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Ma dernière petite nouvelle...

Ma dernière petite nouvelle...

Published Aug 16, 2021 Updated Aug 16, 2021 Culture
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Ma dernière petite nouvelle...

Déraison sociale

 

Au moins un soir par semaine, et cela depuis plus d’un demi-siècle, John Sick échangeait avec un spectateur qui Lui exprimait son plaisir d’auditeur.

«… la contrebasse c’est vraiment un instrument magnifique. L’objet est beau et, quelle sonorité !! Quelle chance vous avez de pouvoir en jouer »

Un ami musicien, qui se trouvait, plus tôt, dans la soirée dans un petit club d’à coté, était venu saluer son ami John.

« Tu as entendu ce que viens de te dire cet homme. Je crois que la contrebasse comme le violoncelle appellent à des commentaires de ce genre : bien avant que l’on parle de l’interprète et de ses qualités »

« Oui c’est vrai et c’est un avantage ! Au moins tu ne prends pas la grosse tête ! Tu sais que tu sers ton instrument et non pas le contraire…»

Le groupe s’afférait maintenant à retirer les quelques câbles et le petit matériel qui traînaient encore sur la scène. Les spectateurs n’étaient déjà plus dans la salle. Ce soir le concert avait été bon. Chacun des membres du trio se le disait, modestement. Les 3 amis, pour se féliciter pudiquement, parlaient de la qualité d’un son homogène, de mesures où ils butaient parfois en répétitions et qui ce soir avaient été jouées avec fluidité. Puis, quelques blagues sur les musiciens ou des anecdotes savoureuses sur de grands noms du jazz, ponctuèrent ce rangement qui touchait à sa fin.  

« Hey Bob, il est temps d’aller trouver le patron » dit Clyde.

Pour ce qui concernait les cachets des concerts dans les petites salles, la tâche revenait toujours à Bob. D’abord parce qu’il était l’homme le plus sociable du trio mais aussi et surtout parce que son honnêteté légendaire en faisait la personne la plus à même de redistribuer justement les sommes perçues pour le groupe.

Une porte entrouverte se trouvait derrière le bar. Bob y toqua.

« Entre, Bob ! Vous avez terminé ? Bravo pour ce soir, c’était vraiment chouette. Donne-moi deux minutes. Je vous retrouve dans la salle »

« Ok Giovanni ! »

Le patron du Peacock était Italien et amoureux du jazz depuis tout petit. Le club était déjà celui de son père. Gamin, il écoutait les grands du jazz pour qui Roberto avait une admiration sans bornes. La musique américaine fut l’un des socles de l’intégration de la famille Tozzini et, permis à ses membres de vivre honorablement dans un certain confort sur cette terre au pouvoir attractif.

« Bon les gars… On ne va pas se quitter sans boire un verre de mon traditionnel petit rhum arrangé ». Giovanni souhaitait toujours partager un moment chaleureux avec les musiciens qu’il programmait. Il arriva vers le trio et installa sur une des petites tables du club, tout ce qu’il fallait pour délier les langues ! L’ami de John participa également à ce moment convivial où furent évoqués les débuts de carrière de chacun. Pour certains, cela ne datait pas d’hier, ces messieurs approchant tous les 70 ans et même pour quelques uns, les avaient déjà légèrement dépassés. À cet âge Giovanni n’avait aucune envie de passer la main. Son club il le bichonnait, ainsi que ses clients à qui il proposait une programmation de haute volée. Dans son établissement c’était lui le programmateur. John Sick, avait le même âge que Giovanni et avait eu la chance de connaître Roberto lorsqu’il avait vingt…vingt-cinq ans ? Il ne se souvenait plus très bien ! Ce qu’il savait en tout cas c’est que le propriétaire du club de l’époque avait eu le courage de programmer de jeunes musiciens peu connus pour leur mettre le pied à l’étrier. Giovanni faisait la même chose régulièrement. Générosité génétique ?...

Le temps passait si vite entre amis. Il était tard ! La vie des musiciens c’était parfois cela… Pour ce trio ce mode vie était devenu une habitude depuis bien longtemps. Il s’agissait de la rançon du succès mais pas seulement. Au début de leur vie de musicien professionnel Bob, Clyde et John s’étaient couchés tard mais pour avoir l’occasion de jouer souvent afin de s’assurer un revenu correct. Ils n’en n’étaient Plus là !

« Bon. Tout le mode au lit, maintenant ! » dit Giovanni en riant. Quelques minutes plus tard ces messieurs se firent leurs adieux, jusqu’à la prochaine fois, sur ce petit bout de trottoir de la cinquante deuxième rue de New-York.

Il était toujours impressionnant de voir John ranger sa contrebasse dans son véhicule à la sortie d’un concert. On aurait dit qu’il transportait un corps mort. Pourtant entre sa main, sur une scène, l’instrument semblait tellement vivant !

Pour sa part, lorsque Bob rangeait sa batterie on avait l’impression qu’il venait de dévaliser un magasin de bricolage.

Le seul qui pouvait partir en un clin d’œil était Clyde. C’est d’ailleurs ce qu’il fit. Toujours le premier rentré ! De toute façon le pianiste n’aimait pas vraiment le contact avec les autres : hors de sa vie familiale, professionnelle et de la fréquentation de quelques amis proches. Après  un peu plus d’une heure de route il arriva chez lui à Belmar, dans le New-Jersey. C’était une petite ville en bord de mer dont le nom, d’ailleurs, signifiait « Belle mer » et venait de l’italien. Clyde s’y était installé il y a bien longtemps. À l’époque les enfants étaient encore à la maison. La demeure du musicien était spacieuse et bien protégée. Le portail s’ouvrit. Le pianiste entra chez lui, déposa les clés sur une commode de bois précieux. Sa femme devait dormir à l’étage. Il la rejoignit rapidement. Ce soir il était vraiment fatigué. Il se sentit soudainement vidé physiquement. Sa femme à ses côtés, couché, il pensa qu’en vieillissant il ne perdait rien de sa passion pour la musique mais que son énergie était de plus en plus difficile à maintenir sur une longue journée. D’ailleurs le mot « maintenir » lui signifiait qu’il devait faire des efforts, ce à quoi il ne songeait absolument pas encore deux ans auparavant. Clyde s’endormit quelques minutes plus tard en se jouant mentalement  Peace Piece, un morceau composé par le pianiste Bil Evans.

John conduisait encore à cette heure tardive. Il aimait rouler de nuit et en avait l’habitude. Les longues distances faisaient partie de sa vie. En tant que musicien il avait sillonné les Etats Unis, de long en large pour jouer dans les grandes villes mais aussi les toutes petites. Se déplacer sur des centaines de miles  était courant, ici, Encore une heure et il arriverait chez lui, à Philadelphie. Issus d’une famille bourgeoise et cultivée John avait choisit cette ville parce-que l’histoire et l’art y avaient une place importante. Il avait besoin de sentir cela au quotidien. Dans sa voiture il écoutait un extrait d’un album de Jonas Kaufmann, consacré à Puccini. Pour lui en musique, il n y avait pas de clivages. Il était contrebassiste de jazz mais pouvaient apprécier différents genres musicaux et notamment le classique. Le musicien avait toujours considéré le cloisonnement comme quelque chose d’ennuyeux. John avait d’ailleurs derrière lui une longue carrière, riche d’expériences musicales diverses, en cohérence avec sa façon de voir la vie : comme une bulle de partages dans laquelle on entrerait à sa guise. Pour finir son trajet en beauté et après Puccini, il entendit à la radio un morceau où jouait le contrebassiste Slam stewart se termina au moment exact ou il entrait à « philly ». Il faisait bon cette nuit, même à cette heure tardive. Le musicien arriva avenue wynnefield. La maison datait des années 30. Elle était assez haute et ressemblait à une de celles peintes par hooper. L’intérieur y était très fleuris et gai. Sa femme adorait y travailler. Elle écrivait des livres pour enfants. Ce soir tout comme la femme de Clyde, elle dormait. Barbara avait laissé son carnet près d’elle sur une petite table. Elle écrivait plutôt le matin mais lorsque son homme avait un concert elle aimait aussi en l’attendant, même si elle savait qu’elle dormirait avant son retour, griffonner quelques notes pour faire avancer ses histoires ou trouver des idées pour d’autres.

Bob, le plus jeune des membres du trio vivait à Beacon Hills, un quartier de Boston. Il était assis dans son confortable canapé beige. De retour du concert depuis déjà un bon moment il n’avait pourtant pas envie de dormir. Il savait la chance qu’il avait de jouer avec John et Clyde. Le groupe qu’il formait avec ses deux amis avait une réputation qui dépassait le milieu du jazz. Il en était fier et ému  ce soir encore. Bob n’oubliait jamais qu’il devait tout à ses parents, des gens simples et bons qui avaient tout fait pour qu’il réussisse. Lorsqu’il avait eu la chance d’entrée à la Juliard School il s’était donné corps et âme pour devenir un excellent musicien, ce qu’il était aujourd’hui. Il jouait avec tout le monde, tout le temps et dans des univers très différents, même si le public l’avait identifié comme l’un des grands noms du jazz. Veuf  et sans enfants il donnait régulièrement du temps à une association de quartier pour aider les gamins en difficultés.

Le jour se leva et le soleil rependit sa lumière sur tous les Etats d’Amérique. Les membres du trio se réveillèrent tard. Ils ne se reverraient pas avant une quinzaine de jours. Dans l’intervalle, Bob et John auraient un planning très chargé. Seul Clyde pourrait prendre du repos. Depuis des années chaque fois que ces périodes d’inactivité professionnelle se présentaient, le pianiste en profitait pour s’imposer une sorte de retraite mystique, chez lui où ailleurs. Cette fois ce serait chez lui. Clyde aimait peu l’humanité à vrai dire ! La plupart du temps il trouvait les rapports humains difficiles, irritants, faux. Lorsqu’il s’installait au piano, il avait le sentiment d’être enfin à sa place. Évidement cette manière d’être en retrait d’un quotidien que tout le monde subissait, lui valait une réputation exécrable, d’autant qu’il pouvait être parfois hautain lorsqu’il jouait en solo dans certaines grandes salles, plutôt réservées au genre classique. Il lui était arrivé de quitter un lieu de concert seulement quelques minutes après le début de celui-ci parce qu’il trouvait le public peu attentif à son jeu. Cela n’arrivait jamais lorsque Clyde était accompagné. Il y avait une explication à cela ! Lorsque le pianiste jouait seul, son répertoire et son jeu étaient proches du classique. Clyde était connu pour ça. Musicalement il faisait l’unanimité  à la fois, auprès des amateurs de jazz et de ceux du classique. Petit, le pianiste souhaitait être concertiste mais la couleur de sa peau en avait décidé autrement. Sa légitimité de musicien classique avait été conquise, dans un premier temps, sur disque puis par la suite s’était forgée, sur le long terme, grâce à des producteurs courageux qui lui avaient proposé des concerts. Mais, non, jamais il n’aurait été appelé pour jouer avec un orchestre. Pourtant son talent dans ce registre ne faisait aucun doute. Pas de place pour les pianistes concertistes noirs, Clyde avait très vite compris cela. Ce constat accablant le mettait dans un état de stress énorme lorsqu’il avait l’occasion de réaliser son rêve, même sans orchestre. Ainsi, lors de ce genre de prestation l’artiste souhaitait atteindre une sorte de perfection. Elle devait l’être grâce à sa technicité irréprochable mais aussi venir du public qui était sensé accueillir totalement sa musique. Cette Symbiose, pensait il, légitimait sa douleur de ne pas être totalement ce qu’il aurait dû être. Ainsi, tout bruit dans le public pouvait enrayer son processus de résilience. Dans ce cas le comportement du musicien pouvait être inapproprié mais, par peur plus que par égocentrisme. Dans ces moments-là une tension intérieure menaçait Clyde  d’un malaise.  Les musicien savaient cela, le public non averti, pas forcément. Néanmoins cela en faisait un homme difficilement fréquentable. Mais la souffrance du pianiste lié au racisme cachait d’autres histoires dans le monde du jazz. Les blancs eux aussi avaient eu parfois leurs difficultés à intégrer, non pas le monde du classique mais celui du jazz. John en avait fait les frais dans sa jeunesse. Il savait jouer tous les styles mais ne trouvait aucun engagement auprès « d’orchestres noirs ». A priori il « swinguait comme un blanc », c’est-à-dire peu ou mal…Pendant des années le jazz fut une musique de noirs. Bien sûr quelques blancs étaient devenus célèbres après la seconde guerre mondiale mais en réalité ceux-ci avaient pu se faire une place légitime à partir des années soixante où cette musique prit une voix différente en intégrant plus largement la grande musique européenne et le rock. En attendant ces années là, le contrebassiste avait accepté des petits boulots d’arrangeur ou bien avait créé des musiques pour de modestes compagnies de théâtre. Ce n’est que lorsqu’il avait intégré le groupe de Sammy Sharpe qu’il avait eu enfin la reconnaissance de ses paires, toutes races confondues, ainsi que celle d’un certain public. Sammy inventait un nouveau son en jazz. Peut être même une nouvelle spiritualité ? Beaucoup de musiciens rêvaient de faire partie de cette aventure musicale. À ce moment là, la carrière de John fut lancée et… pour longtemps ! Tout comme Bob il était un personnage incontournable dans l’histoire du jazz moderne. Serait il  devenu aussi célèbre en tant que botaniste s’il avait suivi la voix que lui offrait ses études… peut être ? En attendant c’est sur les réseaux sociaux qu’il animait un blog où son but était de faire découvrir à des lecteurs potentiels, il en avait des milliers : des plantes, fleurs aux formes particulières ou aux vertus insoupçonnées. Le tout, commenté presque scientifiquement mais de manière tout à fait abordable pour un large public. Une pièce de la maison de John ressemblait d’ailleurs à un laboratoire ou une mini serre. Il y avait dans cet espace des trésors : des plantes de différents pays aux formes les plus folles. Barbara venait parfois y faire un tour pour trouver une source d’inspiration. Elle aimait que des plantes bizarres fassent partie de ses histoires. Les enfants adoraient cela. Ils étaient loin de s’imaginer que ces plantes géantes ou aux pouvoirs fantastiques existaient vraiment en version miniature chez leur autrice.

Le portable de Barbara sonna. « Bonjour Barbara c’est Ismael. John est il près de toi ? »

« Bonjour ! Non il est en répétition avec Patrick Rokwell et d’autres musiciens dont j’ai oublié le nom »

« Oui je me doutais bien, puisque son portable est éteint »

La conversation continua aimablement entre Barbara et Ismael, un ami proche, producteur pour un label musical. Celui-ci voulait valider des dates pour l’organisation d’une grosse tournée du trio de Clyde. John rappellerait. Souvent Barbara faisait office de secrétaire pour son époux. Elle aimait ce rôle qui, lui donnait parfois l’impression d’avoir un pied dans un autre processus créatif que le sien.

 

-Salut Ismael.

-salut John. Alors cette répétition ?

-Très bien ! Nous reprenons des standards du rock. L’idée, c’est que nous jouerons des formats jazz de ces chansons, en quartet, avec un orchestre symphonique derrière nous. Il est d’abord prévu un album et certainement une tournée par la suite.

-Ah zut tu me coupe l’herbe sous le pied. Je voulais aussi te proposer une tournée. J’ai déjà appelé Clyde et Bob pour caler des dates…

-Pas de panique Ismael on va trouver une solution.

En répondant, John pensa qu’il était toujours le dernier qu’on appelait. Non pas qu’on n’avait pas besoin de lui mais simplement parce que dans la hiérarchie des instruments la contrebasse n’était pas le premier instrument vers lequel on allait. John avait souvent noté cela. Il n’était jamais convié au début d’un projet, sauf si c’était le sien !  Et pourtant on savait souvent qu’on allait faire appel à lui. Avec humour il pensa que les plus beaux duos du jazz s’était souvent fait avec un piano et. Une contrebasse. Sans fausse modestie, il aurait également pu dire « avec moi ».

Après une âpre négociation les deux amis avaient finit par se mettre d’accord sur dix dates et en annuler une, prévue par le producteur le premier juillet. Ismael était malin, il avait déjà fait ses choix en amont et s’était débrouillé pour orienter John vers ceux-ci. Il n’avait cependant pas prévu que cette fois, le contrebassiste refuserait la dernière date. Cela contrariait un peu ses plans puisqu’Ismael connaissait les salles où joueraient le trio et avait déjà publié la communication de la tournée. Mauvaise idée puisque la date du premier juillet y était spécifiée. Mais surtout cela n’était pas très honnête ! Le planning de la tournée  du trio de Clyde Apletown était déjà visible sur certains sites Internet et une campagne d’affichage déjà lancée. Le producteur savait que les trois musiciens regardaient peu la communication qui les concernait. Il avait donc peu de scrupules à laisser ces informations visibles, même avec une erreur !

La fameuse tournée débuterait dans quelques mois. Les trois hommes se donnèrent rendez-vous virtuellement pour échanger sur les conditions de ces prochains concerts communs. Ils aimaient faire ça après un appel d’Ismael, même si cela ne servait presque à rien. Professionnellement ils se connaissaient par cœur. Non, l’argument était ailleurs. Ils se manquaient ! On ne jouait pas ensemble pendant des décennies sans que cela ne crée des liens particuliers. Les familles des trois hommes avaient compris cela. Dans leurs vies, il y avait des amis puis aussi « les trois frères », comme ils se définissaient.

Sur les écrans de chacun on pouvait voir Clyde en kimono au milieu d’un espace vide presque en position de méditation. Bob tranquillement assis sur son confortable canapé portait un tee-shirt du dernier festival de Montreux avec un jean. John était en chemise blanche, également en Jean mais très « smart ». Il démarra la conversation.

-Salut les gars ! Alors, qu’est ce qu’on joue ?!

Les deux amis rirent. Puis la conversation continua sur des sujets quotidiens : nouvelles des familles, derniers films vus, coups de cœur musicaux du moment… Clyde avait peu quitté sa pièce vide. Les deux autres musiciens en revanche avaient beaucoup bougé. Pas vraiment de questions sur cette tournée mais comme à chaque fois les trois frères firent le point sur les dates même s’ils savaient qu’Ismael, comme habituellement avait coordonné tout cela avec chacun d’entre eux. Hors cette fois-ci ce ne fut pas le cas. Le concert du premier juillet été annulé à la demande de John qui avait une autre obligation à cette date. Pas de soucis mais Clyde et Bob s’étonnèrent tout de même de ne pas avoir été prévenus par le producteur. Un oubli, très certainement. Les trois hommes quittèrent leur réunion heureux de se retrouver rapidement, dans quelques semaines tout de mêmes, pour débuter cette série de concerts.

Clyde retourna à sa méditation. Quant à Bob et John, ils travaillèrent un peu sur un engagement respectif qu’ils avaient à New-York. Le batteur et le contrebassiste décidèrent d’ailleurs que ce jour là ils déjeuneraient ensemble puisqu’ils travailleraient dans le même quartier.

1New York quartier de Manhattan quelques jours plus tard. C’était l’heure de la pause de Bob, il retrouva son ami John au NoMad restaurant. Celui-ci l’attendait à une table de ce lieu très connu des touristes. Même si parfois les deux hommes fréquentaient des lieux très chics ils préféraient ce genre d’endroits à L’ambiance plus décontractée. John était ici aujourd’hui et demain pour sa participation à la bande originale d’un film indépendant qui sortirait l’année prochaine. Bob quant à lui participait à l’enregistrement du premier album de la nouvelle star montante du jazz, la chanteuse Vela Bernstein.

Le portable de John vibra.

-Salut ismael. John semblait tendu.

-Salut John, je ne te dérange pas ?

-Non pas vraiment mais je ne vais pas m’éterniser. Je déjeune avec Bob.

-Ah chouette…

Le producteur ne termina pas sa phrase. Bob face à John sentait son énervement monter.

-Ismael, c’est quoi cette embrouille avec les dates de la tournée. D’habitude si quelqu’un à un problème pour l’une d’entres elles, nous le savons tous avant d’en reparler tous les trois. Là, personne ne savait que le premier juillet n’était pas possible pour moi alors qu’a priori tout l’agenda de la tournée était déjà caler. Je ne comprends pas !

-Oui…Euh je vais t’expliquer. Je traverse une mauvaise passe. J’ai fait des mauvais choix ces derniers temps et je n’ai plus un ronds. 

John savait ce que cela voulait dire. Ismael qui pourtant était l’homme le plus honnête du monde s’était remis à jouer et dans ces cas là, il était capable du pire…

Le producteur expliqua que pour tenter de récupérer un peu d’argent il avait déjà fait toute la campagne de communication du trio avec les dates des concerts, pensant que les gens achèteraient des places bien avant le début de la tournée. Dans L’idée c’était jouable mais c’était la première fois qu’il mentait au trio en négociant des choses déjà faites. John lui demanda de retirer la date du premier juillet, puisqu’il avait compris qu’elle figurait sur tous les supports de communication créés par Ismael. Le producteur Jura qu’il le ferait et, effectivement il le fit.

Les deux amis tentèrent de terminer leur repas sans le gâcher par cet appel malheureux. Puis chacun retourna terminer sa journée de travail en studio. John aimait les concerts mais aussi beaucoup cet aspect de son métier moins spontané ou l’on pouvait reprendre un morceau plusieurs fois jusqu’à l’équilibre souhaité. Sur cette bande originale de film, le contrebassiste avait eu la chance de participer à la composition de différents thèmes. Il en était fier vu l’admiration qu’il portait au réalisateur du film. Bob pour sa part était heureux de voir que Vêla Bernstein malgré son jeune âge avait su s’entourer de très bons musiciens et qu’en studio elle ne trichait pas avec sa voix. Les chansons avaient été travaillées pour cette date. C’était évident. Cette fille était une vraie pro !

De retour à la maison, le quotidien repris le dessus. Un soir alors qu’ils dinaient, John et Barbara reçurent un appel amical de Steve et Anita. Anita expliqua à John qu’elle n’avait pas pu réserver de places pour le concert du trio qui avait lieu le premier juillet ? Le musicien,  embarrassé venait de comprendre que cette fameuse date traînerait encore certainement pendant quelques temps sur internet et les réseaux sociaux. Certes, il était sûre qu’Ismael avait fait ce qu’il fallait pour modifier la communication mais de de nos jours avec l’appui des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, une information diffusée, même fausse, pouvait être lue presque indéfiniment. Fini la scène des vieux films où le riche magna fait acheter toute la presse écrite du jour pour que certaines personnes n’en voient pas, en kiosques, les gros titres qui pourraient les concerner. John véritablement ennuyé par ce problème prétexta une simple erreur d’impression pour expliquer à ses amis leur déconvenue. Le contrebassiste les invita pour une autre date même si, ceux-ci auraient préféré le premier juillet. Bref. L’affaire était close. Steve et Anita viendraient dîner d’ici quelques jours chez John et Barbara.

Unr rumeur enfla sur les réseaux sociaux. En effet les personnes ne pouvant réserver pour premier juillet se multiplièrent et les commentaires liés à cette impossibilité, également. Le lieu qui initialement devait accueillir ce concert fut aussi malmené. Sur Facebook on pouvait trouver par exemple trouver les commentaires suivants :

« Si l’un des plus grands trios de jazz international annule un concert c’est certainement que l’un de ses membres est malade ou trop vieux pour assurer toute la tournée. Ce n’est sûrement pas Bob Lafayette, c’est le plus jeune ! Il nous reste Clyde Apletown ou John Sick. Vous allez voir qu’il y en a un qui a cancer et qui ne veux pas l’avouer » 

Ou alors :

« … Ces salles de concerts qui annulent des programmations parce-qu’elles ont peur de ne pas être rentables sur une programmation un peu pointue, moi je trouve ça pourri »

En bref, les trois musiciens devraient subir pendant un certain temps ces désagréments liés aux erreurs d’Ismael. Les réseaux sociaux adoraient les rumeurs et celle de la maladie d’un des musiciens enfla sans que l’on précise lequel. Parmi les parieurs, John était en tête parce qu’il semblait plus fragile que ses deux collègues. De temps à autre on nommait Clyde également dans la catégorie des cancéreux parce-que sur la toile il était bon d’avoir un scoop même s’il n’était pas vérifié.

Les trois hommes prirent cela avec détachement jusqu’à la date du premier concert au Massey Hall, à Toronto. Le lieu avait accueilli en mille neuf cent cinquante trois, un concert exceptionnel avec entre autres : Dizzy Gillespie, Max Roach, Bud Powell, Charlie Parker et Charles Mingus. Le trio se devait d’être à la hauteur de ces illustrés musiciens. Ce soir, on aurait dit que toute la ville s’était déplacée pour écouter le trio. Adolescents, adultes et personnes âgées occupaient les sièges de la salle de spectacle. Les trois hommes lorsqu’ils jouaient ensemble brassaient souvent un très large public. Cela semblait moins le cas dans leurs  projets individuels où les amateurs étaient plus généralement des initiés. À Toronto, la tournée débutait sous les meilleurs hospices. Le public était au rendez-vous et les trois amis en totale harmonie. Le concert fut superbe. Le lendemain les critiques étaient plus qu’élogieuses et le public présent, rassuré sur la bonne santé des trois hommes.  Même si de cela, l’on ne pouvait être certains simplement qu’en voyant trois individus sur une scène. Étrangement les jours qui suivirent cette soirée les réseaux sociaux n’évoquaient plus de maladie. Les personnes intéressées par la musique du trio n’échangeaient que sur la qualité du concert de Toronto. Elles avaient le sentiment d’avoir vécu un moment d’exception et, c’était vrai.

Le premier concert d’une tournée était toujours important pour faire vivre celle-ci jusqu’au bout avec de bonnes vibrations, si celui-ci était bon et la réduire à une suite de critiques négatives si celui-ci était mauvais. Le trio formé par Clyde se trouvait dans le premier cas de figure et faisait baisser la pression de ces fichus réseaux sociaux. Mais cela ne dura que quelques jours. Un journaliste croyait savoir que John souffrait vraiment d’un cancer et l’information fut diffusée cette fois de manière intensive jusqu’à ce que les pages personnels des trois musiciens furent elles mêmes infestées par cette nouvelle qui n’en était pas une. Même les démentis de John n’y firent rien. Dans le milieu professionnel de la musique on avait également eu vent de l’information, reçue comme une vérité non contestable. Pourquoi ?  On ne peut pas toujours comprendre le besoin humain de diffuser des informations sans y réfléchir et sans les vérifier. Le mal était fait et il serait difficile de s’en débarrasser. Il faudrait l’accepte en tentant d’en limiter les effets.

Hormis cette rumeur incontrôlable, les trois amis vivaient ce moment professionnel intensément et avec un bonheur évident qui se lisait au quotidien sur leur visage, même chez Clyde, qui n’était pourtant pas l’homme le plus démonstratif au monde.

Déjà cinq dates ! La moitié de la tournée rencontrait un franc succès. John, Clyde et Bob fêteraient cela ce soir chez John puisque le concert du jour aurait lieu à Philadelphie. Barbara avait tout prévu et tout le monde serait de la fête. Femmes et enfants seraient heureux de se retrouver. Ils se connaissaient depuis si longtemps…

Le concert débuta à vingt et une heure cinq au Kimmel Centre for the Performing Arts. Ce lieu accueillait de nombreux spectacles mais il s’agissait surtout de la salle où triomphant régulièrement l’orchestre philharmonique de Philadelphie. Le trio était encore en grande forme ce soir, alternant de longues ballades et des morceaux au swingue plus prononcé. Le concert fut encore fois une vraie rencontre avec le public. Les trois amis n’étaient pas avares de discussions courtes avec les spectateurs venus les applaudir. Sans la reconnaissance d’un public, le trio n’existerait plus depuis longtemps. Et ça les musiciens en avaient bien conscience ! Cependant ce soir ils restèrent moins longtemps pour échanger avec leur « fans ». Ils s’en excusèrent auprès de certains mais ils étaient attendus.

Comme à son habitude lorsqu’elle invitait à dîner, Barbara ne ménageant pas ses efforts. Jamais elle n’achetait quelque chose de préparé. Elle concevait elle même un menu qui allait de l’entrée jusqu’au dessert, avec une délicatesse extrême. C’était toujours d’une créativité incroyable. Les trois musiciens arrivèrent tard chez John. Cette belles soirée de retrouvailles fut un beau moment d’émotion qui dura toute la nuit jusqu’au petit matin. On avait l’impression que malgré leur âge toutes les personnes présentes dans cette grande maison avaient encore toutes, leur jeunesse devant elles. Ce n’est donc que le lendemain que chacun rentra chez soin. Femmes et enfants se dire « à bientôt », sans plus de précisions alors que les trois musicien se donnèrent de nouveau rendez-vous à New-York dans 4 jours pour un nouveau concert. Entre temps, repos !

Ce matin John était installé sur le long canapé du salon. Il lisait à voix haute un des derniers livres de sa femme. L’histoire, très amusante, avait plu à certains producteurs et ils avaient eu l’envie de l’adapter en dessin animé. Barbara était enthousiasmée à L’idée de ce projet, et John très fier. Cela serait chose faite d’ici quelques mois. John à sa manière participerait également à ce film d’animation. Pas en temps que musicien mais pour le doublage voix de l’un des personnages, un grand père doux et aimant. Ce qu’il était dans la vraie vie également depuis déjà quelques années. John arrêta quelques instants sa lecture bu une gorgée de café et pensa que sa vie était une jolie réussite dans le sens où tout était en harmonie avec ses souhaits profonds.

Le portable de John vibra.

« Bonjour John, c’est Suzanna, tu vas bien »

« Je suis en pleine forme et toi ? »

« Oui oui ça va mais… »

John sentait de la gêne dans la façon de parler de la jeune femme.

« Je voulais te dire que j’ai pris une décision concernant notre concert pour la fondation. Je vais l’annuler »

John fut surpris.

« Pourquoi ! Quelque chose ne va pas ? »

« Bah tu sais je suis au courant pour toi. Cela doit être dur de gérer ta maladie avec autant de dignité et de continuer à jouer »

Cette fois ce fut John qui eut du mal à s’exprimer.

« Suzanna, tu ne vas pas me croire mais je ne suis pas malade ».

« Je comprends que tu ne veuilles pas en parler mais tout le monde le sait ! »

« Justement c’est un problème que tout le monde le sache, parce que c’est faux ! »

« Comment ça c’est faux ?! »

John expliqua longuement à son interlocutrice l’histoire de la rumeur qui avait enflé sans fondements sur les réseaux sociaux pour aboutir à ce résultat, aujourd’hui. Suzanna fut désolée d’entendre cela. Elle s’excusa et maintint le concert prévu pour la fondation le premier juillet. John et Barbara auraient été malheureux de devoir annuler ce rendez-vous annuel qu’ils avaient avec la fondation pour aider les orphelins. C’était la sixième année que John  participait gracieusement  avec un ami pianiste de Philadelphie, à cette soirée organisée pour récolter des dons pour des orphelinats.

Cet échange avec Suzanna même s’il avait ponctuellement mis fin à un malentendu vis-à-vis de la fondatrice de la fondation, fille d’un millionnaire de la ville, agaça profondément le musicien pour le reste de la journée. Il comprit en effet que ce coup de fil ne serait certainement pas le seul du genre et, il avait raison.

John et Barbara firent front ensemble pour tenter d’enrayer la rumeur mais rien à faire ! Les jours suivants certains concerts du contrebassiste prévus sur le long terme furent annulés pour les mêmes raisons.

Pourtant parallèlement mais étrangement, la tournée continuait avec un réel succès. Les spectateurs au courant de ce qui se disait préféraient voir en John un homme d’un certain âge tentant de se montrer au meilleur de lui-même plutôt que de voir simplement un septuagénaire en forme. Les autres, qui n’étaient pas informés ou qui tout simplement ne se sentaient pas concernés par la maladie d’un musicien, écoutaient le trio presque religieusement tant ils se sentaient transportés par cette musique parfois en apesanteur.  

L’aventure proposée par Israël touchait à sa fin. Elle avait rapproché plus que jamais les trois amis pour deux raisons. La première était le fait que le Plaisir du trio à jouer ensemble sur plusieurs mois était immense tant les musiciens arrivaient à un moment de leur vie où la maturité musicale n’était plus à prouver. Ce serait d’ailleurs certainement l’une des dernières tournées du trio fondé par Clyde. Il le savait et en profitait à chaque prestation. Il donnait tout !  Aussi bien dans la retenue que dans une énergie presque proche parfois du rock. Bob lui savait tout faire ! Il mettait de l’intensité dans son jeu quand il le fallait, devenait doux, presque tendre à d’autres moments et emmenait chaque titre à sa fin avec délicatesse. Ce trio ne faisait qu’un !

La deuxième raison qui avait renforcé le lien des trois hommes était l’adversité. Faire face à la folie des réseaux sociaux devenait une force.

Le dernier concert arriva, nous étions le 30 juin. John avait proposé à Barbara de venir, ce qu’elle aurait aimé, mais elle devait le même jour se rendre à une réunion de travail concernant l’adaptation de sa nouvelle pour le film d’animation. Elle retrouverait donc directement son époux le lendemain au théâtre de Philadelphie pour la soirée de la fondation.

Le contrebassiste venait d’arriver à Baltimore. Ses deux amis l’attendaient déjà au Rams Head Live, en centre ville. Ce n’était pas une grande salle mais l’acoustique et L’ambiance y étaient agréables. Bob, Clyde, et John y répétèrent un peu pour prendre la température du lieu. Le Maryland c’était très bien pour finir une tournée. Ce soir Ismael, quelques proches et des amis seraient spectateurs. L’après concert serait long ! Il fallait fêter dignement la fin de cette belle tournée. C’est d’ailleurs pour ça que John et ses amis avaient décidé de rester à l’hôtel. Sinon John serait rentré à la maison, il n’en était pas si loin, à environ deux heures.

Ce dernier concert fut chaleureux. Le public eut du mal à laisser partir les trois musiciens. La suite de la soirée fut joyeuse et le groupe pardonna ses erreurs à Ismael, même si elles étaient potentiellement à l’origine des rumeurs concernant John. Les trois hommes rentrèrent à l’hôtel tard dans la nuit.

Clyde, Bob et John se dirent un dernier au revoir après avoir déjeuner ensemble au Charleston. John s’accorda une ballade solitaire dans les rues de Baltimore. Il aimait bien faire ça lorsqu’il se déplaçait dans une ville qu’il ne connaissait pas trop. Vers seize heures il prit la route tranquillement pour être en début de soirée à Philadelphie et retrouver Barbara à la fondation. Sur le chemin il mit la radio. C’était l’heure du flash d’information. À la fin de celui-ci on annonçait la mort de John Sick, l’un des plus grands contrebassistes du jazz moderne, des suites d’une longue maladie.

« Merde ! », hurla le conducteur. Il appela Barbara :

« Ma chérie ne t’inquiète pas je vais bien ». L’homme était ému.

« Que se passe-t-il John ? »

« Je viens d’apprendre par la radio que je suis mort il y a quelques heures ! »

« Oh mon chéri je suis désolé, ce doit être encore cette horrible rumeur ?! »

« Oui c’est ça mais on en reparle tout à l’heure. Je te retrouve dans une heure à la fondation »

Le musicien se demanda qui était déjà au courant de sa mort. Il trouvait cela complétement dingue de pouvoir se poser cette question ! Soudainement une voiture qui tentait d’en doubler une autre, le percuta violemment. John ne contrôlait plus son véhicule qui effectua quelques tonneaux avant de finir dans le fossé. Le musicien mourut sous le choc.

Lors de son enterrement quelques jours plus tard, certaines personnes parlèrent encore de son cancer.

 

 

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