

Chapitre 78
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Chapitre 78
Il avait connu l’ombre. La vraie. Celle qui avale les jours, qui ronge le silence, qui fait du sommeil un refuge fragile et du matin un rappel cruel. Il avait connu le vide. Brutal. Sans bord. Sans fin. Et pourtant, Samuel Williams avait vécu. Lentement. Douloureusement. Mais il avait vécu.
La perte de Paule l’avait éventré de l’intérieur, sans crier gare. Il n’y avait pas eu de répit. Pas de phase. Seulement la sidération, puis l’absence. Il avait tenu debout uniquement pour Elina. C’était elle, cette minuscule silhouette blottie contre son torse, qui l’avait empêché de tomber. Il n’avait pas su pleurer autrement que dans le noir, lorsque plus personne ne voyait. Pendant longtemps, chaque rire de sa fille lui rappelait le silence laissé par sa mère. Chaque geste, chaque froncement de sourcil, chaque inflexion dans la voix. Paule vivait dans cette enfant — douloureusement, miraculeusement.
Mais la vie, cette traîtresse douce, l’avait repris. Par la main. Par le souffle. Par les épaules. Des années plus tard, il avait rencontré une femme calme, solaire, bienveillante. Elle ne cherchait pas à remplacer Paule. Elle lui offrait autre chose. Une épaule. Un espace. Une forme de paix. Il s’était laissé approcher. Lentement. Ils s’étaient aimés. Pas avec la fièvre. Pas avec l’absolu. Mais avec cette tendresse neuve qu’on offre quand on sait que l’amour est un feu qu’on ne dompte jamais deux fois de la même manière.
Ils s’étaient mariés. Ils avaient eu deux enfants. Un garçon, une fille. Il avait eu une belle carrière. On parlait encore de ses pièces comme d’œuvres. Il avait formé des dizaines de jeunes pâtissiers, transmis ce qu’il savait avec exigence. Et Elina avait grandi. Belle. Forte. Inébranlable. Elle ressemblait à sa mère avec une intensité qui le frappait toujours au ventre. Elle était devenue une femme droite, indépendante, passionnée. Elle avait eu une fille à son tour. Une enfant vive, espiègle, aux yeux immenses. Elle s’appelait Paule.
Parce qu’on n’oublie pas. Parce que certains noms sont des serments.
Les années avaient passé comme des saisons discrètes. Sa femme était morte deux ans auparavant, paisiblement. Il l’avait veillée avec douceur, mais sans douleur insoutenable. Ce n’était pas la même absence. Il l’avait aimée. Mais il n’avait jamais cessé d’aimer Paule. Et ça, elle l’avait toujours su.
Maintenant, Samuel vivait seul dans une maison simple. Un jardin. Quelques fleurs. Des cadres au mur. Des souvenirs posés sur des étagères. Un silence habité. Ses enfants venaient. Elina passait chaque dimanche. Il regardait sa petite-fille courir dans le salon, et parfois, une douleur douce lui remontait dans la gorge. Elle avait le même regard. Le même rire. Les mêmes gestes. Et il se disait que la vie avait cette façon étrange de continuer à faire exister ceux qu’elle avait pris.
Il écrivait encore. Des lettres qu’il ne postait pas. Des mots pour Paule. Des mots pour lui-même. Il en relisait parfois, le soir, quand le jour avait été trop lourd.
Ce soir-là, justement, il faisait plus frais que d’habitude. Une brise entrait par la fenêtre entrouverte. Le vieux fauteuil était tourné vers le jardin. Samuel avait lu quelques pages, puis refermé le livre. Il avait regardé le ciel longtemps. Comme s’il attendait un signe. Il ne pensait pas à la fin. Pas directement. Mais quelque chose en lui s’apaisait depuis quelques jours. Comme si quelque chose approchait. Et qu’il n’avait plus peur.
Il monta se coucher sans se presser. Il prit le temps d’éteindre les lampes, de vérifier la porte d’entrée, d’aligner les chaussures. Des gestes familiers. Des gestes de toujours. Il se glissa sous les draps. Il ferma les yeux.
Et le rêve vint.
Mais ce n’était pas un rêve ordinaire. Ce n’était pas une image, ni un souvenir. C’était autre chose. Une présence. Une évidence.
Elle était là.
Assise sur leur vieux canapé d’autrefois. Celui qu’ils avaient dans l’appartement. Celui sur lequel ils s’étaient endormis, enlacés, à tant de reprises. La pièce était baignée d’une lumière douce, presque liquide. Le silence n’était pas vide. Il était plein d’elle.
Elle ne parlait pas tout de suite. Elle le regardait. Comme avant. Comme toujours. Sans jugement. Sans urgence. Il la regardait lui aussi. Son cœur cognait trop fort. Il avait envie de pleurer, mais il n’en ressentait plus le besoin.
Elle était là. Vraiment là.
— Tu sais que tu as laissé Elina manger du chocolat au petit-déjeuner pendant une semaine entière, quand elle avait trois ans ? dit-elle avec cette voix douce et rieuse qui faisait fondre les armures les plus solides. Tu lui disais que c’était « pour te donner du courage avant le boulot ».
Il esquissa un sourire. Paule riait légèrement. Ce rire-là, il l’avait tant cherché dans les silences.
— Et elle a commencé à dire à tout le monde, à l’école : « Mon papa, il se donne du courage avec du chocolat noir. » Même la directrice t’a regardé de travers. Tu te souviens ? Tu as juré que ce n’était qu’un petit carré. Elle t’a répondu qu’elle avait trouvé une tablette vide dans le cartable.
Elle éclata de rire. Un vrai rire. Pas un écho. Pas un souvenir.
Il avait envie de l’embrasser. De lui prendre la main. De la garder contre lui pour toujours.
— Tu me manques, murmura-t-il, la voix fêlée.
Il s’approcha. Tout doucement. Et s’assit près d’elle. Sa main se posa sur la sienne. Sa peau était chaude.
— Tu m’as fait vivre, Sam. À travers elle. À travers vous. À travers les histoires. Tu as tenu ta promesse.
Il hocha la tête. Il aurait voulu dire plus. Mais ses mots étaient noyés.
— Je t’ai attendu, tu sais, reprit-elle. Mais je n’étais jamais loin. J’étais là quand tu la bordais. Quand tu doutais. Quand tu croyais ne pas y arriver. J’étais là quand tu cuisinais en silence. Quand tu pensais à moi. J’étais là quand tu l’as appelée « mon étoile ». Et quand elle t’a dit un jour que tu sentais toujours le chocolat et l’amour.
Il baissa la tête, la gorge tremblante.
— Tu as été un père magnifique.
Il la regarda. Dans les yeux. Et il souffla :
— J’ai été ton homme. Et je n’ai jamais cessé de t’aimer.
Le silence les entoura comme une étreinte. Il n’y avait plus de temps. Plus d’absence. Plus de vide.
Elle se leva lentement. Et tendit la main vers lui.
Son regard n’avait pas changé. C’était elle.
— Tu viens ?
Il ne bougea pas tout de suite. Il la regarda. Encore. Longtemps. Jusqu’à ce que ses jambes se remettent à répondre.
Alors, il se leva. Et prit sa main.
Et dans ce geste, il n’y avait plus de manque, plus de douleur, plus de peur.
Juste le retour.
Fin.


Prescilliac vor 9 Stunden
Je vous remercie ! Pourriez-vous me dire ce qui vous a le plus plu et déplu, je suis preneuse de tout commentaires
Ferjeux Mougin vor 4 Stunden
Ayant lu cet unique chapitre, j'ai particulièrement d'une part apprécié à la fois l'histoire tout en nuance qui est d'une beauté extraordinaire laquelle est écrit avec des mots d'une extrême justesse et d'autre part votre style tout en finesse qui avec des mots adaptés et si justes sonnent si bien. Mille mercis à vous pour ce si bel écrit. Je vais revenir souvent ...
Ferjeux Mougin vor 10 Stunden
Bien que prenant la lecture " en cours" je tombe sous le charme de de vos mots qui, d'une grande justesse, rendent passionnante cette merveille qu'est votre écrit. Merci pour ce moment !
Ferjeux Mougin vor 9 Stunden
J'ai beaucoup aimé votre écrit.