L'artiste de la savane

« Fais la belle et tais-toi ! »

L’instruction était simple. Presque trop simple.

Alma était la grande lionne de la savane. Celle qui était respectée par ses semblables et les autres espèces. La reine. Et voilà qu’elle s’était fait avoir par son petit lionceau. Lui qui ne voulait pas régner, mais simplement être artiste. Il avait la peinture en adoration. La gouache. L’aquarelle. Les pinceaux de toutes tailles. Il les maniait d’une main de maître. De ses doigts agiles.

« Arrête de bouger Maman ! »

Alma s’efforçait de rester figée. Mais l’arrière de l’oreille droite la démangeait fortement. Sans parler de cette armure lourde qu’elle avait été forcée d’enfiler. Que ne ferait-on pas pour ses enfants…

« Maman, ne tourne pas la tête ! »

Alma en avait assez. Combien de minutes qu’elle posait ? Au moins cinq, voir six. C’était long. En plus elle portait une arme. Vraiment, comme si elle en avait besoin. Ses griffes qu’elles taillaient soigneusement sur l’écorce des arbres auraient dû suffire. Puis elle n’avait pas le droit de sourire. Elle devait juste rester de profil et… Ah cette oreille ! Vivement que ce soit terminé pour qu’elle puisse se gratter !

« C’est bientôt fini ! »

Ah, enfin ! Alma allait bientôt pouvoir souffler. Retirer son armure inconfortable. Poser l’arme tranchante. Elle pourrait se remettre sur ses quatre pattes. Et surtout, se gratter l’arrière de l’oreille avec frénésie !

« J’ai terminé ! »

Le lionceau posa ses pinceaux et sa palette. Il se recula légèrement pour mieux admirer son œuvre. Alma lâcha l’arme et retira son armure en gesticulant comme un ver. Avant même d’aller voir le portrait de son fils, elle s’assit et plia une patte arrière pour se frotter l’oreille. Elle fermait les yeux en grattant plus fort. Qu’est-ce que ça faisait du bien.

« Maman, viens voir ! »

Alma qui avait quelques touffes de poils accrochés aux griffes, avança prudemment jusqu’à la toile. Le lionceau était fier. Il trouvait avoir fait un très bon travail.

« Mais pourquoi m’as-tu fait cette tête ? On dirait que je viens de voir des hyènes ! »

Le lionceau analysa le portrait, puis répondit le plus naturellement du monde.

« Tu étais mécontente et crispée. C’est mon grand talent d’artiste qui a retranscrit parfaitement les émotions que tu dégageais. »

La lionne était quelque peu vexée. Elle serra les mâchoires et se retint de montrer les crocs.

« C’est de ta faute, tu m’as fait porter une affreuse et lourde armure et donné une arme de barbare ! »

Le lionceau sauta sur le dos de sa mère, tâchant sa fourrure de peinture.

« La prochaine fois fais un beau sourire si tu veux paraître plus sympathique. »

Alma remua la queue et coucha ses oreilles en arrière. Elle attrapa son petit et lui colla la patte sur le dos pour l’immobiliser et commencer à le lécher. Il était tout sale, tout taché.

La prochaine fois, qu’il disait. Mais y en aurait-il seulement une ?

Après tout, Alma n’avait pas souhaité fonder une famille pour souffrir. Il se trouverait un autre mannequin pour poser. Pourquoi pas son père ? Le roi des animaux serait heureux de rendre service. Et avec un peu de chance, il aurait l’intelligence de se coucher et de piquer un petit somme pendant que le lionceau agiterait ses pinceaux.

Source image : https://www.artstation.com/artwork/w8gNZ6