JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 15 avril
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 15 avril
16 avril
Dans les premiers temps du confinement, des bienheureux prirent l’habitude de se mettre aux fenêtres en fin d’après-midi et de s’applaudir mutuellement, du moins c’est qu’il me sembla jusqu’à ce que j’apprenne qu’ils félicitaient nos services de santé rudement mis à l’épreuve, mais aussi bien ils auraient pu applaudir les nuages, car, la situation se dégradant inexorablement, ainsi que je l’ai dit, malgré les efforts et la bonne volonté, les fenêtres ne s’ouvrirent plus que pour des cris d’épouvante ou pour appeler à l’aide, et l’on pouvait entendre les enfants cavalcader sans fin par les couloirs et les escaliers, pour chercher une issue à cette vie étrange que leurs parents leur offraient.
Les douleurs des malades n’étaient pas bien grandes, si l’on excepte en stade terminal les horreurs de la suffocation, qui sont tout de même une des pires sensations qui soient, je l’admets avec une grande considération. Si beaucoup moururent, ce ne fut pas tant du mal que de la peur du mal. L’effroi de l’appréhension hébétait certains, et s’ils ne dépérissaient pas de chagrin, ils périssaient sur place à bout d’angoisse et sans le moindre signe de contamination, ce qui est le plus idiot à imaginer. Il est vrai qu’on apprit ainsi qu’il y a des coups d’épouvante comme il y a des coups de foudre. On meurt bien plus facilement de son imagination que des blessures du corps, qui n’en a aucune. À moins de supposer que le rêve est l’imagination du corps.
J’ai dit comme le mal avait une activité d’une traitrise extrême en période d’incubation, sans se montrer jamais par le moindre symptôme à l’examen médical ou par d’autres indices qu’une fièvre bégnine ou bien une grosse fatigue et des courbatures, aisément confondues avec les conséquences d’un travail manuel intense ou les petits maux coutumiers aux fins d’hiver. Les infectés s’étonnaient d’être encore confinés, ils dépérissaient d’impatience devant tant d’injustice et ils se sentaient si à l’aise qu’ils se risquaient à enfreindre les consignes, ils quittaient avec soulagement les lieux de leur supplice et aussitôt tombaient raides sur le paillasson. Le mal les avait accompagnés jusqu’au seuil de leur demeure.
On aurait pu en sauver s’ils n’avaient été la cause de leurs maux. Décidément, contrairement à ce qui avait été cru, la télévision n’était pas le remède à l’existence qu’on espérait. L’ennui d’être chez soi à ne rien faire, cet état de vacance que d’ordinaire ils appelaient de tous leurs vœux, se trouvait être au-dessus de leurs forces. Le face à face avec soi-même n’est digne que des plus endurcis par l’isolement carcéral ou des plus pensifs. À bout de nerfs, ils se faisaient violence, se jetaient d’un étage, ainsi que mon voisin, ou allaient se lancer dans la fosse, comme si c’était vraiment le seul lieu fréquentable, ou ils se noyaient dans le canal comme dans un rêve, à la grande fureur des canards, car l’eau finissait par déborder des parapets jusque sur l’asphalte et ils n’aimaient pas qu’on déplace le mobilier.
Il fut remarqué à cette occasion qu’on ne vit pas la moindre différence entre les hommes et les femmes, ils se comportaient aussi mal, de manière aussi brouillonne et avec une même inconséquence. C’était satisfaisant pour l’esprit de parité. On n’allait plus de longtemps m’embêter avec la chance d’être un homme.
à suivre dans :
http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com
[Auteur de l’image non identifié]