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Petite musique de nuit

Petite musique de nuit

Published Feb 28, 2021 Updated Feb 28, 2021 Culture
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Petite musique de nuit

 

 

MAUVAISE NOTE

 

Pierre SMADA, attendait fébrilement le train en provenance de Londres.

Depuis plus de vingt minutes, cet homme très élégant dévisageait les voyageurs un par un, pour passer le temps. Il s’était installé devant la porte vitrée du petit bar de la gare du Nord.  Ici la vue était bonne. On avait presque tous les quais à portée de vue. Quelle joie d’être là, pensa Pierre ! Non pas, qu’il aimait particulièrement les gares ! Non.

Si son bonheur était si visible, c’était parce qu’il attendait un ami très cher, un homme illustre, qu’il considérait être, un génie.

         Pierre avait rencontré Arthur vingt ans plus tôt, en mille neuf cent quatre vingt un. Depuis les deux hommes s’étaient peu vu mais avaient entretenu une relation emprunte de respect et de tendresse. Bien sur Pierre aurait aimé voir son ami plus souvent mais, à la décharge d’Arthur, celui-ci avait encore une vie trépidante : A soixante dix sept ans, il parcourait encore le monde. Quarante six ans qu’il menait cette vie de dingue. Il n'y avait que l’année dernière qu’il s’était accordé une pause. Non pas parce que nous changions de siècle, bien que cela fut possible vu l’originalité du bonhomme mais, pour des problèmes d’arthrose ne lui permettant plus d’exercer son métier.

 

Les gens passaient devant Pierre qui attendait toujours aussi patiemment. De fait, il était arrivé en avance. S’il avait pu il serait venu la veille.

Ses souvenirs le transportèrent à Berlin, puis à Milan. Toujours dans des lieus splendides. Ce ne pouvait être autrement avec Arthur.

Alors que Pierre revisitait par la pensée ces vingt dernières années d’amitié, trois silhouettes s’approchèrent de lui. Distraitement, le journaliste leva la tête. Un vieux monsieur imposant au visage large et carré se plaça devant lui. Il avait l’air d’un bon géant de conte de fée relooké par ARMANI. Derrière suivait sa femme, elle aussi, relativement âgée, puis un autre homme, plus jeune, que monsieur SMADA n'avait pas l'honneur de connaître.

« Bonjour mon ami Pierre » tonna une voix dont l'accent russe était encombrant.

« Salut Arthur » répondit une voix plus fluette. Les deux hommes se serrèrent fortement. Madame SNIBOR était émue par ces retrouvailles parisiennes. Anna aussi connaissait bien Pierre. Elle appréciait particulièrement son honnêteté de journaliste, cette façon qu’il avait de ne pas écrire pour faire plaisir aux lecteurs mais avant tout pour témoigner de l’activité musicale classique qu’il connaissait si bien. Pas d’ostentation chez Pierre mais une réelle objectivité. En cela, il était beaucoup plus respecté par les musiciens que par les rédacteurs en chef de la presse spécialisée. Il en avait usé plus d’un mais finissait souvent par faire accepter son point de vue. D’un air complice Pierre salua Anna, grande dame, elle aussi, qui avait été autrefois un nom important de la scène lyrique internationale.

Derrière, le petit homme très musclé se présenta. Il ressemblait à un bodybuilder.

« J’ai beaucoup entendu parler de vous monsieur SMADA et je suis très heureux de vous rencontrer. Je suis Jack SMILES et modestement c’est moi qui accorde les pianos de monsieur SNIBOR lors de ses tournées, depuis qu’il est venu un jour me débaucher dans mon Oregon natal »

« Ah, c’est donc vous le technicien de génie dont Arthur me parle au téléphone.

Il dit parfois que vous connaissez l’instrument mieux que lui »

Jack fut gêné par ce commentaire mais peut être était-ce vrai.

 

A cette heure, la gare du Nord était bruyante. On y annonçait une reprise partielle du trafic des trains pour la banlieue. La petite phrase sortant des hauts parleurs fit sourire Arthur.

« Chaque fois que je viens de Londres et que j’arrive à Paris par le train, j’entend cela. Est-ce toujours ainsi, la France ? »

« Non, bien sur » dit Pierre. « Tu n’a pas de chance, c’est tout ! » conclu-t-il en riant. De son portable, le pianiste appela une compagnie de taxis. Il avait un peu hâte de s’installer à l’hôtel. Devant la gare, sur le trottoir, le journaliste fit signe au musicien que l’imperméable qu’il portait, plié sur son avant bras, touchait le sol.

« Ce n’est pas grave » répondit-il. « Je ne suis pas esclave des trucs » Pierre se demanda si la réponse de son ami venait du fait que parfois il maitrisait mal les subtilités de la langue française ou si cette phrase reflétait exactement sa pensée. En même temps, cela n’aurait rien d’étonnant. Le pianiste était fantasque !

 

         Le taxi arriva. Les quatre personnes y prirent place. Madame SNIBOR annonça la direction de l’hôtel concorde. Pendant toute la durée du trajet l’imperméable du « concertiste » resta coincé dans la portière, à l’arrière droit du véhicule. Personne ne le vit. Devant l’hôtel Pierre pris congé de ses amis. De toute façon il serait là dans la matinée, le lendemain, pour l’entretien. En effet sa rédaction lui avait confié la respectable tâche de rédiger un long article sur monsieur SNIBOR. Qui mieux que lui pouvait faire cela ! C’est d’ailleurs dans ces conditions que les deux hommes s’étaient rencontrés, la première fois.

En mille neuf cent quatre vingt un après une tournée internationale triomphale, ce fut l’heure du bilan médiatique. La rédaction du magazine musical « Affetto » avait délégué Pierre pour s’entretenir avec le maitre qui passait par Paris avant de rentrer sur Moscou. Là, le journaliste avait trouvé un homme comblé mais fatigué. Etrangement Arthur SNIBOR expliquait alors qu’il aimerait être guillotiné afin de « trancher » définitivement ce sentiment de lassitude qu’il éprouvait parfois, lors des tournées lorsqu’elles étaient longues. Puis après deux heures de discussion intense, les deux hommes avaient décidé de déjeuner ensemble. La qualité du repas et le vin aida ces messieurs à se livrer l’un à l’autre, laissant naître une réelle complicité.

 

         Dix heures, le lendemain matin devant la réception de l’hôtel Concorde.

« …Tout à fait monsieur SMADA ; Monsieur SNIBOR vous attend juste sur votre gauche, au bar de l’hôtel » Comme à son habitude, Arthur arrivait toujours le premier sur un lieu de rendez-vous. En même temps, là c’était facile, il n’avait que les étages à descendre. Pierre entra dans le bar, regarda les sept tables basses noires, puis vit le pianiste assis au fond de la salle dans un gros fauteuil de cuir, noir lui aussi.

- Tu es là, dit Pierre en repérant son ami.

- Oui, je n’aime pas me mettre près d’une entrée. Dans un endroit où l’on se sent bien, il n’y a pas de raison de s’asseoir près d’une issue. Puis, je sais que je ne suis pas près de sortir d’ici. Alors…             

- Que fait Anna ce matin ? S’inquiéta Pierre en s’asseyant.

- Oh ! Ne te fais pas de souci pour elle. Quand elle a su que j’avais des dates sur Paris elle en a profité pour appeler Solange, son amie de longue date. Elles vont donc passer la journée ensemble.

- Et toi, toujours amoureux de ta belle chanteuse de Jazz. Tu sais cette histoire m’a toujours épaté. Je te croyais plus exclusif. Je pensais que pour toi il n’existait que le genre Classique.

- Ecoute Arthur, je sais bien que tu plaisantes mais HOROWITZ, lui-même, était bien "amoureux" d’Art TATUM.

- Ben c’est vrai ; Un point pour toi !

Pierre sortit de sa belle veste noire, tout à fait en harmonie avec le décor, un dictaphone au design futuriste, un de ces instruments de travail favori.

- Prêt à passer au détecteur de mensonge encore une fois, demanda le journaliste.

- Si ma tête ne fait pas la une de Gala demain, c’est ok.

- Ne m’insulte pas ! Moi c’est « Affetto », pas la presse people.

Arthur sortit un cigare de la poche droite de sa veste. A cet endroit, il en stockait souvent trois. Sa ration pour les jours de tournée. Le garçon passa parmi les tables.

« Est-il possible d’avoir une vodka ? S’il vous plait. » « Bien sur ! Et pour monsieur », demanda le jeune homme en s’adressant au journaliste. « Un Perrier, merci. »

Arthur fronça les sourcils.

- Tu es jeune, c’est pour ça que tu fais attention ?

- D’abord je ne suis pas si jeune que ça et puis c’est surtout parce qu’il n’est que dix heures.

- Tu dis que tu me connais bien mais as-tu oublié d’où je viens ? En plus je suis vieux ! Alors après vingt heures, je dors. A ce moment là c’est trop tard pour boire un verre.

Les deux hommes éclatèrent de rire dans le bar. Ils ne faisaient même plus attention au fait d’être discret. Tout un coup, le regard inquiet, le colosse russe se leva, se dirigea vers le mur noir qui lui faisait face et redressa une photo qui à ses yeux n’était pas tout à fait perpendiculaire au sol. « Tu as vu Pierre, Brigitte à l’air beaucoup plus intelligente lorsqu’elle retrouve sa droiture », lança-t-il à son ami en revenant s’asseoir le plus naturellement du monde. La Brigitte en question, c’était mademoiselle BARDOT. En effet l’hôtel avait encadré certains portraits dédicacés de ces illustres clients. La décoration du bar, très sombre, donnait malgré tout un ton intimiste à cet espace.

- Le maestro est il prêt à répondre à mes questions maintenant que le décor est en place ? Demanda Pierre.

- Parfaitement !

- Alors je me lance. 

 

Le journaliste posa le dictaphone exactement à égale distance de son ami et de lui même puis enclencha la touche "record". Pierre aimait ce moment plein de promesses, lorsqu'il interrogeait les personnes.

- Monsieur SNIBOR, on dit souvent de vous que vous êtes un mystique : que pensez-vous de l'attribution de ce qualificatif à votre égard ?

- Rien ! Je crois qu'on dit cela de moi parce que je ne suis pas un bavard. Je n'aime pas beaucoup parler de moi. Cela dit je ne suis pas un insociable sauvage !

Là le pianiste se mit à rire : un rire admirable, comme une poignée de pièces d'or qui tombe.

 

         Par principe et pour ne pas trop déborder du cadre professionnel, Pierre vouvoyait les personnes qu'il interrogeait, même s'il s'agissait d'amis.

- Il y a longtemps que vous n'aviez pas visité notre capitale pour y donner une série de concerts. Vous nous manquiez. Ici le public vous aime !

- Oui, il semblerait que j'entretiens un rapport particulier avec mon public français. Je crois simplement que, comme l'Espagne, vous comprenez bien le genre classique. Il y a d'autres pays ou je vais jouer mais ou cela m'est beaucoup moins agréable.

- Parlons un peu des choix de votre tournée actuelle.

- Oui bien sur. Cette fois il y a deux compositeurs que j'ai évité de mettre au programme : Brahms et Beethoven.

- Ah ! Pourquoi ?

- Parce qu'aujourd'hui je deviens vieux et que Brahms me fait mal aux mains. En ce qui concerne Beethoven, j'avoue, je ne l'ai jamais aimé. En fait je trouve que c'est de la musique de paysan. Puis ce fut quand même le premier radical socialiste.

         Pierre stoppa l'enregistrement. « Tu ne peux pas dire ça. Dis juste que tu n’as pas le son pour les jouer ! Tu sais, même le meilleur des pianistes ne peut pas tout jouer. Il y a une sensibilité personnelle en jeu. Ne l’oublie pas »

« A mon âge ! Tu crois que je ne le sais pas. Non, ce que je viens de te dire, je le pense. C’est la vérité »

Nerveusement, Pierre appuya de nouveau sur la touche « record » de son petit appareil.

« Donc, je vais jouer SCRIABINE, CHOPIN puis SCHUBERT, continua le pianiste comme s’il n’y avait pas eu d’interruption dans l’enregistrement.

- Puis-je vous demander comment vous vous préparez à une longue série de concerts ?

- Je n’ai pas de technique particulière. Si ! Juste une chose : j’essaye dans la mesure du possible de ne rien écouter musicalement. Je m’isole un peu pour trouver ma vérité.

- J’aimerai que vous me parliez de votre parcours de pianiste et des rencontres qui ont jalonnés celui-ci.

- En fait j’ai peu fréquenté les autres musiciens. Mais : un, tout de même, m’a marqué à jamais. C’est Samson FRANCOIS. Il disait ceci : « Je ne mens pas, je vis mon imagination. » C’est formidable cette phrase. J’étais là lorsqu’il enregistra les études de CHOPIN, ici à Paris, salle Wagram. Je me rappelle un soir de concert ou il devait jouer salle Pleyel. J’étais allé le chercher en voiture pour le conduire du Georges V à la salle de concert. Quand je suis arrivé, il n’était pas prêt. En retard comme d’habitude, il regardait un match de boxe à la télévision. Cet homme était la gentillesse personnifiée. Il ne se mettait jamais en colère sauf quand il entendait quelqu’un dire : « Il faut aller se coucher, il est tard. » là, il devenait fou. Il se mettait dans une rage folle, tel un môme. C’est drôle comme parfois les musiciens peuvent devenir excessif, voir caractériels, comme cela, sans raison particulière. Moi même, il m'arrive de perdre le contrôle sur ce que je suis. Quand je ne vais pas bien, par exemple. Dans ces moments là, je suis capable d'être l'inverse de l'homme ordonné, que je suis habituellement. Cela à lieu souvent en hiver. Alors, je jette des chaussures dans les lampes, je répands du linge à terre, le sol et les meubles sont jonchés d'objets hétéroclites.  Plus rien n’a alors de sens, c’est ce qu’il faut. Etrangement la liberté créatrice demande beaucoup de privations. C’est drôle, je trouve ça angoissant parfois. Mais c’est ma vie, c’est moi qui l’ai choisi.

- Je crois savoir qu’à la fin de votre récital, vous avez prévu de jouer deux compositions personnelles. Alors, pour vous la composition c’est quoi ?

- Composer, pour moi, c’est partir en voyage, c’est créer l’illusion que je m’embarque pour une destination inconnue, à la découverte… Même si l’on n’aborde nulle part, on n’a pas perdu son temps, puisqu’on a rêvé. En fait avec la composition, je me suis offert un jouet. J’adore ça !

         Pierre avait envie de terminer l’entretien sur cette phrase optimiste, mais non, il fallait une conclusion plus nette, plus grandiloquente, pour un journal comme « Affetto ».

- Arthur SNIBOR ; pensez-vous, à votre âge, mettre un terme à votre carrière ?

- La musique m’amuse encore, vous savez ! En répondant cela, Arthur se renfrogna et dévisagea son ami. Il n’était pas content de cette question. Il la trouvait…rude. « Dès qu’elle ne m’amuse plus j’arrête ! »

Le journaliste fit signe à son ami de son intention de stopper l’enregistrement.

         « Merde, c’est quoi cette question ! » Tonna le musicien. Il surprit deux chefs d’entreprise qui discutaient à la table d’à coté. « Pardon » s’excusa t-il auprès d’eux, « mais mon camarade manque singulièrement de savoir vivre »

Oui, le grand homme pouvait parfois utiliser un vocabulaire moins familier ; à sa guise… « Je suis un homme de presse » argumenta le journaliste. Je ne remets pas en question ce que je pense de toi à chaque fois que je t’interroge. J’informe, c’est tout ! J’ai bien vu que tu réagissais mal mais je me devais de donner une fin à ce travail. »

« Laisse tomber, lança le pianiste. Tu m’entendras encore longtemps, ce sera ta punition. » Les deux hommes se sourirent. Ils n’étaient pas d’accord mais pas fâchés pour autant.

 

« Tu fais quoi cet après midi, Arthur ? »

« Rien de bien intéressant, je rencontre votre président à l’Elysée ou il me remettra la légion d’honneur. Tu vois je sais rester simple… »

« Tu aurais pu m’en parler ! »

« Ah mais je ne le savais pas non plus, avant-hier. Je suppose qu’il y a derrière ça un amour sincère de la musique. Sinon, je ne vois pas ! Je ne suis pas un intime des gouvernants. C’est un milieu que je fuis. Je ne suis pas vraiment un mondain, comme l’était HOROWITZ »

« Ça c’est certain » Les deux hommes commandèrent un café. Ils ne l’avaient jamais remarqué mais leurs entretiens se finissaient toujours autour de cette boisson. La matinée se terminait. Pierre passerait au bureau cet après midi pour retranscrire son entretien. Il devait être publié rapidement, les concerts de Monsieur SNIBOR auraient en effet lieu dans quinze jours.

         Les deux hommes se quittèrent en s’embrassant. Devant l’hôtel, Arthur, seul et massif avait l’air d’être le propriétaire de l’établissement. Il fumait son cigare avec un soupçon de sensualité slave.

        

Pierre rejoignit Marina au Sunset. Elle avait convoqué ses musiciens du moment, pour une répétition matinale. Elle chantait ici le soir même. Pierre salua chaleureusement Robert, un « immigré » corse, qui connaissait tout le gratin du jazz hexagonal. Les deux hommes discutèrent quelques minutes. Ils se connaissaient bien. C’est en effet dans ce club que le journaliste avait rencontré sa belle chanteuse de jazz ; malgré ce que pensait fermement Arthur. Quoiqu’il dise parfois le contraire, Pierre n’aimait pas que le petit monde du Classique.

         Marina répétait en bas lorsque son ami la retrouva. La jeune femme ressemblait à Grace KELLY. On ne pouvait s’empêcher de faire le rapprochement même si la chanteuse était brune.

« Salut la compagnie » dit le journaliste en bas de l’escalier. Personne ne sembla perturbé par cette arrivée soudaine. Les musiciens avaient l’habitude d’être dérangés par les employés du Sunset qui, parfois, venaient réceptionner du matériel ou signer des factures dans la petite salle du bas.

         « Bon, je propose que l’on fasse la pause maintenant » dit la chef de troupe avec légèreté. Après quelques échanges amicaux avec les musiciens, Pierre et Marina quittèrent le Sunset pour aller déjeuner tout près, au diable des lombards. L’endroit était animé, branché mais savait rester convivial. Le couple aimait se retrouver dans des lieus pas trop intimes. Le journaliste et la chanteuse ne vivaient pas dans le recueillement, ils savaient cependant s’accorder des moments bien à eux lorsqu’ils en avaient envie. Marina repris sa répétition en début s’après midi, Pierre retrouva son bureau pour peaufiner la rédaction de son entretien. Arthur, lui était en route pour l’Elysée, serein mais fier. Non pas tant de recevoir un titre honorifique mais plutôt d’être reçu par un président de la république, lui qui n’avait pas pu jouer devant les autorités de son pays des années durant. En quelques sortes, il prenait sa revanche ! Être convié par un président, même s’il pressentait là une manière de se faire valoir, de la part de celui-ci, était un honneur. Le pianiste se ferait un devoir d’être digne de l’invitation. Anna serait présente pour l’occasion. Il passerait la prendre en taxi sur l’avenue Beaumarchais à l’adresse de son amie.

 

         Alors que Pierre terminait le bouclage de l'article, Arthur se faisait épingler l’insigne de la légion d’honneur à la boutonnière. Etrangement les deux hommes pensèrent l’un à l’autre exactement au même moment avec dans le regard une bouffée de nostalgie. Pourquoi ?

 

         - Allo Pierre, oui ce fut une belle réception. Jacques ? Oui il est…sympa. Bernadette par contre, est très slave. Les deux hommes eurent un fou rire à l’évocation de cette vision un peu folle. Marina assise dans le canapé, un peu plus loin derrière son homme riait également à l’écoute des aigus sautillants provoqués par le rire du journaliste. La jeune femme ne connaissait pas bien le couple SNIBOR mais assez bien la carrière du pianiste. Peut être même trop. En effet elle en était devenue une spécialiste. Elle aussi, jeune, avait appris le piano mais juste assez pour bien accompagner sa voix : L’ami de son compagnon était un maître, alors pas de comparaison possible. Marina aimait Pierre, elle aimait ses amis. Feuilletant un magazine qu’elle avait pris sur la table basse elle regardait l’homme qui partageait sa vie. Elle le trouvait beau et se sentait fier de lui, confiante. Pierre se tourna vers elle, lui adressa un sourire et raccrocha le téléphone. Il retrouva Marina sur le canapé, puis l’embrassa.

- Arthur à l’air en forme en ce moment. Il nous propose de diner ensemble un de ces jours avec Anna.

- Oui, c’est une bonne idée, avec plaisir. On ne les voit pas assez souvent tout les deux.

 

         Début de matinée, un taxi dépose Monsieur et Madame SNIBOR ainsi que Jack SMILES devant la salle Pleyel. Hubert MARTIGNY riche industriel français propriétaire de la légendaire salle de concert accueil le grand pianiste pour la première répétition. Il y en aura cinq avant la date du récital. Au programme, CHOPIN et SCRIABINE. Le vieil homme a toutes les notes en tête au moment ou il franchit l’entrée des lieus. Comme une obsession ! Il ne pense qu’à ses doigts et au clavier. Chaque phalange a pour lui la puissance d’une main à elle toute seule et en même temps, parfois, son jeu doit être le plus doux possible. On ne devrait presque pas l’entendre mais l’imaginer.

Pourtant lui, le slave, n’était pas forcement quelqu’un de discret, bien que l’on puisse s’y tromper. En effet sous cette carcasse massive se cachait un homme réservé, presque pudique mais qui aimait bien trop la vie pour la vivre enfermée. Alors, il forçait un peu le trait, l’ami Arthur. Cet humour quotidien, cette assurance distinguée, ce coté, parfois, grande gueule, c’était une sorte de jeu. Dans son pays, il avait souffert. C’était un peu son graal : Les présidents, Pleyel, le Carnegie Hall. Tout cela n’était pas arrivé par hasard. Du travail et de la rage, voila ce que c’était.

         « Une coupe de champagne avant de vous installer au piano, Arthur ?»

« Non, merci ! Dans ces cas là je ne bois qu’après, si j’ai été bon » dit le pianiste.

« Bien, je vous laisse alors tous les trois et vous souhaite une excellente répétition » Hubert MARTIGNY s’éclipsa discrètement pour régler quelques affaires administratives dans la pièce d'à coté. Il avait l'air d'un autre siècle, ce Monsieur Hubert ! Arthur fit le tour du piano, comme un homme amoureux regarde sa femme lorsqu'elle porte une belle robe. Cela fit rire Anna. Elle en avait l'habitude depuis maintenant plus de quarante ans et pourtant elle s’amusait chaque fois de cette attitude. Anna et Arthur s’étaient rencontrés lors d’un enregistrement des lieder de STRAUSS. Tous les deux s’étaient retrouvés sur la même exigence d’une musique à la fois très élaborée mais qui touchait l’âme, simplement. En Russie, le couple vivait éloigné du monde, à Londres, non ! Là, les époux paraissaient plus sociables, moins rebelles.  Encore que… Parfois la Reine mère en prenait pour son grade.

 

         Madame SNIBOR était une petite femme toute en élégance. A la voir, presque fragile, on se demandait comment elle avait pu être chanteuse lyrique aussi longtemps sans que son timbre de voix ne s’altère vraiment.

         Son mari, alors qu’elle et Jack SMILE se trouvaient assis un peu en retrait, regardait maintenant sous le piano mais plus particulièrement sous chaque touche du clavier. « C’est bon ! » dit-il « Elles sont toutes là, je vais pouvoir m’y mettre » Le grand pianiste ritualisait toujours un peu ses répétitions afin de masquer un trac terrible qui le faisait presque fuir avant chaque entrée en scène. Après, il partait pour un autre monde ; de lui seul connu. Cette manie se faisait encore plus présente depuis qu’il avait eu ses problèmes d’arthrose quelques années plus tôt. Il redoutait que cela le reprenne un jour. Le Musicien regarda Jack du coin de l’œil. L’accordeur n’avait pas besoin de signes supplémentaires pour comprendre que c’était son tour. Il se leva silencieusement pendant qu’Arthur prit sa place ; s’installa sur le tabouret devant le clavier et se mit à jouer magnifiquement en utilisant toute l’amplitude et la subtilité du maître. Pour tester le piano, jack jouait presque comme Arthur. Evidemment non ! Mais l’espace d’un instant on aurait pu le croire. C’était ébouriffant. Il s’agissait presque d’une forme de mimétisme. Après une envolée de notes fulgurantes qui l’avait transformé physiquement pendant quelques secondes, l’américain stoppa net son jeu, redevint impassible, se leva de façon un peu maniérée, regarda Arthur, puis dit fermement « ok » L’instrument était fin prêt. S’ensuivi deux heures et demi d’une musique pure, brutale, élevée, romantique, féroce, aérienne, passionnée, sensible, audacieuse et sensuelle. Voici ce qu’il avait de plus, le vieux musicien slave ! Ce jeu n’était pourtant rien d’autre que celui d’un homme, oui, mais d’un homme fier. Un homme qui avait su mettre de la vie dans son style ou bien l’inverse.

 

         Deux répétitions succédèrent rapidement celle-ci. Même accueil d’Hubert MARTIGNY toujours un peu snob et étrangement décalé. Toujours également ce mot « ok » à la fin du travail de préparation de ce merveilleux BOSENDORFER au son si ouvert. Puis toujours ce même jeu magnifique du maestro. Seul changement notable, il se lisait une véritable angoisse sur le visage d’Anna. Une ride d’habitude, peu apparente lui barrait le front. Pourquoi ?

         Parce que la chambre d’hôtel du concorde Lafayette avait été témoin de nuits difficiles ces derniers jours. Des absences avaient réveillé le musicien. Oui parfaitement : des absences ! Lui qui répétait inlassablement les notes de son récital, même la nuit, rêva deux fois de suite qu’il en oubliait. Cela le réveilla en sursaut. Anna à chaque fois avait tenté de trouver des mots réconfortants mais le plus ennuyeux était qu’il ne s’agissait pas que d’un rêve. Le pianiste le comprenait bien, que faire ? Cela lui donnait l’impression qu’on le dépossédait de sa vie. Comme si quelqu’un d’autre, chaque soir venait lui piquer quelques notes au hasard dans son récital.

         « Anna, j’espère que ça ne va pas durer parce qu’à ce rythme là, le soir du concert je ne serais capable que de ne m’acquitter que de trois notes. »

 

         Dans deux jours Arthur jouerait salle PLEYEL. C’était l’heure de la dernière mise au point. Le taxi d’Arthur stoppa sa course devant un immeuble du onzième arrondissement. « Attendez-moi là deux minutes » précisèrent le pianiste au chauffeur. Il monta les cinq étages qui le menèrent à l’appartement de Pierre et Marina. Il toqua énergiquement à la porte. La jeune femme apprêtée et pétillante ouvrit et embrassa chaleureusement le musicien. Pierre, juste derrière, s’était lui aussi mis sur son trente et un. L’occasion était rare ! Tous les deux étaient invités à la dernière répétition du Maitre. C’était un fait exceptionnel ; il n’invitait jamais personne. Aujourd’hui, il offrait donc un présent extrêmement précieux à ses proches. Oui mais pas seulement ! Il y avait quelque chose de tragique dans ce don. Tous les trois remontèrent dans le taxi qui les déposa devant l’un des restaurants russes les plus fameux de la capitale. Là les attendait déjà Anna et Jack. Le repas fut copieux et bien arrosé. Puis plus tard la salle PLEYEL ouvrit ses portes à ce joyeux « quintette ». Pierre et Marina entrèrent les premiers, suivis d’Anna et de Jack ; Arthur ferma la marche. Tout rouge, il avait l’air renfrogné. Les autres pensèrent qu’il se trouvait dans cet état à cause de la boisson. Non pas lui, pas un slave ! En fait il était inquiet. Toujours cette peur panique d’oublier des notes. Enfin ; de toute façon il avait prévu un stratagème en cas de pépin. Un peu extrême, peut être mais terriblement efficace. Il salua le propriétaire des lieux avec lequel il échangea quelques mots rassurants, puis rejoignis ses hôtes dans la salle qui lui était réservée. Pierre admirait le piano qu’il trouvait magnifique, Marina rêvassait, assise. Elle s’imaginait grande concertiste devant ce clavier. Jack un peu plus loin regardait Marina avec envie. Il la trouvait très belle et ne parvenait pas à détacher son regard de son visage. Anna quant à elle redoutait la soirée du lendemain mais aussi cette répétition. Arthur passa devant tout le monde, affichant un large sourire, puis s’installa sur le tabouret devant le piano. De dos, il était impressionnant, on avait l’impression de voir toute sa concentration traverser ses omoplates. Il leva lentement ses deux bras, puis lorsqu’ils retombèrent sur les touches, ce fut une avalanche de notes. On avait même parfois l’impression que cet homme était doté de quatre mains. Puis soudain un silence féroce, violent, puis un mot : « merde ! » Puis les bras retombèrent sur le clavier en s’écrasant violemment. Autour du musicien ce fut la stupeur. Chacun se regardait sans savoir que faire. Le vieil homme s’effondra. Il sentait venir ce moment difficile depuis déjà quelques jours. Mais juste avant son premier récital, il ne l’avait pas prévu. Arthur leva la tête et jeta un regard gêné à ses proches :  "Je suis désolé : vous pouvez me laisser seul quelques minutes ! Je vous retrouve tout de suite, dans l’autre salle à coté"

 Anna sortit plus contrariée que jamais. Les autres la suivaient, peinés. Arthur isolé dans cette pièce assez spacieuse ressemblait à une fourmi, coincée dans un aquarium. Il sortit de sa poche droite, celle de son manteau, un petit boitier noir qu’il déposa délicatement à l’intérieur du piano. Dans l’absolu cet objet n’avait aucune utilité. Arthur s’assis de nouveau devant le clavier puis joua ; joua mieux que jamais tout son récital. Derrière la porte, les quatre invités ne le croyaient pas. Pierre était tétanisé de bonheur. Jack regardait toujours Marina avec insistance alors qu’elle, s’en moquait. Quant à Anna, son mari jouait tellement bien que cela lui faisait peur. Son homme était excessif, elle le savait. Elle craignait le pire pour la soirée du récital. Anna devait y être présente : elle lui avait juré de l’aider jusqu’au bout en cas de difficultés. Elle regrettait déjà profondément de s’être engagée sur ce terrain. Pour l’instant tout le monde écoutait les notes courir, pleurer, rire, vivre, mourir, s’entrechoquer. C’était merveilleusement beau et agréable. Pierre en frissonna. Il était à la fois en communication avec la musique et pensait à sa compagne ; à l’amour qu’il partageait avec elle. Le journaliste était fier d’être un proche des SNIBOR. Puis de nouveau : le silence.

         Le musicien ouvrit la porte. Il semblait ravi de ce qu’il venait de produire même s’il savait que le risque d’oublier restait présent. Avoir des absences en public mettrait fin à sa carrière de façon certaine. On pardonne aux musiciens, juste bons, de ne pas bien jouer pour un soir mais jamais à ceux arrivés à ce niveau d’exigence. Pourquoi ? Peut être parce que l’humain veut croire aux héros.

 

        

         Anna, beaucoup plus petite que lui, sert son vieil homme entre ses bras. L’accordeur, la jeune chanteuse et le journaliste sont tout près, silencieux, émus, au bord des larmes, presque mal à l’aise. Comme on peut l’être à la sortie de certains films aux images « chocs ». Tout ce petit monde quitte la légendaire salle de spectacle en saluant, devant l’entrée, Hubert MARTIGNY. Puis le petit groupe décide d’aller boire une vodka boulevard Saint Germain pour, soi-disant, fêter cette ultime répétition. En sortant il croise Judith MAGRE élégamment vêtu d’un manteau de fourrure. C’est une habitante du quartier. Arthur s’approche d’elle et la salue respectueusement. Elle semble touchée. Ils échangent quelques mots. Les autres n’entendent pas, ils traversent la rue pour le retrouver. Le temps qu’ils s’approchent, la comédienne est partie. « Tu la connais ? » demande Anna à son époux. « Tu sais qui sait ? » questionne Pierre à son tour. « Oui, c’est Judith MAGRE ! Pourquoi vous me demandez ça ! C’est parce que je suis russe ? On n’a pas le droit de connaître Mademoiselle MAGRE ? Non je blague. Je ne la connais pas depuis longtemps. Nous avons été présentés par le président CHIRAC, la semaine dernière, c’est tout. Alors, nous échangions quelques banalités, la vodka ça désinhibe »

La femme du pianiste haussa les épaules. Quelques minutes plus tard, les uns et les autres se séparèrent. « A demain pour le grand soir », hurla monsieur SNIBOR au milieu de la rue. Puis il serra le bras de sa femme avec tendresse mais brusquement « Si demain ça se passe mal, on fait comme on a dit ! », insista Arthur. Elle comprenait ce que signifiait cette phrase prononcée par son époux mais espérait secrètement ne pas en arriver là.

 

         Samedi matin, réveil difficile à l’hôtel Concorde.

- T’as encore mal dormi mon chéri.

- Oui, les notes disparaissent toujours la nuit.

- Bon détend toi. Tu sais ce n’était qu’un rêve.

- Oui, tu as raison. Après tout, ce soir cela se passera surement très bien. En même temps, tu sais que je n’aime pas vraiment les soirs de concert.

- Je sais ça fait quarante ans que tu me dis cela. Je n’ai toujours pas compris, pourquoi ?

- C’est très simple ! Ces jours là il faut se raser et ça m’agace.

 

         Anna et Arthur quittèrent tôt l’hôtel ce mardi. Ils avaient envie de profiter un peu tous les deux de la capitale française. Pas forcement pour y jouer les touristes mais pour arpenter les grandes avenues, la main dans la main, comme s’ils avaient encore vingt ans et un avenir plein de promesses devant eux. Il ne fallait pas non plus que le couple s’attarde trop. Le récital ne commençait qu’à vingt heure trente mais Jack et le pianiste avaient rendez-vous bien avant, sur la scène de cette grande salle parisienne pour y préparer le piano, l’accorder mais également en prendre possession, le dominer ; bien que souvent ce fut le contraire !

 

         C’était l’heure. Le tout Paris prenait place à l’intérieur de la salle de concert dans un brouhaha bien anodin. C’était le moment que le musicien préférait pour jouer les voyeurs en fond de scène. Jack SMILES était là aussi partageant les émotions de son patron.

« Jack !  Vous savez » dit Arthur, « quand j’arrive là, proche du moment où je dois entrer en scène, je rêve de la panne de courant »

- C'est-à-dire ?

- C'est-à-dire que je souhaiterai jouer sans lumières. Pour qu’il n’y est que le son à entendre. Moi, on s’en moque !

- Vous avez tort. On vient vous écouter parce que c’est vous. Vous avez un vrai Charisme, une « gueule », comme on dit.

- Oui, une tête de vieux qui perd la boule.

Le concert débuterait d’ici deux ou trois minutes. Hubert MARTIGNY vint saluer et encourager son illustre invité.

         C’était l’heure. La lumière se tamisa, la petite phrase de rappel concernant l’extinction des portables fit son petit effet. Puis de nouveau on ralluma la salle sous les applaudissements du public. Au deuxième rang, derrière un ministre et de hautes personnalités du monde de la culture, se trouvait assise Anna ; elle pleurait entre Pierre et Marina qui ne s’en rendaient pas compte. Lui griffonnait quelques notes sur un carnet quelconque, pour le compte du journal AFFETTO, puisqu’il était là en tant que critique. Elle ; regardait la scène avec l’envie d’être à la place d’Arthur. Juste pour un soir. Ce soir, par exemple !

Arthur traversa l’espace scénique, sobrement vêtu d’un superbe smoking et de souliers vernis qu’il détestait. Il prit place sur le tabouret. Le public retient son souffle, comme si tout d’un coup un ange allait tomber du ciel ou bien un trapéziste se lancer dans le vide. Puis les mains du pianiste effleurèrent le clavier pour le nocturne Opus soixante deux, de CHOPIN. Ce fut un moment merveilleux, magique. On avait l’impression qu’à travers son jeu très moderne et puissant, Arthur nous racontait l’histoire des dictatures de l’Est. D’ailleurs il semblait délicat et audacieux de débuter un récital par une tel œuvre. Dans la salle, le public savait qu’il assistait à un concert d’exception. Arthur enchaina avec la Piano sonata numéro deux de SCRIABINE, morceau à l’introduction rapide. Les doigts du musicien semblaient se dissocier de son corps, comme s’ils avaient une vie autonome. Cela paraissait incroyable. Puis soudain, une, deux, trois fausses notes. Anna regarda Pierre longuement, puis Marina. Tous les deux comprirent que quelque chose se jouait à cet instant précis, au delà de la stupéfaction des spectateurs. La femme du pianiste pressa fortement son sac à main, qu’elle avait gardé sur ses genoux. Puis une détonation retentit sur la scène. La foule assise, se dispersa violemment en désordre alors que le musicien sur scène se trouva projeté à terre. Il s’agissait d’un attentat ! Arthur SNIBOR venait de mourir. Aucun blessé n’était à constater. Marina, Pierre et Anna se retrouvèrent devant l’entrée à l’extérieur de la salle de concert. Ils étaient effondrés. Il s’agissait d’un acte incompréhensible. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes avec une voix tremblante qu’Anna pu avouer qu’elle savait ce qui allait se passer ce soir, et, quand, précisément.

« Je ne voulais pas » dit-elle. « Mais le génie exige parfois des sacrifices » Elle détailla alors les faits.

« Vous savez à quel point Arthur était un technicien exceptionnel. Bien évidemment, il était plus que cela. »

« Vous avez raison Anna » approuva Pierre. « C’était le meilleur »

         Marina un peu en retrait était bien trop émue pour ajouter quoi que ce soit.

« Oui, eh bien cette exigence au quotidien fut, ces derniers temps, troublée par des problèmes de mémoire que rencontrait régulièrement Arthur lorsqu’il jouait. Il lui arrivait parfois de ne plus savoir quoi faire de sa main gauche, par exemple.

Or il haïssait ces moments qui le dépossédait de son art. C’est pourquoi il avait pris la décision, il y a quelques jours lors d’une répétition à Pleyel, de déposer une bombe à l’intérieur de son piano. Au début il ne m’a rien dit, puis il m’a mise au courant peu après. » « Ecoute » m’a-t-il dit. « Si je ne peux plus jouer je préfère mourir. Alors j’ai piégé mon piano ». « Je lui ai répondu que c’était idiot, pensant ou plutôt, espérant qu’il plaisantait. Mais non j’ai lu dans son regard sombre que c’était bien cela qu’il voulait. Il m’a ensuite donné une sorte de petite télécommande, je crois que je n’en ai pas compris l’importance. L’objet ne me semblait pas dangereux » Il a ajouté : « Le soir du premier récital, si tu me vois froncer les sourcils parce que je sens que je vais oublier une note, tu appuis fort sur le petit bouton jaune au centre » « Voilà, vous savez presque tout. Je me suis promené quelques jours avec cette télécommande au fond de mon sac à main. L’angoisse ne me quittait plus mais j’avais l’impression d’être simplement en train de vivre un mauvais rêve. Je ne pensais pas avoir le courage d’appuyer sur le bouton. D’ailleurs, même en le faisant ce soir lors du concert, je savais que j’allais être l’actrice d’une tragédie mais je ne pensais pas tuer mon mari. Je souhaitais simplement qu’il cesse de souffrir. Je crois qu’il aimait plus la musique que moi ! »

« Je ne crois pas », dit Marina. « C’est tout de même à toi qu’il a demandé de le tuer »

 

 

 

 

 

 

 

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