Episode 3 - Le départ d'Eliane
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Episode 3 - Le départ d'Eliane
Depuis plusieurs semaines déjà, Eliane guette fébrilement des saignements qui n'arrivent pas, succession de matins déçus que sa femme de chambre Marianne feint ne pas remarquer. A trente ans, sa Maîtresse se remet tout juste de la naissance de son septième enfant, encore au sein de la nourrice.
Une lune est passée, une autre lui a succédé. Ce matin, les vomissements ont signé la fin des espoirs pour les deux femmes. Marianne apporte une bassine de cuivre, tient les longs cheveux bruns d’Eliane en arrière. Sa chemise de nuit blanche n’est pas tâchée de sang, mais de bile et d’urine. De larmes d’agonie. Elle ne survivra pas à un nouvel enfantement, elle le sait.
Dans le château il se dit que « Madame a encore été bénie de Dieu », et M. le Marquis, fier comme un paon, observe sa femme, son territoire conquis. Des confins de Soletalia, on vante sa virilité. Durant les festins qu'il offre à ses pairs, son épouse est invariablement exhibée avant d'être congédiée pour des corps plus appétissants. Sa femme se réduit à un corps. Chose insuffisante pour exister.
« Dans ton château tu dois te méfier de tout le monde ». Les paroles de la mère d'Eliane résonnent dans sa tête. Cachée, le regard plongé vers une campagne qu’elle ne connaitra jamais, elle pleure, d’une larme seulement. Sanglot qu’elle pourrait attribuer à son bonheur si l'on devait la surprendre.
Voilà Marianne qui se présente, justement. Sous le prétexte de lui apporter une tisane aux vertus apaisantes, elle lui murmure qu’elle connait quelqu’un qui est disposé à l'aider. Une certaine Emma. La femme de chambre avec de telles paroles risque sa vie, tout comme la Marquise en qui un espoir nait. Déjà elle fait le compte : "Après sept fils, n’a-t-elle pas rempli la mission qui lui incombait ?"
Marianne acquiesce et explique. Il faudrait disparaitre un jour où Monsieur part à la chasse. Elles pourraient rentrer discrètement, prétendre une fausse couche, jouer l’apitoiement. Eliane ne l’entend pas de cette oreille. Son mari ne ferait que l’engrosser à nouveau. Non, ce qu’elle veut c’est sa liberté. Elle volera quelques onnos d'or, monnaie Solétalienne, dans la réserve à courtisanes, se déguisera en servante, disparaitra. Pour son bonheur elle n’a eu que des fils qui n’auront pas à souffrir de la réputation de leur mère. Ils lui manqueront c’est un fait, mais moins qu’elle ne se manque à elle-même.
Le jour du départ, onnos au creux des seins, et quignons de pain dans un panier, les deux femmes profitent de l’agitation causée par un étalon en rut pour traverser la cour en toute discrétion. Leur cœur bat à tout rompre quand elles approchent la porte du château. Par chance, l’homme de garde ne reconnait pas la Marquise. Comment le pourrait-il ? Elle ne sort jamais qu’en calèche. Marianne prétexte des achats à faire au marché, prend la main de celle qui dès sa naissance, était devenue sa protégée.
Eliane voudrait s’époumoner. Jamais elle n’a connu telle aventure ! Les deux femmes, une fois hors de vision, quittent le sentier pour la forêt. Nous sommes au printemps et les températures sont clémentes. Des bourgeons émergent sur les arbres, de jeunes pousses apparaissent dans la terre meuble, à travers un tapis fourni de feuilles. Les femmes n'ont pas le loisir de s'émerveiller, elles doivent faire vite, brouiller les pistes. Le Marquis enverra ses chiens à leur poursuite, ne montrera aucune pitié.
La Duchesse est envahie par une multitude de questions : "Qui est donc cette Emma auprès de laquelle elles doivent se réfugier ? Une sorcière ? Par quel miracle pourrait-elle la délivrer ?" Marianne lève la main pour imposer le silence. Seul le temps répondra à ses interrogations. Pour le moment il s'agit de fuir discrètement. Penaude, Eliane suit les pas de celle en qui reposent ses espoirs, traverse la rivière, "manœuvre indispensable à leur échappatoire". Avec détermination elles avancent, leurs robes gorgées d'eau les attirant puissamment vers le fond. Alors qu'elles atteignent tout juste la rive opposée, Eliane, épuisée par sa condition, glisse sur un pierrier et manque d'être emportée par le courant. C'est à la grâce d'une branche d'arbre tendue dans sa direction qu'elle doit sa providence.
La première nuit est agitée. A la peur d’être rattrapées s’ajoute celle d’être agressées par des bandits de grand chemin. Une dague à la main, Marianne guette une bonne partie de la nuit pendant que sa Maitresse parvient à dormir.
Au troisième jour, elles trouvent enfin la cabane de celle qui détient les clés de leur nouvelle vie. Une fine fumée sort de la petite cheminée, lierre et mousse recouvrent la plus grande partie des murs de pierre. La porte est ouverte. Eliane est intriguée. Comment une femme peut-elle vivre seule dans la forêt et laisser sa porte ouverte ?
Emma qui déjà, a senti leur présence, pose son pilon, essuie ses mains sur son tablier. D’une voix rocailleuse, les invite à entrer.
Par : Séverine Gambardella @ecriremonlivre