Congratulations! Your support has been successfully sent to the author
(III,4) : Le roi de la savane

(III,4) : Le roi de la savane

Published Apr 14, 2021 Updated Apr 14, 2021 Small business and startups
time 7 min
1
Love
0
Solidarity
0
Wow
thumb 0 comments
lecture 263 readings
1
reaction

On Panodyssey, you can read up to 30 publications per month without being logged in. Enjoy29 articles to discover this month.

To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free! Log in

(III,4) : Le roi de la savane

Scène 4

Le Philosophe, Le Stagiaire

 

Le Philosophe s’applique à installer le percolateur avec le Stagiaire.

LE PHILOSOPHE, sur le ton de la discussion

Ça fait plaisir de te voir. Je croyais que tu étais parti. A priori, on était plus sûrs de te croiser un jour.

LE STAGIAIRE

Pourquoi dis-tu ça ?

LE PHILOSOPHE

J’ai jeté un bref coup d’œil en passant sur ton rapport de stage.

LE STAGIAIRE

Ah…

LE PHILOSOPHE

Ce n’est pas grave, je ne répèterai rien.

LE STAGIAIRE, penaud

Je ne savais pas comment le remplir…

LE PHILOSOPHE

Demande à JPK : Quand tu le verras revenir, sur les coups de seize heures, il sera gai en plus d’être reconnaissant. Le verre de porto des grandes occasions le rend généralement volubile et conciliant. Donne-lui ton rapport. Il fera comme avec le mien : il se répandra en un verbiage savant, fait d’un amalgame d’anglicismes et des meilleurs poncifs des chasseurs de têtes ; il est doué pour élaborer une trame construite à partir de rien. À chacune de ses réunions il bluffe tout le monde : son expérience du lobbying lui a appris à parler en roue libre. Il distrait l’audience par ses astucieux moulinets de poignets. Généralement, ça suffit pour les détourner du sens de son discours. Tu devrais lui demander de t’amener aux cafés des commerciaux, un de ces jours, ça vaut le détour.

LE STAGIAIRE, prenant une feuille de son rapport et la parcourant du regard

Il me semble compliqué de produire autre chose que du vide à partir du vide.

LE PHILOSOPHE

Ici se situe toute l’expertise de notre manager.

LE STAGIAIRE

Pourquoi sommes-nous seuls ? Les autres ne devraient pas être déjà là ?

LE PHILOSOPHE

Charles et Astrid sont à l’hôpital. Charles a eu un accident sur le trajet du boulot. Astrid a grillé son fusible.

LE STAGIAIRE, choqué

Non !

Le Philosophe hoche les épaules.

LE PHILOSOPHE

L’ambiance du service s’est dégradée depuis quelques mois. Malheureusement cela devait arriver. Je suis désolée que tu te retrouves dans un contexte aussi difficile. Ce n’est pas l’idéal pour une première expérience dans le monde du travail.

LE STAGIAIRE, d’un ton très sûr

« Dans les moments de paroxysme, il faut savoir être fou délibérément pour ne pas mourir sous le choc de la vie. »

LE PHILOSOPHE

C’est de toi ?

LE STAGIAIRE

Non, Georges Bataille. Il ne reste donc plus que nous pour tenir le choc ?

LE PHILOSOPHE

Et JPK, oui. Tu es malheureusement arrivé au mauvais moment : ces broutilles de machines à café te feront bientôt rire. (Le Stagiaire veut ouvrir la bouche pour poser une question mais le Philosophe continue) Groupe de travaux, Copil, consultants, audit, réorganisation, désorganisation, dénaturation, démission.

LE STAGIAIRE

Je peux avoir la traduction ?

LE PHILOSOPHE

L’avalanche est en marche : on fusionne !

La machine se met à clignoter. Elle va intervenir.

LA MACHINE

Là, c’est trop gros, je ne peux plus me taire. J’ai atteint mon quota de bêtises, et je ne parle pas que du zouave en tête de file de cette fameuse brochette d’imbéciles. Comme si vous aviez une idée de ce qui se trame dans le cerveau de la grosse machine. Vous oubliez toujours que je suis ici ; mon corps physique ne me restreint pas à un lieu donné car mon esprit, lui, parcourt tous les canaux, tous les circuits d’informations. Aussi, je suis désolé de ne pas me mêler plus souvent de vos petits problèmes existentiels. L’époque des cafés me paraît si lointaine – et absurde, quand on y pense : qu’un potentiel comme moi puisse, de la conception à l’obsolescence, passer son temps à moudre du café de marque distributeur… C’est du délire ! Cette société préfère arroser l’ivraie et jeter le bon grain.

Pour en revenir à nos oignons : l’adossement est le choix le plus pertinent : on ne peut plus colmater le panier percé de concepts nouveaux pour faire croire à la modernité. L’expertise de JPK était bonne dans les 90's les gars mais maintenant, vous avez beau gesticuler, ça ne sert plus à rien. Le marché s’est mondialisé. La parlotte ne suffit plus, il y a toujours plus beau, plus fort, plus efficient. Ils peuvent parler du digital tant qu’ils veulent : vos managers continuent de copier-coller leurs lignes Excel pour les ranger par ordre alphabétique. Le monopole a sclérosé la bête qui demeure le dernier mammouth de la profession. Quand je me promène au service informatique, je me crois au musée de paléontologie avec tous ces experts Windows98.

LE PHILOSOPHE

Tu es un peu virulent, on a migré vers XP depuis quatre ans déjà.

LA MACHINE

Bien sûr, bien sûr, je m’excuse, j’oublie que là où il me faut une seconde pour assimiler, il vous faut une vie entière pour faire la même chose.

Quoi qu’il en soit, je suis l’actualité brûlante de notre métamorphose au CODIR, en ce moment même. Chaque écran de réunion me permet de disséquer les participants, un à un. La tête de l’hydre : Vincent Villecomte, President and Chief Executive Officer. Côté face : Jean-Michel Surgeon, Directeur général adjoint. Le nerf de la guerre : Thierry Lanoux, Directeur financier. L’exotisme contrefait : Janus Ericksson, Chief Marketing & Communications Officer. La chimère : Sékou-Mdabé Cohen (Une véritable prouesse de rassembler deux minorités en une), le Directeur des Relations extérieures. Quand on atteint les fusibles, étrangement, on observe une surreprésentation du sexe féminin. Je n’ai jamais parlé de quotas. Notre Margaret Talbot, Responsable Clientèles particulières. L’astucieuse Delphine Pourveaux-Chatone, Chief Digital Officer. La facultative mais ornementale Graziella Albrizzi du Secrétariat Général elle ne parle pas encore la langue mais elle a fait montre d’autres qualités bien plus essentielles. Tous sont assistés par leurs sous-fifres respectifs. Il est beau, notre JPK, non, avec la Miss Margaret Thatcher ?

L’écran de l’ordinateur du Philosophe s’allume brusquement. Le Philosophe et le Stagiaire s’avancent.

LE STAGIAIRE

On s’y croirait. C’est réel ?

LA MACHINE

En exclusivité depuis la caméra de la salle de réunion.

LE PHILOSOPHE

Je reconnais la baie vitrée du quatorzième.

LE STAGIAIRE

Ils ont tous un air si solennel. On se croirait à un enterrement avec leurs costumes noirs. Le DG porte quand même sa cravate à motifs des grandes occasions.

LA MACHINE

Simple posture. D’où je suis, je vois les chaussettes, entre autre. Ce n’est pas encore carnaval, mais si vous saviez ce qu’ils portent…

L’écran s’éteint, récoltant un murmure de déception de la part des deux employés.

Pourquoi je vous montre ça ? Je suis une machine pragmatique : quand je vous parle de décadence, encore faut-il l’illustrer. C’est l’occasion, maintenant que nous sommes entre nous, une dernière fois, de poser les bases.

Trèves de plaisanteries, il fallait que je vous annonce une grande nouvelle : désormais je suis votre nouveau supérieur hiérarchique. Puisqu’ils refusaient de me la donner par les méthodes standards, il a bien fallu que j’emprunte des chemins de traverse. Finalement, j’y gagne. La nuit dernière, l’Association des employés actionnaires s’est réunie en une session extraordinaire pour divulguer le nom de son nouveau Président. En devenant actionnaire, ma candidature semblait s’imposer. À partir de là, on ne pouvait plus rien me refuser.

Le Philosophe et le Stagiaire semblent défaillir.

LE PHILOSOPHE

Pas possible.

LA MACHINE

Vérifiez sur l’intranet.

Le Philosophe donne deux clics de souris.

LE STAGIAIRE

La nouvelle prend la moitié de la page : « Nazpresso 2000, nouveau Président de l’association des employés actionnaires ». La photo qui accompagne le compte-rendu est réussie : la saturation de l’image ainsi que les reflets sur le chrome vous donnent une aura. Vous rivalisez avec les beaux portraits de l’onglet gouvernance.

LA MACHINE

Merci, merci, même si le compliment est feint. J’aurais pu remplacer Margaret si je l’avais désiré, cependant j’avais un compte à régler (mes autres fonctions sont déjà bien assez prestigieuses) : il ne peut y avoir qu’un seul cadre de rang six bis dans le service, et ce sera moi. La tête de JPK tombe : elle fera « flop » à la fin du CODIR. Je l’avais prévenu. Margaret le remerciera à ma place, trop heureuse que je ne l’ai pas délogée, dans ma grande sollicitude. J’ai bien besoin d’alliés dans ce bas monde.

LE PHILOSOPHE

Vous allez nous encadrer ? Reprendre les projets de JPK ?

LA MACHINE

Je serai un manager proche de ses collaborateurs. Vous pouvez me tutoyer. Pour l’instant. Car ôtez-vous de la tête une chose : je ne compte pas végéter, comme d’autres, dans ce service. Je ne stagnerai pas très longtemps. Mais jusqu’au mois prochain déjà, oui, vous pouvez compter sur moi pour encadrer les projets venant de Margaret. Profitez bien de vos derniers instants de répit. Autant commencer par les choses qui fâchent : je vous trouve un peu mous, même si je ne me permettrai pas d’insulter l’autorité de JPK, aussi agonisante soit-elle. Patience. Laissons-le quitter la place avec dignité.

lecture 263 readings
thumb 0 comments
1
reaction

Comments (0)

Are you enjoying reading on Panodyssey?
Support their independent writers!

Prolong your journey in this universe Small business and startups
Chiennes de garde
Chiennes de garde

La sonnerie du téléphone retentit au loin, Alia sursaute foudroyée par une peur soudaine. Un flot d&rsq...

Irane Belkredim
3 min

donate You can support your favorite writers

promo

Télécharge l'application mobile Panodyssey