Génèse d'un poème : deux versions différentes
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Génèse d'un poème : deux versions différentes
Nicolas Boileau, dans son Art poétique de 1674, nous livrait ce conseil plein de sagesse : « Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. »
Oui, écrire est un métier qui demande un labeur répété et la littérature elle-même revêt une injonction à peine déguisée « Lis tes ratures ».
Quand lire s'apparente, pour le commun, à un loisir souvent oisif, quand il ne s'agit pas, pour d'autres, d'une corvée dictée par l'institution, il peut paraître singulier de rappeler cette évidence : à l'origine de ces mots jetés en pâture à des yeux étrangers et inconnus, il y a un labeur que nulle force extérieure à vous ne vous contraint à accomplir.
Et, pourtant, homme libre, tu t'enchaînes ! Tu t'enchaînes à des vers que tu polis et repoliras toute la nuit, l'émail de ton âme viendra se heurter, s'écailler, à ces musiques qui t'assiègent et qui ne feront rien d'autre que t'abandonner, loqueteux et exsangue, au petit matin, comme la louve se repaît de l'agnelle.
Souvent, le texte travaille en moi plusieurs semaines, voire mois, et je le jette, frénétiquement, sur le papier, comme un nouveau-né pressé de voir le grand monde. Le premier jet est relu, retravaillé, rendu compréhensible et par moi et par le lecteur, et peu de temps, quelques jours, sépare sa naissance de sa présentation au monde indifférent.
Mais il y a parfois des exceptions, comme ce soir.
Je viens d'exhumer de mon disque dur un premier jet de trois strophes que j'avais oubliées. Sans doute des vers écrits au petit matin, griffonnés sur un morceau de rêve et figés sur ordinateur dans l'attente de les débarbouiller, habiller, pomponner – améliorer. Puis la journée a dû prendre le relais, les injonctions, les tâches, le temps, la vie quoi, et ces vers sont restés à l'état larvaire. Ils auront attendu plusieurs mois, dans cette anti-chambre de la création poétique que sont quelques octets sarcophages, puis je les ai retrouvés, polis, retravaillés pour les présenter au monde.
Que le monde, dans son indifférence et son silence habituels, reçoive les babillements de ce bébé poétique qui fleure bon et la mer et l'amour.
Premier jet :
Sans titre
Les amours comme en mer naviguent et mitonnent Des airs que les marins essaiment aux embruns. Puis un parfum sans fard s’avance et vous fredonne Là-haut dans la vigie le mot « Terre ! » en refrain.
Un sable insoupçonné, un rivage enivré… Et dans cet œil nouveau où sombrent vos vaisseaux, C’est l’océan béni qui vous lance un baiser Comme à un naufragé on balance un radeau.
A bâbord, sur le pont, à tribord, dans les voiles, On chante sous la Lune un sonnet aux étoiles Qui observent blasées les humains se damner. Et au port ce soir-là on retourne apprêté. |
Poème final :
Sirènes hurlantes
Et nos amours en mer comme nous s’époumonent Des airs que des Belles susurrent aux embruns. Puis un parfum sans fard s’avance et nous fredonne Là-haut dans la vigie le mot « Terre ! » en refrain.
Un sable insoupçonné, un rivage enivré… Et dans cet œil nouveau où sombrent nos vaisseaux, C’est l’océan béni qui nous lance un baiser Comme à un naufragé on balance un radeau.
A bâbord, sur le pont, à tribord, dans les voiles, Nous chantons sur la mer un Ronsard aux étoiles Qui observent lassées ces humains qui s’enchaînent. Et au port ces soirs-là hurleront les sirènes.
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