En suspens - Vendredi 14 décembre 2007
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En suspens - Vendredi 14 décembre 2007
Ça ne va pas du tout pour Cyrielle aujourd’hui : le taux de glycémie est élevé, il y a du sucre dans ses urines, et des problèmes dans son sang … J’étais venue dans le service dans la nuit, et Cyrielle était déjà en souffrance et cumulait les problèmes. C’est difficile car je ne peux pas ouvrir les portes de l’incubateur et je ne sais pas si ma fille peut entendre ma voix au travers de cette coque en plastique. Robin est un peu plus stable : il est toujours sous U.V.
Je retourne vous voir lorsque les visites médicales sont terminées. Les soins particuliers et les visites médicales ont lieu à trois moments dans la journée : de 8H30 à 9H, de 11H30 à 12H30, et en fin d’après-midi (les horaires sont variables en fonction des besoins des bébés).
En cette période de fin d’année, le service de réanimation néonatale est saturé. C’est impressionnant de voir autant de petites couveuses, de parents en mode pilote automatique se rapprocher des bébés. On est dans le même bateau, mais on est tous un peu submergés par nos émotions, et les liens ne se créent pas aussi facilement qu’on pourrait le penser. Lorsqu’on est dans ce service si particulier, chaque parent se focalise sur son bébé ou ses bébés : l’un est né avec le cordon ombilical autour du coup, l’autre a perdu son jumeau à la naissance et essaie de se battre pour rester en vie, un autre encore doit subir une chirurgie sinon il mourra. Mais cela je ne l’apprendrai pas dans le service de réanimation néonatale, je l’apprendrai autour de la machine à café, ou alors plus tard dans la cuisine où se situent les chambres parentales réservées aux familles qui ont un enfant ou plusieurs enfants hospitalisés au sein de la maternité régionale.
Dans le service, les parents ne discutent pas entre eux. On ne se regarde pas, à peine pour se dire discrètement bonjour. On reste tous très pudiques, je suppose qu’on se demande un peu ce qui nous arrive. Pourquoi nous ? On fonctionne un peu en mode zombie, on écoute les explications des nounous, des pédiatres, des médecins spécialisés en génétique, en neurologie, en ophtalmologie, en rééducation. On fait confiance aux spécialistes, la vie de nos bébés est entre leurs mains expertes. Entre parents, on reste pudiques et discrets.
Le soir arrive, et Nicolas et moi avons une réunion avec l’équipe de médecins. Ils nous exposent le premier bilan concernant nos jumeaux. On a beaucoup d’informations en même temps mais les docteurs sont patients et répondent à nos inquiétudes, sans nous cacher la vérité : les électroencéphalogrammes sont satisfaisants, ça présage un bon départ. Cyrielle a respiré toute seule quelques secondes dès la naissance, et après elle a bénéficié des branchements essentiels pour survivre. Robin, lui, n’a pas respiré seul. Les docteurs ont fait le nécessaire et l’ont branché tout comme Cyrielle. Comme les nourrissons à terme, les jumeaux ont perdu du poids, ils sont tous les deux descendus en-dessous de 700 grammes, ce qui est très petit.
Ensuite, ils nous expliquent pourquoi nous ne pouvons pas porter nos bébés sur nous pour l’instant, également pourquoi ils ont des petites lunettes violettes sur les yeux : c’est pour éviter que la cornée et l’œil ne soient soumis à une luminosité trop forte, notamment lorsque les bébés sont sous U.V. Cette luminosité n’existe pas à l’intérieur du corps de la maman. C’est pourquoi ils utilisent des caches pour protéger les yeux des bébés.
A ce stade, il est fort probable que nos jumeaux aient des séquelles, on ne peut rien prédire, rien anticiper, il faut voir heure après heure, jour après jour, leur évolution. Les médecins nous conseillent vivement de leur parler, de venir près d’eux le plus souvent possible, et de les toucher dès que ce sera possible. La recherche a observé que les très grands prématurés progressent mieux et ont plus de confort lorsque les parents sont présents, parlent près des incubateurs, et s’impliquent dans la vie quotidienne du bébé. Ils nous parlent également des chambres parentales.
Ils concluent en nous disant que Cyrielle et Robin restent des bébés très fragiles, il faut donc s’attendre à un parcours très difficile. On doit être soutenus par nos proches afin de rester forts pour nos jumeaux.
La réunion s’achève. Nicolas doit repartir à la maison. Je me retrouve seule dans cette grande maternité, je marche dans le long couloir de l’entrée. Je me dirige vers l’extérieur et je sors. Un vent froid me glace le visage. Ça fait du bien de se trouver dehors. Je fais quelques pas, puis n’étant pas habillée ni chaussée pour faire une grande promenade, je rentre et vais voir mes bébés. Il m’est impossible de déconnecter.
Je grignote mon plateau repas dans ma chambre. Pendant que je tire mon lait, j’entends des bébés qui pleurent. Ça me rend triste. Les premiers jours avec ses bébés, ça doit être les plus beaux jours d’une vie de maman : les premiers instants de vie, la découverte de ses bébés, leurs visages, leurs souffles, les bruits qu’ils font, leurs positions pour dormir, les pleurs, les biberons, les couches, les bains… Tout cela, je ne peux pas le faire. Je ne peux rien faire.
Jackie H 3 months ago
Une naissance prématurée, c'est un début de maternité (et de parenté) tout à fait atypique...
Annaële Bozzolo 3 months ago
Oui, on est embarqué dans un truc qui nous dépasse. On fait ce qu'on peut!