Congratulations! Your support has been successfully sent to the author
Le fauteuil rouge, Scènes 36 et 37 

Le fauteuil rouge, Scènes 36 et 37 

Published May 11, 2024 Updated May 11, 2024 Adventure
time 7 min
0
Love
0
Solidarity
0
Wow
thumb 0 comments
lecture 88 readings
0
reactions

On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy7 articles to discover this month.

To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free! Log in

Le fauteuil rouge, Scènes 36 et 37 

Scène 36

Cette nuit-là, Debbie rêva qu’elle passait à la télévision après avoir publié une monumentale biographie du célèbre Mezz « Finger » Wasp. Miss Gym Tonic et SJP, assises au premier rang, applaudissaient à tout rompre. Stef et Amaury se promenaient dans les coulisses d’un immense théâtre, absorbés par de mystérieuses recherches.

             Debbie avait apprivoisé le fauteuil, témoin muet de leurs conversations. Plus d’une fois, elle avait résisté à l’envie de se retourner pour surprendre Déborah allongée, le regard moqueur, une coupe de champagne à la main. Jamais ils ne se rencontraient ailleurs que sur la terrasse.  Un après-midi d’orage, il rapprocha la table de la porte-fenêtre et un éclair illumina un instant le salon. Accroché à un mur, un grand portrait de Paul Goncalves lui adressa un sourire enjôleur. Ce fut la seule fois où elle entrevit l’intérieur. Le vieil homme gardait son mystère en lui parlant d’un monde disparu qu’il meublait de mille détails pour mieux s’y dissimuler. Parfois, il prenait un malin plaisir à dévier le cours de la conversation

— Vous profitez de la mer, malgré tous ces touristes ?

— Je n’aime pas trop me baigner. De temps en temps, je fais quelques longueurs de piscine.

Il n’eut pas l’air de remarquer son air fermé. Debbie bronzait avec une rapidité qui agaçait son entourage, surtout Mariana qui passait sans transition du blanc au rouge vif.

Déborah avait vécu des années sur cette terrasse, pourtant, elle n’arrivait pas à l’imaginer avec la peau hâlée.

 — Je vous comprends, moi non plus je ne fréquente pas la plage. La nudité à mon âge, ce n’est pas vraiment très esthétique.

Un après-midi, Debbie remarqua un « D » aux courbes généreuses, gravé près du fauteuil et recouvert d’une couche d’enduit. Une lettre comme celles qui peuplaient autrefois les cahiers d’écoliers. En repartant, elle vit sous l’escalier un renfoncement dissimulé par un

 rempart de lierre séché où des outils de jardinage montaient la garde. Le pot était posé parmi de vieux sacs d’engrais. Figée dans la pâte durcie, une spatule portant encore l’étiquette du magasin était plantée, droite et obscène.

             Comme un cheval rétif qui se résigne peu à peu à la longe, Mezz « Finger » Wasp finit par aborder la période décisive de sa vie. Le fauteuil ne manifestait plus de méfiance à l’ égard de la jeune femme. Parfois, elle se levait, faisait quelque pas, le frôlait, posait la main sur l’accoudoir, avec les précautions qu’on prend pour caresser un animal endormi.

             — Comment avez-vous connu le « Blue Star » ?

             — Après avoir été démobilisé, j’ai baladé ma carcasse de héros inutile dans les rues de New-York. Je suis passé devant cette boîte. J’ai aimé le nom. On cherchait un musicien, je faisais l’affaire. Un orchestre de boîte de nuit, c’était tout ce dont je pouvais rêver. Je faisais des solos et je me sentais génial.

Il fit exception au rituel et alluma une cigarette au cours de la conversation.

— Les autres musiciens étaient de braves gars. J’avais une bonne vie…. Et il y avait Déborah.

Une fois de plus, Mezz s’interrompit et prit son saxo avec un petit sourire.

Scène 37

             Le lendemain il l’attendait debout près du fauteuil.

 — Déborah et Madly venaient du Connecticut. Elles étaient sœurs jumelles. Leurs parents étaient des gros bourgeois qui voulaient les marier à des espoirs du parti Républicain.

Elles ont préféré tenter leur chance à New-York. Un jour, alors qu’elles marchaient dans une rue de Brooklyn, une voiture est arrivée un peu trop vite. Deborah était au mauvais endroit au mauvais moment.   Debbie se leva, fit quelques pas sur la terrasse, respira à fond et revint s’asseoir.

— Que se passe-t-il ? Vous avez un malaise ? 

— Je me sens un peu barbouillée. J’ai passé une mauvaise nuit, Madame Lestouffade a fait du thon à l’escabèche. Je crois qu’elle a un peu forcé sur les condiments.  Il la transperça du regard.

 — Une cuisinière aussi remarquable, vous m’étonnez ! Prenez un verre d’eau, il n’y a rien de mieux… Il la laissa boire puis reprit son récit.  

— C’est Frankie Minelli qui conduisait. Il a fait ce qu’il pouvait pour qu’elle soit bien soignée mais elle n’a pas retrouvé l’usage de ses jambes. Il s’est mis à la colle avec Madly.

C’est comme ça que tout a commencé.

Debbie écrivait toujours, la tête penchée, maîtrisant le tremblement de sa main. Le vieil homme s’assit avec précaution sur le bord du fauteuil pour ne pas déranger le fragile fantôme qui s’y reposait.

— J’ai vu Déborah pour la première fois le lendemain du jour où j’ai été engagé. On l’avait installée dans le petit salon rouge. Tout ce que je savais, c’est qu’elle était la sœur de la nana du patron et qu’il valait mieux rester à sa place. Quand il vous regardait sans rien dire et qu’il écrasait sa cigarette, on avait intérêt à pas le contrarier.   

— Stef m’en a parlé. Il a trouvé un article de journal.

— Ce vieux Stef et sa mémoire de caisse enregistreuse ! Quelques semaines plus tard, Déborah est tombée malade. Une saloperie que les médecins n’ont jamais su identifier. 

Je lui préparais ses médicaments. Frankie savait que je m’y connaissais, vu que j’avais soigné des blessés dans le Pacifique. Quand on est Marine, il faut apprendre vite des tas de choses si on veut survivre.  Mezz se gratta le sommet du crâne.

— Pour le reste, je vous passe les détails. Il n’y a déjà pas grand monde à qui j’en ai raconté autant qu’à vous. Vous pouvez comprendre, n’est-ce pas ?

Debbie ne répondit pas et s’essuya furtivement les yeux. Le vieux musicien perdu dans ses souvenirs ne remarqua rien.

— Frankie m’a fait venir dans son bureau et je vous jure que je n’en menais pas large.

C’était un gars qui voyait les choses très simplement. On jouait franc jeu avec lui et c’était le meilleur des potes. On essayait de le doubler et il vous balançait un chargeur dans le ventre. Il m’a expliqué que la seule chose importante était que je ne fasse pas souffrir Deborah.

Le reste c’était nos oignons et malheur à ceux qui feraient des commentaires. Personne n’en a fait. 

— Stef a aussi remarqué que vous avez gardé le même saxo pendant toutes ces années, un instrument qui coûte très cher.

— Aucun mystère là-dessous, jeune fille ! Frankie m’a avancé l’argent et se remboursait sur ma paie. Pour les flingues comme pour les instruments de musique, il voulait que son personnel ait les meilleurs outils.

— Ce n’est pas celui dont vous jouez aujourd’hui.

 — Exact, madame Columbo ! L’autre était le témoin de mon ancienne vie. Il avait fait son temps. C’est un peu comme les animaux de compagnie. Vous n’avez pas de chien ni de chat, je suppose ?

— Ni canari ni poisson rouge.

Mezz dévidait ses souvenirs en arpentant la terrasse. Son pas lent traçait un itinéraire compliqué qui le ramenait invariablement vers le fauteuil.

— Elle est toujours là, n’est-ce pas ? Il se retourna et la fixa, les mains dans le dos.

— Vous êtes une bien étrange personne. J’ai l’impression que vous n’êtes pas venue pour un simple reportage.

 — Je veux découvrir votre secret.

— Moi aussi, j’aimerais trouver le vôtre, car vous en avez un. Nous en avons tous.

Il s’approcha et effleura son front avant qu’elle puisse réagir

— Déborah avait la même façon que vous de laisser tomber sa mèche. 

Il regarda l’horizon, les mains appuyées sur la pierre tiède.

— Elle aussi était pleine de mystère. Même si nous avions vécu cent ans, je crois que je n’aurais jamais pu les percer tous. Elle pouvait rester des heures à regarder la mer, sans dire un mot mais rien ne lui plaisait tant que le ciel. Elle se passionnait pour l’astronomie, connaissait le nom des étoiles et l’emplacement des constellations. Je lui avais acheté une encyclopédie et un petit télescope.

Au fil des phrases, le fantôme ressuscitait avant de se diluer dans la lumière. Debbie regarda le mur où se devinait en creux la lettre disparue. Le soleil s’attardait sur le cuir comme sur une peau de femme. Lorsqu’elle repartit, l’ombre de Déborah marchait près d’elle. 

lecture 88 readings
thumb 0 comments
0
reactions

Comments (0)

Are you enjoying reading on Panodyssey?
Support their independent writers!

Prolong your journey in this universe Adventure
LE SERGENT
LE SERGENT

Il avançait au pas soutenu de sa monture. Son cheval de bât suivait à la longe. Son grand feutre...

Cedric Simon
19 min
Que Fais-je Ici ?
Que Fais-je Ici ?

Je me pose cette question chaque matin.   Peut-être que je n'ai pas réussi parce que je ne...

Ed-It
7 min

donate You can support your favorite writers

promo

Download the Panodyssey mobile app