

Le vin de Bordeaux, hiérarchie ou héritage : l’envers du verre
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Le vin de Bordeaux, hiérarchie ou héritage : l’envers du verre
C'est cette fois-ci, à fleur de vin que je prends la parole pour l'envers du verre, une série où l’on retourne le verre et voir ce qu’il y a derrière la robe.
Ici, pas de discours convenus, pas de notes figées. Seulement un regard incarné, critique et curieux sur les mécanismes du vin : ses classements, ses concours, ses normes, ses silences.
Je partage ce que l’on ne dit pas toujours. Ce que l’on voit quand on y est.
Hiérarchie ou héritage ? Le vin de Bordeaux face à ses classements
À Bordeaux, les classements sont partout. Ils ornent les étiquettes, nourrissent les conversations, guident les achats, fascinent les amateurs de vin du monde entier. Derrière ces hiérarchies figées ou évolutives , de 1855 à aujourd’hui, se cachent des histoires de prestige, de reconnaissance, mais aussi d’enjeux économiques, de traditions parfois rigides, et de débats passionnés.
J’ai eu la responsabilité de participer à plusieurs sessions de dégustation pour ces classements. Autant dire que je sais ce qu’ils représentent. Je connais l’exigence qu’ils imposent aux domaines viticoles. Je sais ce que l’on cherche dans un verre lorsqu’on évalue un Grand cru classé pour son rang, sa constance, son expression.
Mais derrière les médailles et les titres, il y a autre chose : un vin vivant, un terroir, un homme, une femme, des enfants, une équipe qui doute, une vendange, une année qui surprend. Il y a des vignerons qui innovent, qui sortent des cadres, qui ne seront peut-être jamais "classés", mais qui touchent au cœur.
Alors, que valent vraiment ces classements aujourd’hui ? Ou bien sont-ils devenus une boussole partielle, utile, mais insuffisante pour vraiment comprendre ce que Bordeaux a de plus vibrant à offrir ?
Dans cet article, je vous propose de lever le voile, pour éclairer. Parce que Bordeaux ne se résume pas à une hiérarchie, en fait loin de ça, puisque spoiler c'est plus un héritage qu'il faut savoir protéger et conserver, mais à quel prix et les autres alors, comment faire pour que chaque bouteille mérite un écoute attentive ?
Bordeaux, terre de vin et de réputation mondiale, s’est très tôt posé la question de la reconnaissance de ses crus. Mais face à une mosaïque de terroirs, de propriétés, et de styles, comment structurer une offre cohérente ? C’est là qu’intervient l’idée de classement. C'est vrai que dans cet article j'aurai pu parler de Parker, de spéculation et du Château Valandraud. Mais non : ici, je parle de dégustation. Parce qu’à un moment, il faut aussi se mettre à la place de celui qui achète. Et parfois, ça prend tout son sens… juste en comprenant ce qu’on boit.
Le classement de 1855 : Médoc et Sauternes, l'origine du mythe
Commandé par Napoléon III pour l’Exposition universelle de Paris, le classement de 1855 reste le plus emblématique. Réalisé par les courtiers de l’époque, il repose sur la réputation des châteaux et le prix de vente des vins, ce qui en dit long sur la place du vin dans l’économie bordelaise du XIXe siècle.
Il distingue :
- 61 crus classés dans le Médoc (et un à Pessac) ;
- répartis en 5 niveaux hiérarchiques de Premier à Cinquième Cru ;
- ainsi que 27 crus classés en Sauternes et Barsac, dont le légendaire Château d’Yquem, seul Premier Cru Supérieur.
C’est un classement figé, témoin d’une époque, mais encore utilisé comme référence dans le monde entier. Il participe à la construction du mythe bordelais et à l’aura internationale de ses grands crus.
Le classement des Graves : une reconnaissance plus tardive (1953-1959)
Il a fallu attendre près d’un siècle pour que les vins des Graves soient eux aussi officiellement reconnus. En 1953, puis amendé en 1959, ce classement identifie les meilleurs crus rouges et blancs secs de la région, tous situés dans l’actuelle AOC Pessac-Léognan.
Moins hiérarchisé, ce classement ne comporte qu’un seul niveau, ce qui reflète une autre vision de la qualité : plus horizontale, moins élitiste, mais tout aussi exigeante. Il marque aussi l’importance des vins blancs secs, souvent oubliés dans les grandes classifications, alors qu’ils sont partie intégrante de l’histoire bordelaise.
Le classement de Saint-Émilion : évolutif, vivant, contesté
Créé en 1955, le classement de Saint-Émilion est unique en son genre : il est révisé tous les 10 ans environ, sur dossier, dégustation et critères techniques. Il distingue :
- les Grands Crus Classés ;
- et les Premiers Grands Crus Classés, eux-mêmes parfois subdivisés en A et B.
C’est un classement qui bouge et qui valorise le dynamisme et la constance de qualité, mais qui a aussi connu son lot de controverses, de retraits, de recours juridiques… Symbole d’un territoire passionné, où la classification est à la fois reconnaissance et enjeu stratégique majeur.
Crus Bourgeois & Crus Artisans : des classements alternatifs
Parce que tous les grands terroirs ne sont pas inclus dans le classement de 1855, le Médoc a vu naître une classification complémentaire : celle des Crus Bourgeois, créée en 1932, révisée en profondeur en 2020. Aujourd’hui, il se distingue sur trois niveaux : Cru Bourgeois, Cru Bourgeois Supérieur et Cru Bourgeois Exceptionnel. Chaque propriété est jugée sur la qualité de son vin, son respect de la traçabilité, de l’environnement et des engagements de production.
Quant aux Crus Artisans, reconnus en 2006, ils mettent en lumière le travail de petits producteurs indépendants, attachés à une viticulture humaine, exigeante et souvent familiale. C’est une manière de valoriser un artisanat du vin, dans un monde parfois trop dominé par les grandes marques.
Ce que les classements disent… et ce qu’ils taisent
À Bordeaux, les classements ont valeur de repères. Ils racontent l’histoire, le prestige, l’ancienneté, parfois le prix, souvent la réputation. Ils rassurent. Ils orientent. Et ils servent aussi, il faut le dire, d’arguments commerciaux solides.
Mais ces hiérarchies, aussi utiles soient-elles, ne disent pas tout.
Elles ne disent rien, ou si peu de l’émotion qu’un vin peut transmettre. Elles ignorent parfois la sincérité d’un vigneron, la beauté d’un équilibre trouvé sans artifice, la magie d’un millésime dompté à la main. Elles passent à côté de ces domaines non classés, souvent jeunes ou plus discrets, qui osent, qui progressent, qui émeuvent.
J’ai goûté des vins sans classement, parfois issus de petits terroirs de l’Entre-deux-Mers, du Haut-Médoc ou des Côtes de Bordeaux, qui m’ont bouleversée. Non pas parce qu’ils portaient une étiquette célèbre, mais parce qu’ils disaient quelque chose de vrai. Un vin de patience, un vin d’intuition, un vin de cœur.
Ces crus-là ne figurent dans aucun palmarès, et pourtant… ils laissent une empreinte.
Grands crus classés : l’excellence n’est pas une option
Le classement de 1855, demandé à l’origine par Napoléon III pour l’Exposition universelle de Paris, est resté quasiment figé depuis sa création, à une exception près : Mouton Rothschild, promu en 1973 du rang de second à premier cru. Ce classement repose sur la notoriété historique et les prix de vente de l’époque, devenant ainsi un marqueur de prestige, plus que de qualité gustative immédiate.
Depuis, ces crus classés sont devenus inaccessibles pour le commun des amateurs de vin. Les bouteilles de premier cru dépassent souvent les centaines, voire les milliers d’euros. Autant dire que pour la majorité des passionnés de vin, ce ne sont pas des cuvées que l’on déguste à tire-larigot.
Et pourtant… cela n’enlève rien à l’exigence qu’ils doivent incarner.
Quand on atteint ce niveau de reconnaissance, on se doit à l’excellence. Parce qu’on ne produit plus seulement un vin : on incarne une mémoire, une tradition, un sommet de savoir-faire à la française. Et cela oblige.
On peut débattre du manque d’évolution de ce classement. On peut regretter que certains domaines aient pu vivre trop longtemps sur leur réputation. Mais il faut aussi reconnaître que beaucoup d’entre eux se battent encore pour mériter leur rang. Parce que je crois au fait que le prestige, sans la qualité constante, devient vite une coquille vide. Et dans un monde où le vin se commente, se critique et se partage instantanément, ces crus classés n’ont pas droit à l’erreur.
Alors oui, ces vins ne sont pas pour toutes les bourses. Mais ils restent, et doivent rester, des références. Non pour faire rêver, mais pour élever l’ensemble de la filière, tirer tout Bordeaux vers le haut, et rappeler que l’excellence n’est jamais acquise, elle se travaille, millésime après millésime. Et puis il y a toujours un second vin, ou une cuvée dans laquelle le moins exigent est destiné, mais attention qui dit moins exigent ne dit pas que ces vins sont tous médiocres, d'autres réservent de vraies surprises : des pépites discrètes, accessibles, pleines de plaisir et d’authenticité.
Les Crus Bourgeois : entre reconnaissance, rigueur et visibilité
Parmi les classements bordelais, celui des Crus Bourgeois du Médoc occupe une place à part. Moins figé que le classement historique de 1855, il repose sur une démarche volontaire des propriétés et un cahier des charges rigoureux, réévalué tous les cinq ans. Ce système évolutif donne une vraie chance aux domaines engagés, soucieux de qualité et de progression.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que le classement ne repose pas uniquement sur la dégustation d’un vin isolé.
Le processus est plus exigeant : cinq millésimes consécutifs d’un même domaine viticole sont dégustés à l’aveugle, pour évaluer non seulement leur niveau qualitatif, mais surtout leur cohérence aromatique, leur fidélité au style maison, et leur capacité à garantir une expérience stable pour le consommateur.
À cela s’ajoutent d’autres critères : gestion du domaine, traçabilité, engagement environnemental, pratiques œnologiques… et communication.
Oui, aujourd’hui, un cru bourgeois se distingue aussi par sa capacité à se raconter. Un vin, même excellent, qui ne dit rien de lui-même, qui n’exprime pas une vision claire ou une image lisible, peut passer à côté de la mention. À l’inverse, des vins plus “corrects” que “brillants” peuvent obtenir la distinction grâce à une stratégie de marque cohérente et assumée.
Saint-Émilion : un classement vivant, soumis à l’examen
Contrairement au fameux classement de 1855, celui de Saint-Émilion a choisi de vivre avec son temps. Depuis sa création en 1955, il est révisé tous les dix ans, pour mieux refléter les évolutions du vignoble, des domaines, et du niveau qualitatif dans le verre. Une démarche courageuse, rare, et à bien des égards exemplaire.
Ce classement des Grands Crus Classés de Saint-Emilion repose sur une candidature volontaire et payante. Les propriétés viticoles soumettent à un examen complet, mené par un organisme indépendant — comme Bureau Veritas, dans l'édition récente. Objectif : garantir la transparence, l’impartialité et l’équité du processus.
Ce reclassement ne se limite pas à une simple dégustation. Il englobe plusieurs volets :
- qualité des vins dégustés sur plusieurs millésimes (la dégustation représentant environ 50 % de la note finale) ;
- renommée du domaine (communication, œnotourisme, notoriété internationale) ;
- pratiques culturales et environnementales et
- cohérence du style et du positionnement.
Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir fait un bon vin une fois. Il faut prouver sa régularité, son engagement dans le temps, sa capacité à incarner un rang, que ce soit en tant que Grand Cru Classé ou Premier Grand Cru Classé.
Ce système coute cher mais il a ses mérites : il oblige à l’exigence, à l’innovation raisonnée avec une forme de vigilance qualitative permanente. Il permet aussi à des domaines dynamiques, plus récents, de gagner leur place parmi les grands, sans être prisonniers d’un statut figé dans le passé.
Mais cette exigence a aussi un prix. Le processus est lourd, long, parfois critiqué pour son opacité ou ses rivalités internes. Plusieurs épisodes ont d’ailleurs défrayé la chronique ces dernières années, notamment avec des retraits ou des recours en justice.
Pour autant, ce classement reste l’un des plus vivants et ambitieux de Bordeaux. Il affirme haut et fort que la hiérarchie peut évoluer. Et surtout : qu’il faut mériter sa place, millésime après millésime, pour ne pas se reposer sur des lauriers.
Quand l’image fausse le goût : plaidoyer pour un classement authentique des vins
Peut-on encore classer les vins en intégrant des critères de communication ou d’image ? J’en doute. Aussi valables soient les engagements environnementaux ou les stratégies de marque, ils ne doivent pas éclipser l’essentiel : ce que le vin dit dans le verre. La dégustation, même si elle conserve une part de subjectivité, reste notre boussole la plus fiable. Elle nous relie à la matière, au travail du vigneron, à la noblesse du goût. Et dans une logique de classement de haut niveau, comparable à celle de la haute gastronomie, certains marqueurs sont non négociables : pas de vins dilués, pas de défauts masqués, pas de maquillage œnologique. Ce n’est pas une question de snobisme. C’est une question de respect du produit, de rigueur, de transmission. Il faut, je le crois profondément, rééduquer les palais. Redonner à chacun les clés pour comprendre ce qu’il boit. Parce que boire un vin, ce n’est pas suivre une tendance : c’est accueillir un goût, une histoire, une vibration. Le classement idéal, s’il doit exister un jour, devra partir de là.
Rémy Poussart : le grand classement des vins de bordeaux au service du goût vrai
Je pense intrinsèquement que même si il y a des remises en questions et des innovations dans les classements des vins de Bordeaux, il n'empêche qu'ils reposent sur des critères comme l'histoire, le marketing et la communication. Alors qu'il est essentiel de rappeler que le vin se juge d’abord dans le verre. C’est d'ailleurs ce que défend Rémy Poussart, journaliste œnologue belge, qui depuis plus de vingt ans (je ne sais pas dire si il le fait toujours) propose un classement basé uniquement sur la dégustation à l’aveugle, en réunissant un jury international de professionnels et amateurs éclairés. Son approche, rigoureuse et indépendante, met en lumière la qualité réelle des vins, qu’ils soient issus de crus prestigieux ou de domaines moins connus, souvent oubliés des circuits officiels. Et franchement, de telles initiatives sont admirables ! Même si elles doivent déranger.


Alexandre Leforestier 3 hours ago
Très intéressant cet article ! Et je suis d'accord avec Rémy ! ))
Je vous invite à lire cet article cela devrai faire sourire... Un autre Rémy... ))
https://panodyssey.com/fr/article/musique/blanche-et-le-rouge-wm2ea7hg5as6