L'Egorgeur : Chapitre 16
L'Egorgeur : Chapitre 16
C’était enfin arrivé. Il était entré chez elle et en elle.
Voitures et camions passaient dans la rue. Le voisin du dessus arpentait son appartement de son pas lourd. Le frigo produisait toujours son sifflement inexplicable. Mais l’espace d’un moment magique, tout cela n’existait plus. Après l’avoir attendu pendant des semaines, Hélène s’était abandonnée comme jamais.
Et puis, elle avait prononcé le mauvais prénom.
— C’est qui, Emile ?
Que répondre ? Il avait l’air furieux. Désappointé. Humilié.
— C’est l’autre.
Il était parti, laissant juste le souvenir d’un parfum aux notes épicées. Il ne reviendrait pas. Inutile de le rappeler. Hélène pleura un moment sous sa douche avant de se remettre à son dossier d’enquête avec un verre de vin.
—Franchement, Emile, vous n’êtes pas mon supérieur. Nous pourrions.
Elle parlait à un homme qui n’était ni là, ni pour elle. Mais elle lui parlait. Tant pis s’il ne répondait pas. Finalement, elle parti se coucher à mi-bouteille.
Dans son rêve, le Commissaire lui apporta les croissants et elle lui ouvrit en nuisette, comme une star de cinéma. Dans la réalité, elle lui ouvrit en pyjama, pas maquillée, pas coiffée. Un bon gros pyjama bien chaud, pas sexy. Elle se prépara rapidement pendant que le café coulait, comme un jour de travail ordinaire. Mais ce n’était pas un jour de travail ordinaire. C’était un jour d’investigation criminelle avec une pointure nationale dans le domaine.
Duo parfait pour cette affaire. Elle montrerait son joli minois au Juge Perrier. Et lui mettrait son expérience et son talent au service de l’enquête. À défaut de faire des bébés, ils allaient enquêter ensemble. C’était déjà pas mal. Pas mal du tout, même.
Hélène venait de passer plusieurs mois à documenter tout ce qu’elle pouvait sur l’Imposteur de Vallon-Pont-d’Arc, comme elle l’appelait. L’insaisissable égorgeur, proie énigmatique était devenue son Dahu. Elle avait failli baisser les bras vingt fois, comme un auteur en manque de motivation. Elle glissait imperceptiblement dans la peau du flic alcoolique rongé par une enquête insoluble. Mais en version blonde et bien roulée.
Celui qui avait pris l’identité de Jérôme Luquet un jour de juillet, avant de la laisser derrière-lui comme une veste devenue trop juste semblait ne pas exister. Pourtant, cet homme et le gamin qui l’accompagnait avaient bien été entendus par la Gendarmerie. Le Commissaire lui avait même offert un chocolat. L’enfant présent à Vallon-Pont-d’Arc ce jour-là n’était pas non plus le vrai. L’âge et le handicap correspondaient. Mais le fils du véritable Jérôme Luquet n’avait pas plus mis les pieds dans la commune ardéchoise que son père.
— Vous croyez que l’imposteur a pris son propre fils pour jouer le rôle du petit Luquet, demanda-t-elle au Commissaire ?
— Ou bien c’est un gamin de location.
— Un gamin de location…
— Je vous expliquerai. Mais ce qui est sûr, c’est qu’obtenir un gamin correspondant à un profil précis n’est pas à la portée du premier venu.
Emile se leva.
— Pour le moment, je vous propose de rejoindre mon équipe, histoire de confronter vos éléments au brief de la journée. Et nous avons aussi un client à faire parler.
Elle le retint par le bras.
— Vous avez une idée de la provenance du petit ?
— Possible. Il faudra que je sonde quelques contacts.
— C’est utile les contacts pour avancer. J’aimerai tellement avoir ce genre de carte à abattre.
— Par contre, vous en avez d’autres dans votre manche.
Hélène offrit sa propre interprétation de Julia Roberts dans le film Erin Brockovich et tous deux éclatèrent de rire. Mais Demesy était tout à fait sérieux dans son assertion. Certains renseignements s’obtiennent plus facilement quand on est une jolie blonde.
Un autre atout pour mener une enquête à son dénouement, c’est une bonne équipe sur laquelle s’appuyer. Demesy présentait la sienne comme une petite brigade de flics ordinaires capables de choses extraordinaires. Pour les autres services de police, ce sont les “Expendables”, en référence au film… Souvent moqués, jamais égalés.
L’inégalable inspecteur Juste Clément, bras droit de longue date du commissaire, le lieutenant Rozenkreutz, le capitaine Renault, Hervé… quelque chose, Maxime Chapelle, le procédurier de la brigade, l’agent Edgery, six paires d’yeux qui attendaient la “gendarmette” avec impatience. Six cerveaux habitués à un brief plus matinal, au point que le café de la pause fumait déjà dans les tasses. Six paires d’oreilles qui attendaient qu’une Hélène Machin impressionnée par la situation, leur expose les éléments destinés à devenir leur nouvelle préoccupation. À cet auditoire, il ne manquait que Vellasquez, en congé maternité et Bellecour, absent pour une clavicule cassée.
La jeune femme avait bien préparé son sujet et le présenta sans difficulté.
— L’imposteur joue avec nous et avec nos nerfs, conclut-elle. Je suis persuadée qu’il a laissé les chiffons imbibés de chloroforme pour qu’on fasse le lien avec l’emploi du vrai Luquet, ne laissant ainsi aucun doute sur l’auteur du quadruple meurtre. J’ai vraiment hâte de lui mettre la main dessus et de lui poser la question. Juste pour ne plus y repenser la nuit.
— On dirait que vous avez la niaque, fit remarquer Luc Renault. Mais vous êtes consciente que vous ne lui mettrez peut-être jamais la main dessus ?
— On va tout faire pour, intervint le Commissaire.
— Moi aussi, j’aurais bien une question à lui poser, lançant Rozenkreutz qui avait l’esprit plutôt vif sous la capuche de son hoodie, quand les anxiolytiques lui en laissaient l’occasion. Pourquoi nous placer Di Bacco dans les pattes ?
— Dans les pattes ?
— Oui, Luc. Dans les pattes ! Enfin, pas les nôtres. Celle de la gendarmerie locale. Mais c’est pareil en fait.
Le lieutenant, resté debout contre un mur sous sa capuche noire, avait maintenant l’attention de tous. Il se décolla légèrement du mur, qui contre toute attente ne s’effondra pas en l’absence de son support humain. Les mains solidement enfoncées dans les poches, il fit un pas en avant pour développer sa pensée.
— Le mec, c’est un pro, entraîné. Il a visiblement bien préparé son coup. Nos quatre gars étaient réunis dans le même hôtel, payé d’avance. Et ce point n’est probablement pas un hasard. Il s’arrange pour faire boire une espèce de drogue pas facile à doser à un tas de gens pendant le bal des pompiers. Une fois le job terminé, il aurait pu simplement disparaître. À la place, il nous nargue et il nous met Di Bacco dans les pattes…
— Pour nous occuper, lança Hélène dont le regard s’était illuminé !
Une bourrasque de vent vint appuyer la remarque en projetant un paquet de gouttes d’eau contre les fenêtres de l’open space.
— Exactement. Pour détourner l’attention ! Vous occuper, vous les gendarmes. Pas la police criminelle qui n’était pas prévue dans l’équation, mais les gendarmes locaux et leurs renforts estivaux.
Détourner l’attention. Occuper les gendarmes. Mais les occuper dans quel but ? Dans le silence qui suivit, on entendait les rouages tourner dans les cerveaux.
— Putain, lâcha Juste Clément…
— Putain, lâcha Emile Demesy, en écho…
Écho relayé par William Rozenkreutz, auquel une nouvelle bourrasque vint répondre.

Crédits :
Photo de couverture par Craig Whitehead
Notice de transparence : Œuvre originale protégée par le droit d’auteur et horodatée. L’auteur en interdit formellement son utilisation à des fins d’entraînement d’IA, sans limite de territorialité et de temporalité.
Œuvre littéraire écrite sans IA
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Mots placés dans ce chapitre :
Dahu
Mots restant à placer :
Télécabine
Abondance (le fromage)
Allégorie
Attrape-rêves.
Remerciements :
Amélie Rollet
Barbara Wonder
Stéphanie Muriot
Alexandre Leforestier
Nymphéa
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