C’est le premier week-end que l’on passe à la maternité. Enormément de monde nous rend visite. Ça nous occupe un peu l’esprit, même si on doit répéter l’histoire inlassablement : les premières douleurs, les saignements, l’arrivée à la maternité, l’impossibilité de contenir les contractions, l’accouchement hors-norme, l’arrivée des jumeaux bien trop tôt, la première réunion avec les médecins et les avis de l’équipe pluridisciplinaire …

Lorsque je vais vous voir entre deux visites de la famille, j’apprends qu’on vous donne des doses d’ibuprofène pendant trois jours car il faut refermer votre canal artériel. Un bébé né à terme ferme son canal artériel automatiquement, mais vous, vous n’avez pas la force de le faire, vous avez besoin d’aide. C’est la technique la plus courante pour la persistance du canal artériel.

Il y a tellement d’informations et de termes médicaux qui arrivent chaque jour à mes oreilles que je n’arrive pas à tout retenir. J’ai besoin de comprendre ce qui se passe pour vous chaque jour. Pour ne rien oublier, je décide de noter dans un cahier toutes les informations importantes qui vont jalonner votre parcours. Je partage les pages du cahier en deux colonnes : une pour Robin, une pour Cyrielle. J’y inscris chaque jour votre poids, votre température, les médicaments administrés, les heures auxquelles je suis venue, les visites de la famille et des amis, les soins que j’ai pu effectuer avec les nounous, si vous êtes stables ou pas, si j’ai pu vous porter, vous parler ou vous chanter des petites chansons.

Ecrire ce qui se passe pour vous chaque jour m’aide beaucoup à tenir le coup. J’ai l’impression de créer un lien pour notre famille. Je me dis que vous serez curieux de connaître votre début de vie, et ça me donne de l’espoir, ça me donne une perspective pour l’avenir.

Dimanche : c’est ma première sortie à l’extérieur depuis l’accouchement. On va au restaurant. Ma mère en a eu l’idée. Elle veut que je prenne un peu l’air et que je sorte de l’environnement hospitalier pour quelques heures. Malgré quelques réticences, j’accepte. Et ça fait du bien de se retrouver ailleurs que dans la pièce de réanimation néonatale, là où tous les bébés sont entre la vie et la mort ; avec le bruit incessant des machines. Dans la salle de restaurant, c’est le bruit de la vie.

Tout le monde repart en fin d’après-midi. Je passe deux heures avec vous. Cyrielle, tu as un peu grossi depuis ta perte de poids les premiers jours : tu pèses maintenant 660 grammes. C’est 20 grammes de plus qu’hier ! Ta nounou est vraiment très gentille : elle a gardé la crème qu’elle te passe sur le corps pour que ce soit moi qui le fasse. Je te fais un massage de quarante minutes ! Tu as l’air d’apprécier. Depuis que tu es dans ton incubateur, tu as un doudou qu’on a ramené de la maison : c’est « doudou girafe ». Ça fait bizarre car il est presque aussi grand que toi !

Robin, ta nounou pour cette nuit est géniale : elle m’explique tout ce qu’elle est en train de faire, et tout le système de tuyaux autour de toi : tu as une sonde qui t’aide à évacuer les déchets, mais à cause de cette sonde, tu peux attraper une infection car c’est un corps étranger. Rien n’est anodin. Quand elle a terminé de s’occuper de toi, elle me laisse mettre une main sous toi et de caresser avec l’autre. C’est un peu comme si je te portais. Pour moi, c’est magique !

Je quitte le service le cœur gros. Je voudrais rester mais ce n’est pas raisonnable. Il est 22 heures, les lumières sont tamisées, il n’y a pas le silence mais c’est plus calme qu’en journée. Les nounous sont là au cas où. Je dois me reposer un peu pour être en forme demain. C’est étrange comme le temps peut paraître suspendu en cet instant. Nos vies sont en suspens, j’ai l’impression de vivre dans une espèce de bulle spatiale et temporelle.