A l'heure où je quitte José et la forêt pour retrouver des activités plus touristiques, il est temps pour moi de faire la synthèse de cette expérience chamanique et de ce que j'en ai compris.

Qu'est ce qu'un chaman ? Un chaman, c'est d'abord quelqu'un qui décide de vivre un peu en retrait de sa communauté pour pouvoir mieux dialoguer avec la Nature et les esprits qui l'habite. C'est quelqu'un qui se pose comme intermédiaire et entre le monde visible et le monde invisible, qui apprend le langage, à écouter et interpréter les signes et les messages que la Nature nous transmet, qui explore des états de conscience modifiés pour favoriser ce dialogue et entretenir ce lien, pour mieux comprendre l'origine de ce qui nous déséquilibre et oeuvrer pour rétablir l'équilibre, chacun faisant partie d'un Tout et étant en complète interdépendance avec les autres et avec la Nature qui nous entoure. Il est ainsi à la fois un médiateur, un mystique, un sage, un parent, un protecteur, un guérisseur.

Le chaman discute avec la Nature, avec les animaux et les plantes, le ciel, l'eau ou la terre. Il leur parle, ils lui répondent et l'enseigne. Tout son savoir concernant l'utilisation des plantes par exemple lui a été appris, non par l'expérimentation scientifique ou par le fait d'avoir testé au hasard au petit bonheur la chance ces substances, mais par la plante elle-même. Comme me l'explique José, c'est l'esprit de la plante qui lui parle et lui dévoile toutes ses propriétés et ses secrets. C'est un savoir purement intuitif, en somme !

Difficile à concevoir pour nous qui avons perdu tout lien véritable avec la nature, qui sommes dans un rapport de maîtrise et de domestication vis à vis d'elle, plutôt que dans une perspective d'interaction et de communication avec elle. Pensons-nous que nous pouvons parler aux arbres, aux plantes, à la terre mère ou aux esprits de la rivière ? Pour cela, il faudrait savoir mettre notre mental, notre esprit matérialiste et notre besoin de tout contrôler de côté, pour se mettre à l'écoute de ce qui nous est transmis par d'autres canaux, invisibles et plus subtils, par l'ensemble de ce qui nous entoure. Et c'est pour favoriser cette écoute que le chaman doit vivre retiré, loin du brouhaha des hommes, comme me l'explique José.

Le chaman discute avec des esprits. L'esprit des plantes, des animaux, de la Pachamama la terre mère, ou de l'eau ; mais aussi des esprits plus « humanisés », les anciens et les morts, des personnes à distance, des êtres immatériels mais néanmoins bien présents... ce monde des esprits, au delà du monde matériel, que finalement toutes les sociétés de part le monde et de tout temps ont en permanence décrit, que chaque culture a interprété et représenté à sa façon, l'appelant esprit, dieu, énergie, magnétisme, ou autre, et avec lequel chaque communauté a developpé une manière de communiquer, et qu'on appelle spiritualité. C'est là le rôle du chaman, du sorcier, du druide, du prêtre, du sage ou du gourou, que de garantir cette communication au quotidien pour le bien et l'équilibre de l'ensemble du groupe.

Notre société moderne, voulant se distancier de l'héritage des religions qui se sont attribué ce rôle et ont trop souvent abusé de ce pouvoir hégémonique, est probablement la première à tenter d'en nier l'existence et penser qu'elle peut se passer de toute dimension spirituelle. Par une démarche scientifique qui se veut neutre et qui observe, mesure, quantifie et reproduit, elle définit l'ensemble de son savoir et de ses connaissances. Mais ce qu'on n'est pas capable d'observer, de mesurer ou de quantifier, ce qui n'est pas reproductible et qui est d'abord de l'ordre de l'expérience personnelle et subjective, n'a t il alors aucun fondement, aucune valeur, ni aucune existence ? Tout ce que la rationnalité n'explique pas, tout ce qui n'a pas de réalité matérielle, faut-il alors le déconsidérer, le balayer sous le tapis, en nier l'existence ou le reléguer au rzng de simple superstition ou croyances ?

Il faut se garder de remplacer un hégémonisme religieux par un hégémonisme scientiste et matérialiste. Nous sommes en train de revenir de ce scientisme, et la recherche et les découvertes scientifiques actuelles sont en train de redécouvrir et refaire sa place à ces réalités invisibles et à la dimension spirituelle de notre monde. Il y a un vrai dialogue à mener entre ces différentes démarches d'accès à la compréhension de ce qui est, de notre nature, de notre conscience, du monde qui nous entoure et de ce qui nous relie tous ensemble. Un dialogue fait de respect et d'humilité, d'écoute mutuelle et de remise en cause de nos propres croyances, un dialogue avec ce qu'on pourrait appeler l'intelligence ou la conscience du vivant, et plus généralement de l'existant. 

Telle fut ma démarche en tout cas en venant passer ces quelques jours ici. Plutôt que de juger en fonction de ce qui rentre dans mon cadre de pensée et de rejeter ce qui n'y rentre pas, c'est dans cette perspective d'ouverture que je suis venu rencontrer la voie des chamans, me faire mon expérience personnelle de ces états de conscience élargis par le biais d'une plante de vision. Et oui, bien sur, je ne peux que reconnaître que cela me donne accès à d'autres dimensions et d'autres éléments de compréhension, qui ne me sont pas ou difficilement accessibles par les voies de ma raison ordinaire.

Je suis donc revenu dans la civilisation, j'ai quitté Tena ce matin et je suis désormais arrivé à Banos. Le blog devrait désormais retrouver sa forme plus conventionnelle de blog de voyage...Cela devrait rassurer certains ! :-) J'espère néanmoins que la narration de cette expérience et de cette aventure intérieure vous auront d'une manière ou d'une autre interpellé, interessé, et plu ?