

Chapitre 14
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Chapitre 14
Le silence règne encore dans les couloirs quand je traverse l’étage désert. Ce matin, tout semble plus dense. Comme si le moindre souffle d’air portait en lui un écho de ce que nous ne disons pas. L’ombre de la veille n’a pas disparu, elle flotte dans les replis du quotidien, et l’espace entre Samuel et moi est devenu un terrain instable, à la fois chargé et suspendu.
Il est déjà dans le laboratoire, bien sûr, comme toujours. Mais je ne me précipite pas. Je ralentis volontairement en entrant, consciente de chaque regard, chaque murmure étouffé. Je sais qu’on parle. Je l’ai su avant même d’ouvrir la porte. On ne me dévisage pas, pas vraiment. Mais on observe autrement. Avec cette vigilance sourde que les non-dits dessinent mieux que n’importe quel mot.
Samuel ne dit rien. Il ne m’adresse pas un mot quand j’arrive à son poste. Mais il me voit. Il me regarde. Il me sent. Chaque fois qu’il se penche vers un montage ou qu’il rectifie un geste, je sais qu’il est en train de m’envelopper dans son silence.
Et je comprends ce qu’il veut dire. C’est sa manière de parler, après tout : les silences, les ajustements, la rigueur. Les pauses qui ne sont pas vraiment des pauses. Il ne dira pas ce qu’il pense de tout ça, des murmures, des soupçons, des regards trop longs. Mais il me le fait comprendre d’une main qui ralentit un peu quand elle effleure la mienne en passant un ustensile. D’un regard maintenu une seconde de trop, juste entre deux consignes.
Tout est là. Dans l’absence. Dans ce qu’il ne formule pas.
La matinée s’étire. Dense. Chargée. Nous travaillons presque sans un mot, mais chaque mouvement est une conversation. Une main posée trop près. Une correction plus douce que nécessaire. Et parfois, une distance glacée, volontaire, comme pour marquer un territoire invisible à tous sauf à nous deux.
Ce n’est qu’à la fin du service, alors que la brigade commence à ranger ses postes, que je sens son regard accrocher le mien avec une insistance nouvelle. Il n’y a rien de tendre dans ses yeux. Juste une exigence, brutale, presque animale. Mais je sais la lire maintenant.
Il ne parle toujours pas. Il contourne le plan de travail, puis s’approche. Sa voix ne perce qu’une fois que les autres sont suffisamment loin.
— Suis-moi.
Je n’ai pas besoin de demander où. Je sais. La cour. Le couloir jusqu’aux vestiaires. L’air y est différent. Et lui aussi.
Il ne se retourne pas pour vérifier que je le suis. Il sait que je le fais. Quand je passe la porte extérieure, il est déjà appuyé contre le mur, les bras croisés, le regard perdu quelque part au-delà de moi.
Je m’arrête à quelques pas. Je n’ai pas besoin de rompre le silence. Il finit par parler, d’une voix basse, lente, sans me regarder.
— Ils vont continuer. À parler. À inventer. À coller leurs propres scénarios sur ce qu’ils ne peuvent pas comprendre.
Un silence. Long. Mais pas vide. Chargé.
— Et alors ? dis-je, les bras croisés. Tu as peur qu’ils aient raison ?
Il se tourne enfin, lentement. Ses yeux, verts striés d’or, me fixent. Aucune tendresse, pas cette fois. Juste cette lucidité froide qu’il a quand il ne veut pas céder un pouce.
— Non. J’ai peur que ça crée un décalage. Entre toi et moi. Que leurs conneries s’insinuent là où il ne devrait y avoir que nous.
Il s’approche, un pas. Juste un. Mais il réduit tout l’espace entre nous. Son regard ne quitte pas le mien.
— Je suis exigeant, Paule. Et je déteste les incohérences. Encore plus quand elles viennent de ceux qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils regardent.
Je soutiens son regard. Je ne baisse pas les yeux. Pas maintenant.
— Alors, qu’attends-tu de moi ?
Un pli se forme au coin de sa bouche. Ni un sourire, ni un rictus. Quelque chose de plus animal, plus instinctif.
— Rien. Je n’attends rien. Je regarde. Et je vérifie si tu tiens. Si tu encaisses.
Un silence encore. Mais un silence plus lourd. Plus intime. J’avance, cette fois. C’est moi qui réduis la distance.
— Et si je tiens ? Qu’est-ce que tu fais ?
— J’improvise.
Ses doigts frôlent mon poignet. Pas pour m’attraper. Pas encore. Juste ce frôlement. Et ce regard qui se fixe dans le mien avec une intensité qui me traverse.
— Je ne suis pas comme eux, murmure-t-il.
— Je le sais.
Je ne sais pas qui franchit la dernière distance entre nous. C’est peut-être lui. Peut-être moi. Ou ce moment suspendu qui décide à notre place.
Quand ses lèvres trouvent les miennes, ce n’est pas un baiser tendre. Ce n’est pas un aveu. C’est une décharge. Une reconnaissance muette. Une façon de dire qu’il n’y aura plus de retour en arrière.
Et je le laisse faire. Parce que moi non plus, je ne veux pas revenir en arrière.
Quand nous nous détachons, le silence est encore là. Plus dense. Mais il ne nous enferme pas. Il nous enveloppe. Nous relie.
Je ne dis rien. Il ne dit rien. Mais nos regards ont parlé pour nous. Ici, dans cette cour, dans cet interstice du monde, nous ne jouons plus aux rôles.
Nous sommes juste deux êtres debout au bord du feu. Et il brûle doucement, patiemment, sans jamais vaciller

