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Le Kyklos, épisode 02

Le Kyklos, épisode 02

Published Jan 11, 2024 Updated Sep 30, 2024 Horror
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Le Kyklos, épisode 02

Un violent rayon doré s’enfonça dans l’œil d’Antoine qui se retourna dans l’enchevêtrement de ses draps, ignorant la lumière du jour qui se levait lentement sur Port Leucate. La nuit passée, empreinte de sombres secrets, s’accrochait à lui comme une ombre. Dans les méandres de son esprit, le murmure des vagues se mêlait au chuintement sinistre du Kyklos. 

Une lente digestion

Antoine ouvrit brusquement les yeux. La lumière du matin l’aveugla, mais il trouva un réconfort fugace dans le regard souriant d’Anaïs sur la photo qui trônait sur sa table de nuit. Un sourire volé, capturé dans un instant de joie. Un sourire qui contrastait avec les lambeaux de la nuit d’hier, mais qui se mêlait à l’afflux de sang matinal qui affluait dans sa verge. Il attrapa son téléphone, l’écran brillait d’une notification : un message d’Anaïs, comme une lueur dans son monde obscur.

Coucou Antoine, comment vas-tu ? Tu as bien dormi ? 

Le sourire sur la photo de profil d’Anaïs lui mangeait toute la figure, mais il occulta immédiatement le fait qu’elle souriait à tous les contacts auxquels elle écrivait.

Coucou Anaïs. Quelle délicate attention à mon réveil. Oui, j’ai bien dormi et je vais bien. Et toi ?

Il ajouta une ligne, le cœur battant la chamade pour ce qu’il considérait comme un aveu. Il envoya le message avec une peur sourde de perdre ce fragile moment.

Merci d’être là. Toujours.

Il reposa le téléphone et sentit son corps réagir à des désirs inavouables, mais avant qu’il ne puisse se libérer de cette tension, le téléphone vibra de nouveau.

J’en suis ravie et c’est normal. On se voit au café ?

Antoine tremblait, honteux d’avoir sa main sur son sexe juste avant de répondre. Il notifia qu’il prenait une douche et s’y rendrait rapidement. Un message court, dans lequel il ne mentionna pas qu’il comptait aussi se libérer de cette envie trop prenante qui s’installait pour durer. Il lui fallait se libérer de ce plaisir, afin de ne pas être trahi par un gonflement significatif lorsqu’il sera à côté d’elle. Il reposa le téléphone et la photo regagna le tiroir de sa table de chevet. En écartant les draps, il constata sa raideur et enfila son ample robe de chambre pour gagner en silence la salle de bains.

Le silence lourd régnait dans l’appartement. Sa mère devait être encore dans les bras de Morphée à défaut de ceux de son père. Un mal pour un bien. Il avait fallu de nombreuses nuits pour que sa mère retrouve le sommeil après le départ du mari entre deux gendarmes, mais depuis sa consommation d’antalgiques avait cessé avec les coups. Ne restait que ces anxiolytiques et le sommeil artificiel. Antoine ferma délicatement la porte derrière lui et alluma. Devant lui, au-dessus du lavabo, son visage souriait, mais lorsque ses yeux croisèrent ceux de son reflet, il se figea. Le temps se replia instantanément. La salle de bains se resserra tout autour de lui en se garnissant de débris hétéroclites. La nuit d’hier se jeta avec voracité sur ses épaules, un poids énorme lui tomba dessus, comme si sa robe de chambre était devenue soudainement un manteau de plomb, et sa cage thoracique en fût immédiatement comprimée.

Le reflet qui lui faisait face n’était pas celui qu’il connaissait. Une balafre lui déchirait le visage. En posant ses mains sur sa joue, Antoine, le vrai, ne sentait aucune meurtrissure, aucune douleur, la gifle du Kyklos n’était qu’un souvenir blessant parmi tant d’autres. Pourtant, le reflet en face de lui dessinait une longue ligne creusant son visage, glissant sur son cou avant de mourir dans le creux de la salière. La plaie boursouflée était d’un rouge violacé qui rongeait sa peau jusqu’à un centimètre par endroit et qui semblait pulser, animée d’une vie propre. Des éclats noirs brillaient au fond de cette blessure comme des souvenirs douloureux d’une nuit cauchemardesque.

Comme des éclats d’ongle ou de griffe.

Sa main tremblante parcourut sa joue avec frénésie, sentant la chaleur du pus qui suintait de la plaie comme un poison rampant.
— Antoine ? Ça va mon chéri ? appela sa mère depuis l’autre côté de la porte.
Antoine jeta un œil terrifié vers la porte de la salle de bains, aussitôt imité par son double inversé dans le miroir. Le bouton de fermeture de la porte était bien dans le sens du verrouillage. Il tourna lentement la tête vers le miroir, avec l’espoir de retrouver sa normalité. Mais, à mesure que son visage pivotait, il voyait se dessiner les contours de sa joue labourée par la main griffue du Kyklos.
— Antoine ?
— Oui maman, répondit-il d’une voix tremblante, tandis que le liquide purulant gouttait lentement sur le sol carrelé.
— Tu m’as fait peur, tu as crié, ça va ?
— Oui, c’est juste le contact froid de la faïence, mentit-il alors que l’angoisse s’emparait de lui. Tout va bien !

Reflet d'un homme dans la glace, une balafre lui mange le visage.

Antoine regardait son reflet répondre à sa mère. Ses doigts ne sentaient aucune aspérité en dehors de ses quelques poils de barbe naissante. Mais, en face, l’autre Antoine en répondant faisait bouger la fissure sur sa joue, une crevasse qui se ramifiait en cinq longs doigts. De trop longs doigts.
— Je te prépare le petit-déj.
— Non maman, je vais le prendre avec Anaïs et Lolo !
— Et Lolo, soupira-t-elle. Quand est-ce que tu vas te décider à inviter juste Anaïs ?
— Maman, ne commence pas.
— D’accord, je n’ai rien dit. Tu seras là à midi ?
— Je ne sais pas m’man. On va sûrement se balader et manger sur la plage maintenant que les touristes sont partis.
— OK je t’attends pas. J’irais manger avec Mathilde.
— D’ac.

Antoine se détourna du miroir, mais l’image restait gravée dans son esprit : son double aux traits déformés par la souffrance et la peur. Il ouvrit le robinet pour faire couler l’eau brûlante sur son corps, espérant laver non seulement sa peau, mais aussi les ténèbres qui l’avaient envahi. Il pensait à la goutte qui s’était écrasée dans le monde de son double et n’osait pas regarder au sol dans le sien. En face, Antoine numéro 2 le dévisageait de sa joue putride. Il regarda sa main pourtant propre et cela lui donna le courage de baisser le regard. Au sol, le lino imitait un plancher de chêne clair dépourvu de trace. Il releva la tête. Dans la glace, les deux Antoine se regardaient perplexes et tentaient l’un comme l’autre de sourire un peu. Lorsqu’il revint devant la glace, offrant sa joue gauche, son espoir s’envola aussitôt face à l’autre. Il renonça à se raser et se contenta d’un brossage rapide des dents et d’une coiffure sommaire. Sa mère sera le test ultime. Il sortit de la salle de bains après s’être aspergé d’un peu de parfum.

Dans le couloir menant à la cuisine, une odeur familière de café flottait dans l’air ; un contraste troublant avec l’atmosphère oppressante qui pesait sur lui. Il suivit la trace olfactive et trouva sa mère qui picorait les miettes éparpillées d’un croissant qui n’avait pas fait long feu.
— T’es tout beau, dit-elle sans savoir que derrière cette façade se cachait un abîme de terreur.
— T’es pas objective, lui rétorqua-t-il soulagé intérieurement.

Le test « maman » était passé avec succès. Sa joue balafrée appartenait au miroir de la salle de bains, enfermée dans cette prison réfléchissante où les ombres ne pouvaient pas atteindre ceux qui vivaient encore sous la lumière du jour. Il retrouva alors un peu de son bonheur en embrassant sa mère, puis le cœur beaucoup plus léger regagna sa chambre. Il jeta un coup d’œil sur la table de nuit pour vérifier que la photo d’Anaïs avait regagné le secret de son tiroir. Puis, il chaussa ses baskets, attrapa ses clefs et composa le numéro de Laurent pour déposer un message en réponse à l’invitation laconique du répondeur.
— Salut Laurent, on se retrouve avec Anaïs au café du Port. À toute.
— Couillon ! lui lança sa mère de la cuisine.
— Je t’aime aussi !

Il referma doucement la porte de l’appartement et donna un tour de clef, laissant derrière lui son double dans le miroir de la salle de bains, les murmures du Kyklos et les échos d’un mal insidieux qui menaçait de toujours de revenir. 

 

Le Kyklos, épisode 03

 

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