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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 24 mars

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 24 mars

Veröffentlicht am 29, März, 2020 Aktualisiert am 28, Sept., 2020 Kultur
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 24 mars

La grande Fosse

 

24 mars

La fosse a neuf mètres de profondeur et à peu près la dimension de ce doux souvenir : un terrain de football. Elle n’était pas la première à être creusée, il y en avait eu bien d’autres de moindre envergure et qui échouaient toutes à nous contenir. Il fut décidé de prévenir plutôt que guérir, en quelque sorte. Au lieu de creuser à mesure des besoins, on anticipa une grande surface qui accueillerait d’avance tout ce qui se présenterait. L’initiative plut et l’on vit pour une fois tous les partis se ranger derrière la muni­cipalité.

Les voitures mortuaires n’encombraient plus les rues en grand désordre et dans tous les sens à la re­cherche des fosses. C’était un soulagement. La contenance des cavités antérieures avait été si insuffisante qu’il fallait souvent creuser des galeries subsidiaires sans avoir les moyens et l’expérience de la taupe, si bien que ces voies de dériva­tion allaient se perdre au loin sous la ville et menaçaient d’effondrer les immeubles, ce qui fut d’ailleurs le cas. La grande fosse mit fin à ces errements.

Car la fosse occupait judicieusement le centre de la ville, à la place de l’ancienne esplanade, lieu de rencontres et de promenades cher aux habitants.

La profondeur en fut l’objet de bien des débats. Cer­tains, très excessifs, l’auraient exagérée jusqu’à l’autre cô­té de la planète. C’étaient des paniquards de peu de bon sens. Les plus raisonnables songeaient beaucoup à la nappe phréa­tique et ne souhaitaient pas que l’eau de ville fut contaminée. La mairie, toujours avisée, les écouta. Du moins, au début, car le nombre des nécessités augmentant considérablement, nos édiles, de crainte d’être dépassés par les évènements et que leur mandat ne fût plus renouve­lé, acceptèrent les requêtes les plus folles de la part d’une foule de géologues et même, dans les derniers temps, de spéléologues aguerris. Dès lors, on ne cessa plus de creuser bien au-delà des 9 mètres recommandés. Bien des excavateurs n’étaient jamais remontés des profon­deurs. L’aspect de la fosse dépassa toute mesure et la rai­son elle-même en était ébranlée.

Les sarcastiques, jamais en reste d’une perfidie, parlè­rent alors de gouffre, et ils n’eurent aucun peine à rallier la population la plus fragile psychiquement, alignée autour de l’immense trou dont ne se voyait plus le fond depuis longtemps sous le vaste encombrement.

On espéra que la nouvelle fosse serait la dernière, mais des pessimistes auguraient déjà que ce ne serait pas encore pour cette fois, et ils exigeaient que la municipalité y pourvoie avec l’esprit d’entreprise qu’on lui connaissait. Les plus sages, en général des enfants, estimaient que les creusements étaient bien suffisants. Avoir la grande fosse au centre de leur ville était en somme l’avoir dans leur cœur. c’était une belle conquête et une grande promesse pour leur avenir.

On n’écoute jamais assez les enfants, c’est connu mais peu suivi.

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

 [Auteur de l’image non identifié]

 

 

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