérer.

Je m'asseyais à une des trois tables qui trônaient au milieu de la cour. La table en fer cabossée était recouverte d'une toile cirée usée d'où émergeaient, au milieu de tâches diverses et à moitié effacées, de nombreuses citations existentialistes dont voici quelques extraits : 

" A l'age de bière, les hommes habitaient dans des tavernes"

" Tout salaire mérite sa bière"

" Une flag vaut mieux que 2 tu l'auras"

" Chacun voit midi à sa flag"

(La Flag est une marque de bière locale)

J'étais absorbé par le déchiffrage de ces hiéroglyphes alcooliques lorsque mon attention fut attirée par un son étrange qui me sortit de ma rêverie.

'Schlip chlac, schlip chlac' faisaient les tapettes (tongs) de la serveuse en traînant par terre.

Elle se tint quelques instants devant moi silencieuse et immobile, son décapsuleur à la main, puis voyant que je ne disais rien, elle se risqua :

"Haou dou dou you ?

Vouate dou you drik misteur ?"

Visiblement, elle me prenait pour un des Australiens ou Sud-Africains qui travaillaient à la mine située à une quinzaine de kilomètres. Son regard de braise me fit penser à celui d une chatte en chaleur lâchement abandonnée par son maître au milieu d'une foire aux chiens lors des vacances d'été.

Je lui demandais une bouteille d'eau. Elle parut déçu de ma réponse en français et s'éloigna nonchalamment.

Schlip chlac, Schlip chlac, Schlip chlac, Schlip...Schlip... Schlip…elle avait perdu une tapette en glissant sur un os de poulet abandonné par un gastronome négligent.

Elle revint 5 bonnes minutes plus tard avec une bouteille de Flag. Je lui fis remarquer que j'avais demandé de l'eau. Cependant toute à l'idée de galipettes rémunératrices avec un bel anglo-saxon, elle avait oublié ma commande et comme, toutes les serveuses vous le diront, les blancs ne boivent que de la bière, elle en avait donc, en toute logique, ramenée une bouteille.

Visiblement très contrariée que je ne m'exprime pas dans la langue de Shakespeare, ne boivent pas de bière et que son décolleté Grand Canyonnesque ne m'inspire pas de réflexion grivoise, elle repartit avec sa bouteille de bière et son décapsuleur en haussant les épaules de dépit. Au bout de 5 minutes, ne voyant personne,  je décidais  d'abandonner lâchement ma bouteille d'eau et d'aller faire des courses en ville.

En particuliers, je devais changer les piles de mon appareil photo.

Chemin faisant, j'avisai  une boutique assez bien achalandée.

Je présentais la pile au marchand qui me répondit que malheureusement il n'avais pas ce modèle mais qu'en face, il y en aurait... c'est sur.

Effectivement, il y en avait. "C'est 600 Fcfa" : m'annonça l'aimable vendeur. Je sortais un billet de 5000 Fcfa de ma poche. Lorsqu'il vit le billet, il me fixa avec un regard ou se mélangeaient la surprise et l'indignation

"Y'a pas la monnaie" : me dit il avec un sourire ironique en me reprenant les piles d'un geste brusque.

Je sortis penaud et j'entrai dans un autre établissement non loin de là.

J'annonçais directement la couleur:

"Je veux des piles comme ça, vous avez la monnaie".

"Sans problème, nous avons la monnaie mais nous n'avons pas les piles".

Tant pis, je pénétrais alors dans ce qui me semblait être une supérette. La caissière sommeillait sur sa caisse enregistreuse en regardant le petit écran.

Elle s'était assoupie en regardant, à la télévision sur batterie, la grande Télénovelas de l'année : 'La Razon del Corazon del Amor del Corazon'. Dans son délire érotiquo-viandesque, elle se voyait prenant un bain de minuit avec la grande vedette Maximiliano Tarlouzof. Le soleil tropical se couchait sur la mer des Caraïbes en feu. Sur la plage, l'orchestre "Los Machucombos" jouait la 'Coucarachas'. Elle sentait déjà les lèvres brûlantes de Maxou sur sa poitrine dénudée…

"B'soir m'dame, vous auriez des piles comme ça et avec la monnaie qui va bien  sur un billet de 5000" ?: me risquais-je.

"Tout ce que tu veux, mon corps est à toi mon Maximil… Heu! Oui, monsieur, nous avons des piles. Ici c'est une maison sérieuse...Ahon!" : me dit elle en me foudroyant du regard et en remontant machinalement son décolleté.

Le cœur plein d'espoir, je partais prendre mes piles qui n'attendaient que moi sur le présentoir adéquat au milieu des chouines gommes et des préservatifs chinois à la banane (Oui, oui, ça existe).

Tout souriant, j'arrivais avec mon objet tant convoité et tendis mon billet a la caissière qui venait tout juste de recouvrer ses esprits.

"J'ai un petit problème" : me fit celle-ci avec un sourire ravageur. "Y'a coupure. Dey!"

"Y'a coupure ? " : m'inquiétais je

"Oui, je dis  Y'a coupure!. L'électricité est partie quoi" : me fit elle en me regardant avec la compassion d'un maître devant un élève particulièrement peu doué.

"Et vous comprendrez facilement, que ma caisse étant électrique, elle ne peut pas s'ouvrir s'il n'y a pas d'électricité. C'est bien vous, les blancs qui avaient inventés l'électricité...Non ?" : me dit elle avec un air de reproche chargé d'amertume.

"Dites moi dans quel hôtel vous êtes car la maison livre aussi à domicile. Je vous les ramènerai après mon service".

Je déclinais l'offre poliment, remis le blister de piles à l'endroit qui lui seyait le mieux et continuais ma quête d'absolu.

J'avais déjà parcouru la moitié de la ville et commençais à perdre espoir lorsque je remarquais l'établissement 'SOBOUF' (Société Bouréma et Fréres) qui semblait pouvoir faire l'affaire.

Je rentrai dans la pièce sombre et au premier abord, je ne vis personne. Lorsque mes yeux se furent habitués à la pauvre lumière que dispensait à grand peine un néon de l'Empire du Soleil levant, je remarquais  un individu coincé entre une pile de cartons de mayonnaise Calvé et un amoncellement de boîtes de savons Belivoir.

Lorsque celui-ci eu réussi à s'extraire de son fragile refuge, non sans avoir reçu une boite de sauce tomate mal fermée sur la tête, je lui présentais le modèle de piles et mon billet.

"Nous avons tout, même la monnaie. Malheureusement, le patron est parti bonne heure avec la clef de la caisse, mais il arrive...Inch Allah" : dit il en se frictionnant le crâne sur lequel la sauce tomate avait laissé des traces sanglantes.

Le voyageur ignorant serait alors tenté de faire la grave erreur d'attendre le retour du propriétaire.

Pour un français, 'il arrive' signifie que la personne est en route et est en train d'arriver.

 C'est le 'he is arriving' de l'anglais, qui, malin, fait la différence entre la personne qui est en train d'arriver et la personne qui va arriver mais on ne sait pas quand.

Dans notre cas présent, 'il arrive' signifie qu'il va venir, c'est tout. Le doute est encore renforcé par le 'Inch Allah' (si Dieu le veut), qui semble anodin mais qui laisse sous-entendre que ce n'est même pas sur qu'il vienne cette année.

 

Je me retrouvais une fois de plus dans la rue.

 

C'était de pire en pire et j'étais au comble du désespoir lorsque qu'une petite lumière vacillante attira mon attention. C'était la dernière boutique de la ville...mon ultime espoir.

C'était une boutique de téléphones portables. Au milieu des smartphones, chargeurs et autres gadgets était assis un petit bonhomme à lunettes genre intellectuel attardé.

Pour la énième fois  ce soir, je renouvelais ma requête.

"J'ai les piles et ne vous inquiétez pas, je n'ai plus besoin de monnaie. Maintenant, nous avons Orange money" : me répondit l'homme de science.

" - Orange money, c'est la monnaie orange ?

 - Non, non, c'est de l'argent Orange et c'est électronique. C'est l'avenir, ça marche avec le réseau téléphonique, internet, tout ça, tout ça. Vous avez un portable, je suppose. Votre puce est elle orange?

 - Oui

- Vous avez alors forcément un compte Orange money.

- Ah! voui,  effectivement, et je crois qu'ils m'ont mis 1000 Fcfa dessus. Je ne savais pas à quoi ça servait. Ils m'ont aussi donné un mot de passe.  

 - Hé! bien Cher Monsieur, je peux vous affirmer que vous êtes sauvés, vous pouvez payer votre marchandise avec ça. Attendez, je vous donne mon code. Vous voyez tout s'arrange."

J'étais sauvé par la technique.

Dix minutes plus tard, mon cyber-sauveur bidouillait toujours son téléphone. 

- Y a quelque chose qui ne va pas ?

- Effectivement, y'a pas le réseau… En tout cas !.

C'est à cet instant que je compris la nature du sort jeté par le marabout diarrhéique en colère.

Le nom complet du bled était Yapa Lamoné.

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