La page blanche
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La page blanche
Et si je commençais par te raconter une petite histoire ?
Nous sommes au mois d’avril 2021, il fait beau, je viens de m'installer devant mon ordinateur. Je jette un œil convaincu autour de moi, j’ai pensé à tout. Mon jogging pour le confort, une musique spéciale « focus » en fond sonore, mes notes posées en tas, l'ordinateur relié à la prise, et surtout, surtout, pas une âme qui vive dans la maison ! (A part toutou chien qui dort, comme d’habitude)
Cela fait deux semaines que je travaille avec acharnement sur mes trames et si ce matin, un millier de pensées navigue dans mon esprit ; les rdv à prendre ou à décaler, la liste des courses à compléter, les repas qu’il faudra préparer, la séance de yoga qu’il ne faut pas oublier… aucune ne semble être ma Muse.
Mais où est donc passée mon inspiration ??
Elle était pourtant là, inondant mon cerveau d'une lumière joyeuse, communicative, enthousiaste !
Nous étions comme ces amis qui se partagent tous leurs secrets, rient des mêmes blagues, et semblent ne faire qu’une seule et même personne. Nous étions tout cela et plus encore...
Et pourtant, ce matin elle n'est plus là.
Ca y est, c’est fini, je vais échouer
« Je ne sais pas si c’était une bonne idée d’en parler à tout le monde de ton bouquin Séverine » « C’était quand un même un peu présomptueux de vouloir devenir écrivaine comme ça de but en blanc non ? » « Franchement je ne sais pas ce qu’il t’a prit, tu n’y arriveras jamais »
Après vingt bonnes minutes à guetter la moindre étincelle de génie, mon cerveau est passé à l'auto-sabotage, et je commence à amèrement regretter les moments durant lesqules je ne m’inquiétais que du menu de la semaine.
Alors je lutte, je relis mes notes, je me force à avoir des idées. Mais plus j’essaie, et plus mon cerveau s’enroule comme un bretzel. L’angoisse monte, même la tisane est froide. Rien ne vient, je n’ai plus qu’à tout remballer, et débuter une journée de torture sur le thème de la culpabilité.
Dix jours plus tard …
Les insomnies ont eu raison de mes dernières velléités, un appel avec Marjolaine, ma coach, a été programmé, et je compte sur elle, pour me débloquer illico presto parce que j’ai bien l’intention de me remette au boulot. D'ailleurs mon téléphone sonne ça doit être elle...
Je viens de raccrocher (peut-on encore utiliser ce mot aujourd’hui ?), il est presque midi, et figure-toi que je suis en arrêt-maladie écrivain.
Si, si.
Heureusement que je fais entièrement confiance à Marjolaine parce qu’apparemment je dois :
- Ne pas travailler sur mon livre (angoisse)
- Faire tous les jours quelque chose uniquement pour mon plaisir (WTF ?)
Depuis quand un adulte est-il censé faire des choses juste pour son plaisir ? N’y a-t-il pas un Dieu de la productivité qui risque de me foudroyer à tout instant ? Ma vie ne se définit-elle pas par la somme des actions utiles à la société que je produis chaque jour ? D’ailleurs ne suis-je pas obligée de « produire » pour avoir le droit d’exister ?
Allons jeter un œil à la définition du productivisme.
Alerte vide existentiel
Maintenant que les anti-productivistes m'ont ouvert la voie de la sagesse, je suis bien obligée de t'avouer que jusqu’à cet évènement, j’avais toujours eu la conviction que s’il n’était pas 21h, ou que je n’avais pas 40 de fièvre, je n’avais pas le droit de me poser, comme ça, juste pour le plaisir. Dans ma conception du monde je devais être utile, efficace, productive.
Tout ce que je faisais avait donc un objectif : s’occuper de la maison et des enfants, lire ou écouter des contenus pour m’inspirer, me former pour rester « à la page » (alerte expression de vieille de 35 ans) ou bien encore travailler sur d’autres projets professionnels.
Jusqu’à mon appel avec Marjolaine, je n’avais jamais imaginé que m’asseoir dans mon canapé en pleine journée pour regarder un film pouvait être quelque chose de socialement acceptable.
JAMAIS.
L'éveil
Les premières semaines de reconfiguration cérébrale ont été douloureuses car elles ont réveillé plusieurs peurs : ne pas me sentir à la hauteur, ne pas être capable d’aller au bout d’un projet, être déconnectée de la société, et aussi, ne jamais retrouver l’inspiration.
Pour lâcher prise, il m’a fallu déconstruire pour reconstruire, et je vais être honnête, c’est une mission toujours en cours. Mais il ne fait aucun doute que les résultats sont là puisqu'après une longue pause, j'ai repris l'écriture de mon roman avec enthousiasme !
Si je te raconte tout ça aujourd’hui c’est parce que ce thème de la reconstruction est abordé dans mon roman. Nous avons tous·tes des croyances à propose de qui nous devons être, et comment nous sommes censés nous comporter. Elles nous donnent en quelques sortes un cadre, un référentiel.
Le hic c’est que ces idées, héritées en majorité de notre éducation et de la société dans laquelle nous vivons, doivent parfois être remises en question, lorsque l’on veut avancer sur une nouvelle voie.
Même si c’est difficile !
Ma leçon
J'ai presque envie de dire que la créativité correspond parfaitement au conseil (pardon cliché) sur les relations homme/femme que quelqu'un t'a forcément donnés, à un moment de ta vie : « Suis-le et il te fuira, fuis-le et il te suivra. »
Si tu veux être créatif·ve (oserait-on pousser jusqu'à épanoui·e ?) tu n'as pas d'autre choix que de te laisser le temps d'explorer tes goûts, de te nourrir de lecture, de films, de promenades, de podcasts, de rencontres, de jeux vidéos, de silence, de peinture, de légos, de danse …
En gros, de faire tout ce qui te fait vibrer au fond de toi et ne répond à aucun objectif de productivité :)
Sur ce, je te dis à dans 15 jours, ou avant s'il te prend l'envie de m'écrire en réponse à cet email.
Prends soin de toi,
Séverine
P.S : L’autre apprentissage serait qu’il faut toujours être prêt·e à demander de l’aide. Avoir des passages à vide, c’est normal, se tourner vers les autres pour s’en sortir, c’est indispensable. D’ailleurs Marjolaine n’est pas la seule à m’avoir aidée, ce fut un travail d’équipe